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Un espoir à ne pas décevoir

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Martin Hirsch a, le 23 novembre, donné le coup d'envoi du Grenelle de l'insertion, qui doit participer à l'objectif gouvernemental de réduction de la pauvreté. Pas question, pour les acteurs de terrain, que celui-ci se limite à des ajustements techniques.

Sans laisser augurer de la fin du processus, la mécanique est lancée. Martin Hirsch, Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, a donné le 23 novembre, à l'occasion des rencontres de l'expérimentation sociale de Grenoble, le coup d'envoi du Grenelle de l'insertion (1). Cette démarche inédite avait été décidée lors d'un déplacement à Dijon le 2 octobre par le chef de l'Etat, sur la suggestion de la directrice d'une entreprise d'insertion. Objectif affiché : concourir à l'objectif gouvernemental de réduire la pauvreté de un tiers en cinq ans, en refondant les dispositifs d'insertion et en mettant « les minima sociaux au service de l'emploi ».

Pendant deux jours à Grenoble, associations, collectivités territoriales, chercheurs et partenaires sociaux - quelque 1 000 participants au total -, ont débattu des enjeux de ce « Grenelle ». Innovation majeure, des expérimentations résultant de l'appel à projets lancé il y a quelques semaines (2) devraient nourrir les réflexions. Les réponses montrent d'ailleurs que l'initiative est encore vivace dans le secteur : 850 manifestations d'intention ont été adressées au Haut Commissaire avant la date butoir du 9 novembre. Les porteurs de projet auront néanmoins « jusqu'à fin janvier pour affiner leur dossier, notamment sur le volet portant sur les conditions de l'évaluation », précise-t-on au cabinet de Martin Hirsch. Une dizaine de forums régionaux seront également organisés et trois groupes de travail plancheront à compter du 10 décembre sur l'objectif de la politique d'insertion et sa gouvernance, la mobilisation des employeurs et les parcours d'insertion (voir encadré, page 6).

Ces groupes de travail s'inspireront de la matière première livrée lors du lancement de l'opération à Grenoble. « Un Grenelle, c'est une négociation », a insisté Martin Hirsch, reprenant à son compte l'interpellation de François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, selon qui ces négociations doivent aboutir à une « rupture ». Qu'y a-t-il justement à négocier ? La responsabilité de l'Etat, soulignent les professionnels de l'action sociale, qui doit cesser de mener des politiques contradictoires, comme l'illustre notamment la réduction encore mal digérée des contrats aidés. « L'Etat ne doit-il pas, malgré ses contraintes budgétaires, ne pas réduire, mais renforcer l'aide à l'insertion ? », s'interroge ainsi Claude Alphandéry, président du Conseil national de l'insertion par l'activité économique. Tous s'accordent à dire que les pouvoirs publics doivent aussi mettre fin aux gaspillages humain et économique de la précarité en admettant que l'insertion est un investissement qui rapporte plus qu'il ne coûte. Gilda Farell, chef du pôle social au Conseil de l'Europe, met néanmoins en garde contre l'illusion de ce réconfortant consensus : « Qui est bénéficiaire du solde ? L'argent rendu à la collectivité est rarement dépensé pour les plus pauvres. On ne peut pas continuer à mettre les pauvres au travail pour redistribuer aux plus riches ! » Un pavé dans la mare qui renvoie à la nécessité d'une réflexion sur l'ensemble du contrat social. Mais il y a peu de chances pour qu'elle soit au programme des négociations.

