Les nouvelles contraintes qui pèsent sur le travail social dans un contexte de rationalisation budgétaire suscitent des interrogations, voire des inquiétudes, légitimes. Le développement de la société néolibérale percute de plein fouet les représentations et modes d'action des intervenants. Dès lors, comment aborder la nouvelle donne ? Faut-il prendre acte des mutations qui traversent l'ensemble du corps social et se saisir au mieux des opportunités offertes ? Ou plutôt se replier sur le modèle historique du travail social qui s'est développé dans le cadre de l'Etat providence, et appeler à la résistance ? Comme l'on pouvait s'y attendre, et dans le droit-fil du mouvement des états généraux du social dont il a été le président, Michel Chauvière défend la seconde option. Dans son ouvrage, il met en garde sur le changement de finalité - certes encore discret - de l'action sociale. On assisterait en douceur à la transformation consumériste de la notion de service dans l'objectif de satisfaire l'usager-client, « prétexte de la nouvelle rationnalité ». C'est donc à cette aune que le sociologue analyse les dernières évolutions. S'il pointe à juste titre les failles de la décentralisation et la confusion institutionnelle qu'elle a générée, les limites de l'intervention sociale à domicile ou de la thématique de l'accès aux droits, même opposables, l'usage abusif du contrat ou encore les ambiguïtés des droits des usagers et des outils de la loi 2002-2 (démarche « qualité », évaluation, « bonnes pratiques »), faut-il néanmoins ne voir dans ces transformations que la mainmise de « la raison gestionnaire et manageriale libérale », comme il le prétend ? Un tel point de vue occulte en outre d'autres de leurs dimensions, comme la prise en compte de l'évolution des publics ou encore le fait que la loi 2002-2 a aussi voulu protéger le champ social en imposant les mêmes contraintes au secteur lucratif qu'aux secteurs public et associatif.
Tout le propos de l'auteur repose sur sa défense du modèle du service public et de l'intérêt général promu par l'Etat providence. Bien sûr, la régulation marchande n'affecte pas encore l'ensemble du champ, le « social de crise » (délinquance, urgence...) est encore préservé. Il n'empêche, avertit le sociologue, l'idéologie libérale gagne les règles de l'action publique qui se durcissent, et surtout les mentalités. On assisterait à la « chalandisation » des esprits, convertis inconsciemment à ce nouveau langage, ouvrant ainsi la voie à l'universalité du marché. De cette façon s'introduirait sournoisement une nouvelle philosophie du « faire », fondée sur l'offre immédiate de services et rendant inutiles savoir-faire, pensée conceptuelle et approche clinique des situations. Une philosophie qui s'accompagnerait d'un déclin du principe de professionnalité et de la hiérarchisation accrue des organisations de travail. Tandis que les centres de formation seraient déjà devenus des « négociants en formation ». Mais là encore, en voulant ériger des risques réels en une tendance générale, l'auteur ne prend pas suffisamment en compte l'hétérogénéité des situations et examine trop rapidement les initiatives de différents acteurs pour contrer les dérives gestionnaires.
Logique avec lui-même, Michel Chauvière appelle à relégitimer le service public à travers un nouveau pacte social. Reste que l'ensemble de sa démonstration, si elle prend acte de la montée des impératifs de rationnalisation et des flottements actuels autour de l'action sociale, s'inscrit dans une vision opposant logique marchande et logiques publique et associative, alors que leurs règles s'interpénètrent de plus en plus. Il n'est pas sûr non plus que les professionnels, aujourd'hui fortement fragilisés, n'aient pas intérêt à visibiliser leur savoir-faire en se saisissant des outils de la loi 2002-2 et à éviter de les laisser aux seuls experts, travers justement dénoncé par l'auteur. Son hypothèse d'une subversion du travail social par le discours libéral mérite en tout cas d'être examinée et débattue avec les praticiens, à partir de ce qu'ils vivent et réinventent sur le terrain.
I.S.
Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation - Michel Chauvière - Ed. La Découverte - 21,50 € .
« Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement » : cette formule du poète Nicolas Boileau aurait pu être placée en exergue à l'ouvrage de Jacques Papay. L'auteur montre que l'élaboration des référentiels nécessaires à la construction d'un dispositif d'évaluation des pratiques ne peut faire l'économie d'un travail de clarification des concepts. Celui-ci est indispensable pour cerner et désigner de façon adaptée les caractéristiques des situations rencontrées pour les analyser avec finesse. Traquant les évidences d'énoncés rarement questionnés, Jacques Papay, responsable de formation à l'institut régional du travail social (IRTS) PACA-Corse, s'attache à développer des notions-clés, comme celles de « prestation » et de « service », de « procédures » et de « processus », de « projet personnalisé », de « référent » ou de « respect ». La même perspective critique préside à la méthode d'évaluation proposée, dont les différentes étapes sont décrites et illustrées au travers de plusieurs exemples. Loin du contrôle de conformité, cette démarche est, elle aussi, conçue comme une recherche de sens, visant une plus grande intelligibilité des actions entreprises et une amélioration continue de leur qualité. A cet effet, insiste l'auteur, l'évaluation doit être intégrée, de façon pérenne, au fonctionnement ordinaire des établissements et services. Mais encore faut-il que les intéressés se dotent de nouveaux « espaces-temps » pour conduire ce travail en instaurant des « réunions d'analyse de pratiques à finalité évaluative ».
L'évaluation des pratiques dans le secteur social et médico-social - Jacques Papay - Ed. Vuibert - 24 € .
