Quatre mois après la garde à vue d'une assistante sociale de Belfort (1), suspectée d'aide au séjour irrégulier sans qu'aucune charge ne soit finalement retenue contre elle, deux intervenantes salariées de France terre d'asile (2) ont été, le 19 novembre, interpellées à leur domicile parisien. Elles ont été placées en garde à vue à Calais, pendant 12 heures pour l'une, 24 heures pour l'autre, dans le cadre d'une enquête sur une affaire « d'aide au séjour irrégulier en bande organisée ».
« La pénalisation du travail social n'est pas acceptable », s'insurge Pierre Henry, directeur général de l'association. Il explique que France terre d'asile, dans le cadre d'un dispositif de protection de l'enfance financé par l'Etat, a pour mission de mettre à l'abri de jeunes étrangers originaires d'Afghanistan, d'Irak ou d'Iran en transit à Paris, rencontrés dans la capitale lors de maraudes nocturnes. L'association leur fournit une attestation de suivi social comportant le nom, le prénom et l'âge allégué par les jeunes, qui leur permet d'être hébergés. « Notre association n'a pas le pouvoir réglementaire de dire qui est mineur ou pas [...]. Simplement, les intervenants sociaux doivent signaler au parquet et à l'aide sociale à l'enfance toute personne lui semblant en état de minorité. » Or le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer a estimé que les salariées de France terre d'asile ont délivré « de façon très généreuse » ces documents à des individus qui venaient « revendiquer cet état de minorité, faux, dans le cadre d'autres démarches ». Finalement, le parquet n'a retenu aucune charge contre les deux intervenantes sociales, concluant à « une générosité mal placée ».
Mais l'association ne compte pas en rester là. Pour Pierre Henry, les salariées ont au pire manqué de distance professionnelle en « transmettant leur numéro de portable privé à certains jeunes Afghans, pris en charge par notre organisation et qui semblent impliqués dans une affaire d'aide au séjour irrégulier ». Mais elles n'ont en aucun cas cherché à tromper les institutions et mérité un tel traitement. Il existe, selon lui, d'autres raisons de contester les motifs de cette garde à vue. Même si les attestations de minorité délivrées aux jeunes n'ont qu'une « valeur symbolique » n'engageant pas le statut du jeune, « le procureur semble ignorer la loi sur la protection de l'enfance qui s'applique jusqu'à 21 ans pour les jeune(3) en difficulté ou privés temporairement ou définitivement de leur environnement familial ».
Autres éléments essentiels : selon la loi du 26 novembre 2003, l'aide au séjour irrégulier est constitutive d'un délit pour les personnes physiques et morales, sauf en cas de danger actuel ou imminent pour la sauvegarde de la vie ou l'intégrité physique de la personne. Ce qui peut être interprété comme une immunité, certes restrictive, des activités associatives. En outre, le Conseil constitutionnel a modifié la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, en précisant que « le délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger en France commis en bande organisée ne saurait concerner les organismes humanitaires d'aide aux étrangers ». Sur ce point précis, le fait que les deux intervenantes interpellées soient salariées de l'association est important.
France terre d'asile étudie aujourd'hui les moyens de donner « à cette affaire toutes les suites juridiques qui lui sembleront nécessaires ». Alors que cet incident n'est pas isolé, l'association fait circuler une pétition « contre la pénalisation du travail social », qui a déjà reçu nombre de signatures, dont celles du Centre d'action sociale protestant, de la Cimade, de la FNARS (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale), de Forum réfugiés, de la Ligue des droits de l'Homme et du SSAE (Soutien, solidarité et actions en faveur des émigrants). Pour les signataires, « l'interpellation de travailleurs sociaux en raison de leur activité professionnelle constitue une entrave caractérisée à l'exercice de leurs missions ». Ces derniers « n'aident pas au séjour irrégulier d'étrangers, mais assurent le respect du droit de toute personne à une vie décente et à la dignité ».
(2) France terre d'asile : 24, rue Marc-Seguin - 75018 Paris - Tél. 01 53 04 39 99 -