Dans trois décisions du 14 décembre 2007, le Conseil d'Etat pose clairement le principe selon lequel, pour savoir si les décisions prises par l'administration pénitentiaire à l'égard des détenus sont ou non susceptibles de recours pour excès de pouvoir, il convient d'apprécier leur nature ainsi que l'importance de leurs effets sur la situation de ces derniers. Et renforce ainsi le pouvoir de contrôle exercé par le juge administratif sur ces décisions.
Dans une première affaire, un détenu contestait une décision de l'administration pénitentiaire le déclassant de son emploi de cuisine dans la maison d'arrêt où il était incarcéré. Aux termes de l'article 99 du code de procédure pénale, « l'inobservation par les détenus des ordres et instructions donnés pour l'exécution d'une tâche peut entraîner la mise à pied ou le déclassement de l'emploi ». La décision de déclassement du directeur de l'établissement pénitentiaire - prononcée ici dans l'intérêt du service et non pour des motifs disciplinaires - a été motivée par la « mauvaise volonté [du détenu] à accomplir les tâches qui lui étaient dévolues [et] le climat conflictuel qu'il entretenait par ses gestes et commentaires ». Qu'en l'espèce, « eu égard à sa nature et à l'importance de ses effets sur la situation des détenus, une décision de déclassement d'emploi constitue un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ». Toutefois, précise le Conseil d'Etat, « il en va autrement des refus opposés à une demande d'emploi ainsi que des décisions de classement, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus ».
Dans une seconde affaire, c'est une décision de changement d'affectation d'un détenu, ordonnant son transfert d'une maison centrale (établissement pour peines) vers une maison d'arrêt qui est mise en cause. Considérant que le régime de détention dans une maison centrale est plus favorable (isolement de nuit seulement, travail, activités physiques, culturelles ou de loisirs...), une telle décision de changement d'affectation influe bien sur la situation du détenu et constitue donc un acte administratif susceptible d'un recours pour excès de pouvoir et non une mesure d'ordre intérieur. Cependant, indique la Haute Juridiction, « il en va autrement des décisions d'affectation consécutives à une condamnation, des décisions de changement d'affectation d'une maison d'arrêt à un établissement pour peines, ainsi que des décisions de changement d'affectation entre établissements de même nature, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus ».
Enfin, le Conseil d'Etat a eu à se prononcer sur une décision du ministre de la Justice visant à placer un détenu sous le régime de « rotation de sécurité », qui consiste en des changements d'affectation fréquents sur décision des services de l'administration centrale afin de prévenir toute tentative d'évasion. Une décision motivée, en l'espèce, par les tentatives d'évasion répétées du détenu. Un tel acte, qui institue un régime de détention spécifique, ne constitue pas, selon le Conseil d'Etat, une mesure d'ordre intérieur mais une décision administrative susceptible de recours pour excès de pouvoir. Seule l'urgence, explique-t-il, peut justifier la suspension d'une telle mesure « lorsque son exécution porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ». En l'espèce, estime le Haute Juridiction, la décision de l'administration pénitentiaire répond « eu égard aux tentatives d'évasion répétées de l'intéressé, à sa dangerosité et à sa catégorie pénale, à des exigences de sécurité publique ». En conséquence, la condition d'urgence « ne saurait être regardée comme remplie », conclut-elle.