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Former par la recherche : une urgence

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La recherche, dans le champ du travail social, ne permet pas seulement la production de nouveaux savoirs sur la pratique professionnelle. Elle est également à la source d'une démarche de réflexivité et de créativité, constitutive du processus de formation. C'est la position que défend Evelyne Simondi, doctorante en sciences de l'éducation à l'université Aix-Marseille-I, auparavant assistante de service social en psychiatrie adulte et formatrice en travail social.

« Dans son ouvrage paru en 2006 sous le titre Former des professionnels par la recherche ; initier à la démarche scientifique (1), Hervé Drouard, formateur en travail social, questionne la posture singulière du «praticien-chercheur». Il fait référence à un être hybride dont l'identité serait constituée de deux piliers : celui de l'analyse des pratiques et celui de la recherche. L'action s'incarnerait dans le pôle «socio-professionnel» - la pratique - et la pensée dans le pôle «épistémique» - les savoirs. Dans cette formulation, action et praxéologie risquent d'apparaître comme opposées à pensée et théorie et je crains que le sujet lui-même ne soit laissé ainsi en suspens... comme entre parenthèses. En effet, celui-ci, par la mise en lien des différents éléments et la problématisation des situations, tisse ensemble l'acte et la pensée, relie ces deux dimensions indissociables du développement personnel et professionnel. Aussi mettrais-je volontiers en tension l'efficacité sociale, la construction des savoirs et le développement personnel dans une trialectique et j'articulerais dans un lien dynamique : acte, parole et sujet. Ainsi, sans vouloir couper ici les cheveux en quatre, je parlerais en ce qui me concerne d'un «praticien-clinicien-chercheur», lequel, refusant les «allant de soi» et les non-dits institutionnels, s'engage dans un questionnement réflexif fait de travail sur soi et de créativité (2) :

Praticien celui qui reste ancré dans la pratique quotidienne du travail social et ses vicissitudes, qui travaille à contre-courant et refuse de se laisser instrumentaliser abusivement. Praticien celui qui veut reprendre le pouvoir sur le sens de ses actes et a pour référence «l'acte pouvoir», tel que Gérard Mendel l'a conceptualisé dans les années 70 dans la lignée de la socioanalyse (3).

Clinicien celui qui prend le risque d'un accompagnement des personnes et des groupes, qui assume la responsabilité de son intervention dans l'échange et la confrontation d'idées et fait le travail de distanciation nécessaire à toute implication professionnelle.

Chercheur celui qui a la volonté de rendre plus intelligible l'opacité du réel, de conceptualiser les pratiques du travail social et qui, pour lever le nez du guidon et contrecarrer les injonctions technicistes, s'inscrit dans un processus de recherche, comme le préconise Hervé Drouard.

Monoréférentialité désuète

Il me paraît effectivement urgent, face au délitement du lien social et à la perte de sens que connaît le travail social, que les instituts de formation valorisent l'appropriation des savoirs par la recherche. Le temps est révolu des enseignements disciplinaires morcelés, déconnectés des réalités du terrain, qui favorisent une monoréférentialité désuète portée par un formateur référent expert dans sa discipline. Depuis de nombreuses années déjà, on parle de multiréférentialité dans ces mêmes instituts, mais la reconnaissance des professionnels de terrain s'exerce presque exclusivement en termes de savoir-faire. La réforme des études et des diplômes d'Etat d'assistant de service social, d'éducateur spécialisé et d'éducateur de jeunes enfants obligent désormais à véritablement prendre en considération les partenaires de l'alternance : praticiens et institutions de terrain. Mais, s'il est d'actualité que les «sites qualifiants» participent à certaines épreuves de validation des diplômes, la recherche sera-t-elle pour autant valorisée dans ces nouveaux cursus qui croisent désormais validation des acquis de l'expérience et formations modulaires ?