Le Grenelle ne peut pourtant pas se limiter à une liste supplémentaire de revendications, dont la plupart ont été maintes fois mises sur la table, avec le risque d'aboutir à une loi ou à des dispositifs de plus. « Ce n'est pas une question de tuyauterie, mais un objectif politique : il faut que les pouvoirs publics disent ce qu'est pour eux l'insertion et que ce que fait un ministre ne soit pas contredit par un autre ministre », souligne Nicole Maestracci, présidente de la FNARS (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale), évoquant tout de même une série de priorités dont il faudrait débattre, comme l'insertion des 18-25 ans, « dont 7 % ne sont ni en emploi ni en formation », ou les « populations invisibles » qui ne vont pas vers les services sociaux. Dans la mobilisation collective qui reste à construire, Martin Hirsch a voulu donner un signal fort en invitant Laurence Parisot, présidente du Medef, à engager solennellement les employeurs. De leur côté, les associations de solidarité auraient aussi souhaité s'asseoir à la table des négociations de la conférence sur l'emploi et le pouvoir d'achat, également en plein coeur des questions sur les mécanismes d'exclusion, à laquelle elles n'ont pas été acceptées. Il est par ailleurs temps, insistent-elles, de dépasser les déclarations d'intention et d'enclencher la vitesse supérieure. « Ne faudrait-il pas passer d'une incitation des entreprises à agir à une obligation, en utilisant des mécanismes comme celui existant pour l'emploi des personnes handicapées ? », propose Jean-Baptiste de Foucauld, président de Solidarités nouvelles face au chômage. Mais aux injonctions, l'ancien président d'Emmaüs préfère la perspective d'un « nouvel équilibre entre les droits et les devoirs » des pouvoirs publics, des entreprises et des bénéficiaires. Cette piste laisse les acteurs associatifs dubitatifs. Alors que l'Etat peine à jouer son rôle de garant des solidarités, un retour de balancier qui renforcerait le poids des responsabilités individuelles inquiète, même si le Haut Commissaire s'est voulu rassurant sur ce point. « Attention à ne pas imposer trop à ceux qui sont abîmés par la vie, à ne pas aboutir à un workfare à l'américaine », prévient Bruno Grouès, coordonnateur du collectif Alerte.

Restent la place, les conditions de réussite et les limites de l'expérimentation, désormais considérée comme une autre manière de construire les politiques publiques. Valorisée dans certains pays comme l'Allemagne et initiée en France par le RSA (revenu de solidarité active), la démarche expérimentale suppose une méthodologie rigoureuse (enquête préalable, zones pilotes, groupes témoins, études d'impact...) définie par le comité national d'évaluation des expérimentations mis en place en juillet 2007 pour suivre les travaux. Une démarche peu compatible avec le rythme annoncé des réformes - celle des minima sociaux est prévue pour 2008 -, pointent les associations. Pour aboutir à de vrais changements, il faudrait également apprendre à évaluer les dispositifs dans le temps, à les piloter et à les adapter aux évolutions des besoins, affirme en outre la présidente de la FNARS. L'exemple de la politique de la ville, qui a beaucoup expérimenté sans réussir à généraliser ses initiatives, doit, selon elle, permettre de ne pas répéter les erreurs du passé : « Une addition d'expérimentations ne fait pas une politique publique, il faut s'en souvenir. »

Face à tous ces questionnements, Martin Hirsch a déjà esquissé quelques réponses. Annonçant un « vrai Grenelle », qui devrait donc se traduire en actes, il s'est engagé à ce que « tout ce qui fera consensus dans les différents collèges soit retenu ». Autre promesse : l'instauration d'un « renversement de la charge de la preuve », qui devrait imposer à l'Etat de s'expliquer sur la non-généralisation d'une expérimentation qui, par des critères et une méthode reconnus, aura fait la preuve de son efficacité. Répondant à la crainte des acteurs de l'insertion par l'activité économique dont l'offre de services est en train d'être remise à plat par le ministère de l'Emploi, avec un nouveau système d'évaluation à la clé, il s'est engagé « à ce qu'on débouche sur des critères d'évaluation négociés et non paradoxaux » pour ceux qui s'occupent des moins performants. Le Haut Commissaire a également promis que l'insertion des jeunes et la lutte contre l'illettrisme ne seraient pas oubliées dans les politiques publiques.

« Si le Grenelle ne se termine pas par plus de simplification des dispositifs, on aura perdu notre pari », a-t-il par ailleurs affirmé. Le principe du contrat unique d'insertion, conçu comme un « outil modulable à la disposition des acteurs qui pourront l'adapter aux besoins du couple employeur/salarié » semble être sur ce point acquis. Les clauses sociales dans les marchés publics devraient quant à elles faire l'objet d'une communication prochaine en conseil des ministres. Enfin, en dépit de divergences de points de vue sur la conception des politiques d'insertion, Martin Hirsch a enjoint les acteurs de parvenir à « des compromis productifs pour l'avancée de cette cause ».