Coopératives, mutuelles, associations : on compte environ un million d'entreprises d'économie sociale. Celles-ci regroupent des personnes qui acquièrent des moyens pour servir un projet commun, dont la finalité n'est pas de gagner le maximum d'argent, mais de répondre à des aspirations partagées, explique Jean-François Draperi. Valeurs, traditions, règles de fonctionnement et pratiques de ce « mouvement social » où la pensée et l'action se trouvent indissociablement liées, sont mises en perspective et analysées par le directeur du Centre d'économie sociale travail et société au CNAM. Présentant les travaux des principaux chercheurs et acteurs du tiers secteur, et des exemples de projets innovants mis en oeuvre, notamment dans le champ de l'insertion, l'auteur plaide pour le développement de cet entreprenariat collectif engagé, qui constitue « un moyen privilégié de changer la société et de se changer soi-même ».
Comprendre l'économie sociale. Fondements et enjeux - Jean-François Draperi - Ed. Dunod - 25 € .
Se méfier des abus de langage, mais ne pas hésiter à appeler un chat un chat : telle est la leçon du vigoureux opuscule que Robert Castel consacre à l'analyse des émeutes de l'automne 2005. Il est tout aussi impropre, explique le sociologue, de baptiser « ghettos » les quartiers périphériques des grandes villes, qui ne constituent pas - en tout cas, « pas encore » - des enclaves ethniques laissées à l'abandon, que de qualifier d'« exclus » les jeunes qui se sont révoltés dans certaines banlieues. Loin de se trouver retranchés du jeu social, les intéressés - souvent de très jeunes hommes, en majorité issus de l'immigration - sont, le plus souvent, des citoyens français et ils bénéficient des attributs de la « citoyenneté sociale », c'est-à-dire de la protection contre les principaux risques sociaux. En revanche, on aurait tort de ne pas reconnaître pour ce qu'elles sont les disparités de traitement dont ces jeunes sont victimes - dans l'espace public, l'accès à l'emploi, au logement... : des discriminations (négatives) ethno-raciales. D'où le profond sentiment d'injustice qui les anime et constitue, pour Robert Castel, le non-dit politique d'une révolte à comprendre, au moins pour partie, comme une révolte civique : « En plus de se trouver dans une situation sociale souvent désastreuse, les émeutiers voulaient aussi régler des comptes avec la société française accusée d'avoir failli à ses promesses. » Mais comment donner toute leur place aux représentants des minorités ethniques qui cumulent le double handicap de la race et de la classe ? Sans s'attarder sur des propositions « plus faciles à dessiner qu'à réaliser », l'auteur répond à cette question en invitant la République à accepter franchement son caractère multiculturel et pluri-religieux. Il lui enjoint également de développer des politiques énergiques de discrimination positive territorialisées, afin qu'elles bénéficient à tous les jeunes de milieux défavorisés, sans en désigner certains à la « vindicte publique ».
La discrimination négative. Citoyens ou indigènes ? - Robert Castel - Ed. du Seuil - 11,50 € .
Depuis 2000, les deux tiers des bailleurs sociaux de la communauté urbaine de Lyon ont développé, avec leurs locataires et personnels de proximité, une politique visant à lutter contre l'insécurité. Celle-ci a été engagée au terme d'un long travail préparatoire, et notamment d'actions d'insertion de jeunes chômeurs vivant dans ces logements, qui ont été employés à leur remise en état. Promoteur de ce programme « partenariat pour la tranquillité », que les offices d'HLM ont construit avec la police, la justice et les élus locaux, Charles Romieux, directeur de l'OPAC du Rhône, décrit la dynamique d'une démarche qui, avec leur mobilisation, parvient à garantir aux habitants la jouissance paisible des lieux, prévue par leur contrat de location.
Logement social et traitement de l'insécurité. Eléments d'analyse méthodologique - Charles Romieux - Ed. L'Harmattan - 14,50 € .
Le comité national d'action sociale, branche française du comité international d'action sociale créé en 1928, a, lors d'un colloque organisé les 8 et 9 décembre 2006, abordé le thème de la lutte contre les discriminations dans une approche internationale. Quelles sont les origines du concept américain d'« affirmative action », qui a d'une certaine manière influencé les directives européennes contre la discrimination, elles-mêmes à l'origine de la création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ? Quel est, depuis les années 60, l'impact de cette politique sur les modes d'action en Europe ?
Comité national d'action sociale : 18, boulevard de Grenelle - 75015 Paris - Tél. 01 40 59 62 22.
Le Clicoss (comité de liaison et de coordination des services sociaux) 93 a consacré une journée d'études au surendettement le 5 juin dernier. Au-delà des données locales, les interventions mettent en perspective le traitement social et judiciaire, ainsi que les moyens d'améliorer la prévention du surendettement. Cette réalité touche majoritairement (94 %) des personnes présentant des arriérés de charges courantes, le plus souvent liées au logement. La loi Borloo du 1er août 1993, qui a instauré la procédure de rétablissement personnel, a suscité parmi elles une vague d'espoir, qui s'est traduite par une augmentation de 18 % en un an du nombre de dossiers de surendettement déposés en Ile-de-France et dans les mêmes proportions au niveau national. Mais le rétablissement personnel n'est proposé que dans 13 % des dossiers en moyenne et réellement jugé dans 6 à 8 % des cas. Des taux de loin inférieurs à ceux initialement prévus.
Clicoss 93 : 22, rue Hector-Berlioz - 93000 Bobigny - Tél. 01 48 32 93 98.