Il ne s'agit pas seulement de former les travailleurs sociaux «à» la recherche à partir de problématiques et d'hypothèses, d'outils de recueil et de traitement de données, d'interprétations et de résultats, mais bien de former les étudiants «par» la recherche et ce, dès la formation initiale. Il me paraît important de distinguer le fait d'«être en recherche», ce dont tout professionnel a le souci afin de maintenir un niveau de compétences, et le fait de «faire de la recherche», ce que certains professionnels du champ social choisissent aujourd'hui d'assumer. Ils ne cherchent plus alors seulement à actualiser leurs savoirs mais à en produire de nouveaux sur leur pratique professionnelle. Il y a dans l'acte de recherche un désir puissant de changement, de création et non pas seulement de réactualisation, de répétition.

Si la recherche permet, comme le signale Hervé Drouard, de construire les «savoirs de la pratique», elle permet à mon sens aussi de construire les «savoirs de l'être». La formation «par» la recherche inclut, par la distanciation qu'elle nécessite pour le praticien-chercheur, à la fois un travail sur soi et un travail de créativité.

En ce qui concerne le travail sur soi, les ateliers d'analyse des pratiques professionnelles doivent être remis au goût du jour. Pour Marguerite Altet, l'analyse des pratiques est «une démarche de théorisation des pratiques, à partir de modèles et concepts issus de recherches, ou de la formalisation des outils qui émanent de la confrontation des expériences des praticiens eux-mêmes» (4). Il n'y aurait donc pas d'analyse qui débouche sur du changement dans le consensus. «Ces dispositifs sont des moments et espaces qui articulent le faire, les savoirs professionnels, les savoir-faire et savoir-être dans une démarche collective de confrontation de pratiques et de réflexion.» En ce qui concerne le travail de créativité, l'intervention sociale et éducative ne relève pas seulement d'une technique mais aussi d'un art de la relation à soi et aux autres.

Ainsi, si je suis d'accord avec Hervé Drouard sur le fait qu'«il est temps d'accomplir cette révolution copernicienne : savoirs et compétences ne s'acquièrent que par l'exercice, la recherche et l'expérimentation» (5), j'insiste néanmoins, dans un regard plus clinique, sur la dimension du sujet et du nécessaire travail de réflexivité en formation.

La formation «par» la recherche est un des moyens de mettre à l'épreuve un travail sur soi des plus créatifs. Il s'agit désormais de faire en sorte que les savoirs du travail social soit conceptualisés par les travailleurs sociaux eux-mêmes. Pourquoi ceux-ci, «fantassins» toujours en première ligne, ne pourraient-ils pas s'autoriser à être sujets de leurs paroles et de leurs actes, auteurs de leur histoire, de leurs récits et de leurs savoirs ? Arrêtons un instant de ne plus réfléchir qu'en termes de compétences et de référentiels, inscrivons-nous et impliquons-nous dans des processus concrets de recherche et de production de savoirs qui nous appartiennent et nous caractérisent afin de ne pas souscrire à ce que dénonce Miguel Benasayag dans La fragilité : la complexité du réel semble nous contraindre à une «passivité prudente, à une impuissance assumée comme seule possibilité, non plus pour nous acheminer vers 'le mieux', mais juste pour éviter 'le pire' » (6). Comme l'écrivait Freud, «faute de bonheur, les hommes se contentent d'éviter le malheur» ».

Notes

(1) Ed. L'Harmattan - Voir ASH n° 2487 du 29-12-07, p. 29.

(2) Voir ASH n° 2441 du 3-02-06, p. 45 et n° 2494 du 16-02-07, p. 39.

(3) La révolte contre le père, pour une introduction à la sociopsychanalyse - Ed. Payot, 1972 (1re édition : 1968).

(4) « L'analyse de pratiques, une démarche de formation professionnalisante ? » - Recherche et formation n° 35, 2000.

(5) Voir ASH n° 2446 du 10-03-06, p 36.

(6) Ed. La Découverte, 2004.

TRIBUNE LIBRE

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