Chacun y verra plus clair dans quelques mois sur l'efficacité de la méthode, mais Jérôme Vignon, directeur de la protection sociale et de l'intégration à la Commission européenne, se montre d'ores et déjà enthousiaste : vu de Bruxelles, où les notions de contrat, de droits et de responsabilités ont fait mouche, « on se dit qu'il se passe à nouveau quelque chose en France, qui était jusqu'ici le héraut malheureux de la lutte contre la précarité ». Un satisfecit qui coïncide avec la prochaine présidence de l'Union européenne, en juillet 2008.

Ce chantier, insiste pourtant Gilda Farell, n'aboutira que si l'ensemble de la société se mobilise. Or, quelques jours seulement après le très médiatique Grenelle de l'environnement, les professionnels de l'insertion et de la lutte contre l'exclusion ne peuvent que déplorer le manque d'intérêt de l'opinion publique pour le sujet. Autre inquiétude : bien que l'accompagnement social n'ait pas été oublié dans les débats de Grenoble, le Grenelle de l'insertion ne sera-t-il pas finalement circonscrit à l'insertion dans l'emploi ? Si cela devait être le cas, beaucoup seraient déçus. « Avec le RSA et le contrat unique d'insertion, on n'aura alors rien fait pour les moins de 25 ans et les très éloignés de l'emploi », explique Bruno Grouès. Une crainte d'autant plus justifiée qu'aucune conférence de lutte contre les exclusions n'est au programme en 2008. « Un double événement ne serait pas tenable sur le plan pratique », argumente Bernard Seillier, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.

Les projets expérimentaux à la loupe

Parmi les cinq champs d'expérimentation de l'appel à projets (santé, accompagnement dans l'emploi, insertion des jeunes, éducation et modes de garde), l'accompagnement dans l'emploi revient massivement dans les dossiers, ainsi que les « plateformes mobilité ». « Pratiquement toutes les écoles de la deuxième chance nous ont adressé un dossier », note Etienne Grass, au cabinet de Martin Hirsch, selon qui « il sera important de fédérer les projets ».

Les projets expérimentaux, pour lesquels l'Etat a prévu six millions d'euros, seront examinés fin janvier par un jury composé notamment d'Elisabeth Maurel, membre de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale et du Comité national d'évaluation des expérimentations, d'Eric Maurin, directeur d'études à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), de Christophe Fourel, directeur général de l'Agence nouvelle des solidarités actives, de François Bourguignon, président du Comité national d'évaluation des expérimentations, par ailleurs directeur de l'Ecole d'économie de Paris, de Nicole Maestracci, présidente de la FNARS et de Daniel Lenoir, directeur général de la Mutualité française.

Trois groupes de travail

Trois groupes de travail, composés de huit collèges (Etat, collectivités territoriales et parlementaires, employeurs, salariés, associations, intervenants et travailleurs sociaux, bénéficiaires et personnalités qualifiées) ont été définis.

Le premier, sur l'« objectif de la politique d'insertion et sa gouvernance », sera coprésidé par Laurent Hénart, député UMP, adjoint au maire de Nancy et ancien secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes, et par Christophe Sirugue, président (PS) du conseil général de Saône-et-Loire.

Le deuxième, sur « le rôle des employeurs et leur implication dans les politiques d'insertion », sera co-présidé par Jean-Luc Vergne, directeur des ressources humaines de PSA, et par Annie Thomas, secrétaire confédérale CFDT et présidente de l'Unedic.

Le troisième, sur « les trajectoires et parcours d'insertion », sera coprésidé par Nicole Maestracci, présidente de la FNARS, et par Agnès Naton, membre du bureau confédéral de la CGT.

Julien Damon, directeur du département « Questions sociales » au Centre d'analyse stratégique, a été nommé rapporteur général.

Notes

(1) www.grenelle-insertion.fr.

(2) Voir ASH n° 2524 du 28-09-07, p. 13.

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