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Une association aide les jeunes Roumainsà se reconstruire hors de la rue

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Chaque jour, l'association Hors la rue va à la rencontre des mineurs isolés ou mal accompagnés, essentiellement roumains, en difficulté à Paris et dans sa banlieue. Véritable passerelle vers le droit commun, elle leur propose des activités de loisirs et un suivi personnalisé. Tout en organisant leur protection, il s'agit de susciter l'émergence d'un projet de vie hors de l'errance.

Andrei a quitté la Roumanie à 13 ans pour fuir des parents maltraitants et a rejoint un squat insalubre de la région parisienne. Vlad est un jeune Rom issu d'une famille pauvre, venu en France « faire de l'argent » ; après plusieurs incarcérations, il s'est retrouvé à la rue. Maria est orpheline ; sa grand-mère, malade, ne pouvant s'occuper d'elle, elle a gagné Paris et a retrouvé une tante dans un squat. Tous trois, comme 250 à 300 enfants par an, ont, un jour, croisé sur leur chemin l'association Hors la rue (1).

Celle-ci a vocation, depuis 2002, à repérer les mineurs roumains en difficulté en région parisienne et à aller au-devant d'eux en vue de leur proposer un soutien. L'équipe éducative, constituée de roumanophones aux profils divers (éducatrice spécialisée, philosophe, illustrateur...), fonctionne par roulement. Ses membres salariés interviennent en binôme, tantôt sur le terrain, tantôt au centre d'accueil de jour de l'association. Lors de leurs tournées (gares, soupes populaires, lieux de prostitution, campements...), ils cherchent à susciter chez ces mineurs, en situation d'errance ou de danger, le désir d'entrer en relation. A cette fin, ils utilisent de petits tracts à l'en-tête du centre, qui décrivent en roumain son mode de fonctionnement (horaires, principe de libre adhésion...), ses services (repas, douche, accompagnement social...) et les activités ludiques ou éducatives proposées (cours de français, théâtre, boxe, ping-pong, sorties...). Ces dernières permettent de gagner la confiance des jeunes, mais aussi de leur offrir des moments de loisirs adaptés à leur âge et de leur ouvrir une fenêtre sur un autre mode de vie. Il s'agit de « faire émerger [chez eux] l'envie d'adhérer à une alternative à l'errance » et de les accompagner « dans la réalisation de leur projet », comme l'explique le rapport d'activité 2006 de l'association.

Au centre d'accueil de jour, pendant qu'un mem-bre de l'équipe éducative organise la vie du lieu (courses avec les jeunes, préparation du repas...) et les activités, un autre veille au suivi personnalisé des mineurs qui le souhaitent. Les jeunes peuvent avoir été contactés directement, venir sur le conseil d'autres associations avec lesquelles l'équipe a noué des relations, ou être orientés par des institutions : foyers, commissariats (à la sortie d'une garde à vue), services éducatifs auprès des tribunaux, maisons d'arrêt (où l'association intervient également).

Première étape de l'accompagnement : l'entretien individuel. Il s'agit de comprendre le parcours du jeune, de recueillir des éléments d'identité en vue de prouver qu'il est mineur, d'estimer le danger qu'il encourt. Cependant, relativise Nathalie Trojet, responsable de l'équipe éducative, « nous le laissons raconter ce qu'il veut, montrer ou non ses papiers... Nous essayons de parler de sa famille, de son histoire, mais si nous sentons les choses trop douloureuses, nous ne brusquons rien. » L'équipe accompagne aussi, au besoin, les jeunes lors des différentes démarches : soins, planning familial, tribunal... Lorsque la situation l'exige, ces derniers sont mis à l'abri au sein d'une association, comme Enfants du Monde-Droits de l'Homme et Arc 75, partenaire du dispositif d'Etat « Versini » de prise en charge des mineurs étrangers isolés (2) dont Hors la rue est un premier maillon (3). De même, des signalements au parquet ou au service de l'aide sociale à l'enfance (ASE) peuvent être effectués. Néanmoins, hormis pour les très jeunes enfants en danger, ils restent rares car l'association estime nécessaire de recueillir l'adhésion de la personne pour que la protection soit efficace. La structure mise davantage sur sa connaissance de la langue, du pays et de la culture des mineurs pour démêler, dans un premier temps, la situation. « Nous observons le comportement du jeune au centre : son rapport aux autres, adultes ou non, son implication dans les activités... Au besoin, une psychologue peut être sollicitée pour le rencontrer », explique Nathalie Trojet.

