Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a rendu public le 10 décembre son rapport adressé à la France (1), à la suite de sa visite sur le territoire du 27 septembre au 9 octobre 2006, ainsi que la réponse du gouvernement. La délégation du comité émet une série de recommandations pour résoudre les difficultés observées, que l'Etat français, soit réfute, soit identifie comme ponctuelles, soit affirme avoir déjà réglées ou être en passe de le faire. Le CPT a visité des établissements des forces de l'ordre, trois centres de rétention administrative et la zone d'attente ZAPI n° 3 de l'aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, sept lieux de détention du ministère de la Justice et deux établissements du ministère de la Santé.
Outre plusieurs recommandations pour réduire l'usage de la violence par le personnel de surveillance et celui chargé des escortes dans les centres de rétention administrative (CRA), ainsi que pour améliorer les conditions de rétention, le CPT demande que tout nouvel arrivant « fasse systématiquement l'objet d'un examen médical le jour même de son arrivée » ou, au plus tard, le lendemain. L'identification précoce de conduites toxicomaniaques, de tendances suicidaires ou d'autres problèmes de santé permettrait, souligne-il, d'adopter des mesures préventives efficaces. Il souhaite également que la France revoie les normes sanitaires des CRA pour y inclure des temps de présence psychiatrique. Le rapport, qui relève que les démarches à suivre pour déposer une demande d'asile dans ces centres sont « parsemées d'embûches », invite la France à porter le délai de dépôt d'une demande d'asile en CRA à un minimum de dix jours, contre cinq maximum actuellement. Pour la zone d'attente ZAPI n° 3, il souhaite que le temps de présence de l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers soit augmenté de manière à lui permettre d'assurer une présence quotidienne les jours ouvrables et que l'accès des avocats aux étrangers maintenus en zone d'attente soit effectif à tous les stades de la procédure. L'effectivité du système de protection des mineurs non accompagnés devrait être garantie par la présence d'administrateurs ad hoc lorsque « les actes les plus importants sont posés », ajoute le CPT.
S'agissant des centres éducatifs fermés (CEF), face aux risques d'incendie volontaire déjà remarqués à plusieurs reprises, le rapport invite les autorités à y « effectuer un contrôle préventif des normes anti-incendie », sur l'ensemble du territoire national. Il pointe « l'importance particulière à accorder au choix du personnel éducatif travaillant au sein des CEF », à leur mobilité pour éviter l'épuisement professionnel, et à l'intégration du personnel soignant dans le programme multidisciplinaire. Il recommande que tous les éléments de procédure disciplinaire soient consignés dans un registre centralisé et qu'une formation institutionnelle sur la gestion des incidents violents soit mise en place. Le rapport insiste sur la nécessité de procéder à l'examen médical de tout nouveau jeune accueilli le jour même de son arrivée, d'établir un dossier médical individuel et confidentiel pour chaque jeune et de réaliser les examens médicaux hors de l'écoute et de la vue des éducateurs.
Concernant les établissements pénitentiaires, le CPT, qui « en appelle à l'adoption rapide d'une loi pénitentiaire qui intégrerait les normes européennes en matière de privation de liberté », remarque une augmentation des personnes condamnées et une légère diminution du nombre de prévenus. Il réitère sa recommandation de mener « une stratégie contre le surpeuplement carcéral », qui s'inspire des recommandations du Conseil de l'Europe. Une exigence d'autant plus d'actualité que, selon l'administration pénitentiaire, le nombre de détenus a dépassé la barre des 62 000 au 1er décembre 2007, son plus haut niveau depuis le 1er juillet 2004.
Autre point critique : toutes les dispositions ayant révisé le cadre de l'isolement sur décision administrative, entrées en vigueur au 1er juin 2006 (2), n'ont pas « encore été traduites dans la pratique », notamment celles sur le recours ouvert au détenu contre cette mesure. Plus grave, ce placement est parfois détourné de son objectif initial, notamment en l'absence de perspective thérapeutique pour des détenus présentant des affections psychiatriques graves. Le CPT demande donc en priorité que la nouvelle réglementation soit mise en oeuvre, que toute décision de placement à l'isolement de plus de trois mois fasse l'objet d'un réexamen trimestriel sur la base d'une évaluation incluant un rapport médico-social et que des mesures soient prises pour mettre à disposition des détenus à l'isolement des activités individuelles et collectives. Constatant par ailleurs des dérives dans le traitement des détenus placés sous le régime « DPS » (détenus particulièrement signalés), le comité souhaite que l'encadrement normatif de ce régime « fasse l'objet d'une révision fondamentale » et puisse offrir des garanties de recours. En attendant, il souhaite que « les mesures nécessaires soient prises pour que le statut de DPS d'un détenu soit régulièrement examiné, au moins tous les trois mois », par une commission qui devrait « se limiter au personnel pénitentiaire et aux magistrats engagés dans l'encadrement pénitentiaire du détenu ». Il réclame également que le système des « rotations de sécurité » soit revu.
Devant le constat général de « l'état dramatique dans lequel se trouve la psychiatrie pénitentiaire en France », le CPT souhaite recevoir des informations sur la stratégie à court et moyen termes « pour faire face à cette situation et à la prévalence croissante des affections psychiatriques dans la population carcérale ». Il souhaite notamment la révision du dispositif de soins psychiatriques aux détenus « DPS » afin que ces derniers puissent bénéficier des traitements que nécessite leur état de santé, dans des conditions « compatibles avec leur dignité », et de l'encadrement des soins aux détenus pendant les extractions médicales.
(1) Rapport au gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du 27 septembre au 9 octobre 2006 - Disp. sur