Pas question pour l'association de se fonder sur le seul critère de « l'isolement » car « un mineur étranger avec une partie de sa famille peut être plus en danger qu'un autre légalement isolé, mais bien pris en charge par des membres de la communauté ». Aussi le lien avec la famille est-il recherché. « Nous prenons vite contact avec elle et expliquons quelle place nous avons pris dans la vie de l'enfant », poursuit la responsable. L'association dispose en outre, pour y voir plus clair, de partenaires en Roumanie, qui peuvent rencontrer la famille.

L'évaluation dure en moyenne un mois et demi. « Prendre ce temps nous paraît indispensable. Et ça en fait gagner ensuite, affirme Nathalie Trojet. La DASS [direction des affaires sanitaires et sociales] aimerait que l'on signale davantage, mais si l'on va trop vite et que la réponse n'est pas adéquate, cela se sait et on risque de perdre la confiance des jeunes. Il est arrivé qu'un enfant soit placé en famille d'accueil alors qu'il était à la rue avec son père. Celui-ci n'était pas maltraitant et un foyer pour les deux aurait été mieux adapté. Dans de tels cas, le jeune fugue et le lien est cassé. »

L'équipe estime aussi avoir besoin de temps pour dédramatiser et expliquer la notion même de « protection ». « Il faut que le mineur comprenne qu'après le signalement il verra un juge, mais que c'est pour le protéger. Un jeune Roumain aura aussi tendance à assimiler un foyer de l'enfance à un orphelinat, une structure qui a une sinistre réputation dans son pays. C'est de tout cela qu'il faut pouvoir parler. » Les bons résultats de l'enquête, menée en 2005 sur le devenir des jeunes placés à l'ASE de Paris après un passage à l'association, plaide d'ailleurs en faveur de cette logique d'intervention (4).

S'ils sont prudents vis-à-vis du signalement systématique, les responsables le sont tout autant vis-à-vis du placement. Ce dernier n'est pas pour eux la seule solution de sortie du danger. En particulier, l'accès à une formation diplômante et rémunérée sans placement se révèle une voie intéressante pour certains - tels des Roms soutenus par des membres de la famille élargie en France - à qui il convient d'abord de fournir une alternative à leurs activités illégales.

Depuis quelques années, à Paris, la population des jeunes Roumains a changé, ce qui modifie la donne. Des mineurs arrivent toujours avec l'espoir d'être placés et scolarisés, mais l'équipe en croise de plus en plus qui ont souvent transité par d'autres pays européens et ont passé du temps à la rue. Comme ils sont davantage installés dans l'errance, voire liés à divers trafics (vols, prostitution...), il est plus difficile d'entrer en contact avec eux - certains semblent d'ailleurs très encadrés par des adultes - et de les convaincre de s'engager dans une démarche d'insertion. A cela s'ajoute la réduction des solutions aptes à inciter ces publics à rompre avec la rue. « Le nombre de contrats jeunes majeurs régresse, certains services de l'ASE n'offrent aux jeunes placés à 17 ans qu'une chambre d'hôtel en attendant leur majorité, et l'accès à la scolarisation ou à la formation reste problématique pour les plus de 16 ans... Comment les persuader de sortir de la rue si on ne peut leur proposer des formations diplômantes, l'acquisition d'un métier... ? », s'interroge Benoît Auzou, l'un des respon-sables de l'association. En outre, si la Roumanie est entrée dans l'Union européenne en janvier 2007, un titre de séjour et une autorisation demeurent obligatoires pour travailler en France.

Il y a aussi la question délicate du retour au pays. « Quand on parle de mineurs isolés, on pense à la protection en France car il s'agit souvent d'enfants de pays en conflit et le principe d'un retour se pose peu. Pour les Roumains, c'est différent. Mais, de toute façon, celui-ci doit être volontaire », assure Benoît Auzou. « Lorsque cette solution paraît à tous la meilleure, nous trouvons les relais nécessaires pour la préparer, complète Nathalie Trojet. Il faut un lieu d'accueil digne de ce nom, un cadre affectif, un projet de scolarisation ou de formation... » Les intervenants de l'association se rendent à cette fin régulièrement en Roumanie. Parmi leurs missions : rendre visite aux familles de mineurs suivis, rencontrer divers partenaires associatifs et institutionnels, évaluer la situation de jeunes rentrés au pays, notamment dans le cadre de l'accord franco-roumain (voir encadré ci-contre). Enfin, l'association s'est engagée avec des partenaires locaux dans des projets visant à prévenir les départs en amont, c'est le cas dans la région de Satu Mare en lien avec l'ASE de Seine-Saint-Denis. Cela passe, en particulier, par le soutien à des formations diplômantes à destination des jeunes ruraux, ou encore par la rédaction d'un guide sur les risques du départ avec les enseignants locaux.

De la protection à l'expulsion ?

Quel sera demain le sort réservé aux mineurs isolés roumains ? La question inquiète l'association Hors la rue et une trentaine d'organisations (5) qui dénoncent le contenu de l'accord franco-roumain rédigé fin 2006 et demandent aux parlementaires dans une « lettre ouverte » de ne pas ratifier celui-ci. Elles redoutent en effet « le glissement d'une logique de protection vers un objectif de contrôle des flux migratoires », selon Benoît Auzou, l'un des responsables de Hors la rue. Et de fait, c'est pour valider cet accord « susceptible de contrevenir à l'ordonnance du 2 novembre 1945 quant au statut des mineurs non expulsables », explique Geneviève Lefebvre, premier juge des enfants au tribunal de grande instance de Paris, qu'il a été décidé de faire voter par le Parlement une loi d'autorisation.

Dès 2002, les mineurs isolés roumains ont fait l'objet d'une convention entre la France et la Roumanie (6). Valable trois ans, celle-ci « portait sur la prévention du départ des enfants, la protection de ceux arrivés en France, voire leur éventuel retour. En gros, via le dispositif Versini, il était prévu que des associations aillent à leur contact, les mettent à l'abri et que, lorsqu'ils étaient prêts à accepter une mesure de protection, le juge des enfants soit saisi et les place », résume Geneviève Lefebvre. Le magistrat informait alors l'autorité en charge de la protection de l'enfance en Roumanie et demandait une enquête sur la situation de la famille ainsi qu'un avis sur le retour et le projet envisagé. Il statuait ensuite sur l'opportunité, dans l'intérêt de l'enfant, de son rapatriement ou de son maintien en France. Si le volet « protection » a bien fonctionné, la qualité des enquêtes sociales, elle, a vite posé problème et le retour de certains jeunes ne s'est pas opéré dans de bonnes conditions. « Nous avons eu connaissance de cas de mineurs à nouveau en danger : remise à des parents maltraitants, trafic d'enfants... Des jeunes n'ont pas bénéficié du suivi sur place prévu par les accords. Aujourd'hui, comme aucun bilan qualitatif n'a été réalisé, personne ne sait ce qu'ils sont devenus », dénonce Benoît Auzou. Seuls 59 retours ont de fait officiellement eu lieu. C'est pourquoi dans leur « lettre ouverte » aux parlementaires, les 30 associations réclament, en préalable à tout nouvel accord, une évaluation qualitative « sérieuse » de ce dispositif.

En effet, malgré l'absence de bilan, une seconde convention a été signée en février 2007 (7), avec des évolutions critiquées. Tout d'abord, le texte supprime la nécessité de demander l'avis des parents sur le retour et permet le rapatriement sans évaluation préalable. « Dans le cas des Roms, par exemple, les parents peuvent être en France. On risque alors de renvoyer les jeunes à l'Etat et non à leur famille, pointe la juge des enfants. En outre, la Roumanie n'est pas encore en capacité de prendre en compte ces mineurs, même si les choses évoluent et qu'elle développe ses structures. » Il lui est toutefois, du point de vue diplomatique, difficile de refuser de récupérer ses ressortissants. La convention prévoit de surcroît que le procureur de la République peut aussi ordonner un retour sur simple validation des autorités roumaines. « Il est éminemment contestable, sur le plan même de la légalité, que pareille décision ne revienne pas exclusivement à un juge du siège garant des libertés », réagit Geneviève Lefebvre. « Un jeune pourra ainsi subir un passage direct : police, parquet et retour, s'insurge Benoît Auzou. Sous couvert de protection, cet accord ouvre, de manière inacceptable, la voie à l'expulsion pure et simple des mineurs isolés étrangers. » Pour la juge des enfants, il s'agit là « d'une brèche très inquiétante ».

Notes

(1) Hors la rue : 7/9, rue de Domrémy - 75013 Paris - Tél. 01 42 96 85 17 - www.horslarue.org.

(2) Lancé en 2002, il a été recadré en 2004 - Voir ASH n° 2346 du 13-02-04, p. 45.

(3) Hors la rue est financée à hauteur de 65 % par l'Etat via la DASS de Paris, dans le cadre du dispositif « Versini ».

(4) Voir ASH n° 2502 du 6-04-07, p. 39.

(5) Dont la FNARS, Médecin du monde, FTDA, la Fondation Abbé-Pierre, le GISTI.

(6) Voir ASH n° 2280 du 11-10-02, p. 13.

(7) Voir ASH n° 2493 du 9-02-07, p. 11.

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