« La Convention internationale des Nations unies relative aux droits de l'enfant (CIDE) a eu 18 ans le 20 novembre. Le bel âge, celui de la majorité, où l'enfant s'émancipe de la tutelle des adultes qui veillaient sur lui jusque-là, celui où il acquiert la pleine capacité juridique, celui aussi où il peut à son tour exercer son autorité, par exemple sur ses propres enfants... Tentons la métaphore : peut-on imaginer que la convention, tel un enfant, ait vécu jusqu'à présent «sous tutelle», dans l'incapacité juridique d'imposer aux Etats parties le respect des obligations qu'ils ont contractés en la ratifiant ? Et qu'à ses 18 ans, le moment soit enfin venu qu'elle fasse autorité ?
A vrai dire, ce n'est pas tant la convention que les Etats qui l'ont ratifiée que nous devrions considérer comme des «mineurs» vis-à-vis des droits de l'enfant. C'est d'ailleurs un peu l'esprit du texte lui-même, qui n'a pas prévu de tribunal pour condamner les Etats parties qui la violeraient. D'abord parce qu'aucun Etat ne respectait en 1989 ni ne respecte aujourd'hui l'intégralité de la convention et que les condamnations auraient plu ! Ensuite parce que la philosophie des droits de l'enfant développée par la convention en 1989 était tellement révolutionnaire qu'il fallait laisser aux Etats le temps de s'en imprégner, de se convaincre de la nécessité de ces derniers et, petit à petit, de les respecter de mieux en mieux. C'est en quelque sorte un travail d'éducation qui était prévu, par lequel les Etats inscrits sur les registres de la convention par l'acte fondateur de sa ratification seraient instruits progressivement de leurs obligations, accompagnés par leurs pairs, à savoir les autres Etats parties, dans un processus de co-développement réciproque. Ils seraient guidés aussi par des «professeurs et éducateurs» - ONG ou institutions indépendantes spécialisées dans les droits de l'enfant (tel le défenseur des enfants en France) - qui leur rappelleraient leurs obligations. De temps à autre, ils seraient placés devant un jury bienveillant mais ferme, le Comité des droits de l'enfant des Nations unies, qui leur ferait passer périodiquement des examens et leur adresserait les avis, réprimandes et recommandations nécessaires pour progresser. En quelque sorte, les Nations unies, de même qu'elles ont préféré, dans la convention, privilégier l'éducatif au répressif vis-à-vis des enfants en conflit avec la loi, ont donné la priorité à l'éducation et à l'incitation des Etats parties à mieux respecter les droits de l'enfant plutôt qu'aux sanctions en cas de manquement.
Alors, qu'en est-il de l'enfant-élève France ?
«Après avoir découvert les droits de l'enfant dans les années 90 avec la fougue que tout jeune enfant met à un nouvel apprentissage, après avoir acquis un certain nombre de compétences, avoir bien progressé en mettant notamment son droit interne en conformité avec la convention sur un certain nombre de sujets, la France a goûté, comme tout préadolescent, à une certaine liberté au 'collège' et s'est mise à en 'tester les limites' : ainsi s'est-elle dotée de lois qui flirtaient avec des violations de la convention, avec par exemple le durcissement progressif du traitement pénal des mineurs en 2002, puis 2004. L'examen du 'brevet' arriva en 2004 : le cas de la France était examiné par le Comité des droits de l'enfant. De sérieuses recommandations - des réprimandes plutôt, même si elles étaient formulées de façon très diplomatique - lui furent adressées... Et vite oubliées par l'élève France, trop heureuse d'être admise au lycée parmi les grands. Là, elle se laissa aller à de mauvaises fréquentations et entra dans la 'délinquance'. 'A quoi bon s'embêter à respecter la Convention des droits de l'enfant, se disait-elle. Je sais bien que c'est la loi internationale, mais si je me fais prendre, je suis mineure et ne risque pas grand-chose... Je fais déjà l'objet d'une AEMO (1) et mon éducatrice, la défenseure des enfants, est plutôt sympa : elle me rappelle que je fais des bêtises, mais elle ne peut pas me sanctionner. Quant au juge de Genève, je ne le vois que de loin en loin et on m'a dit qu'il était laxiste : c'est vrai, il se contente de m'admonester ! Et mon père président, un peu dépassé, n'a pas répondu aux lettres de rappel répétées d'un professeur ONG (2) : c'est que ça ne doit pas être bien grave !'
«Arrivèrent en septembre 2006 les épreuves anticipées du bac en fin de classe de première. La France devait rendre copie au jury de Genève dans deux disciplines : 'les enfants impliqués dans les conflits armés' et 'la vente et la prostitution des enfants' (3). Sur le premier sujet, elle avait surtout brodé sur la Conférence de Paris, manifestation qui avait eu lieu dans son lycée et à l'organisation de laquelle elle avait, il est vrai, activement participé. Quant à 'la vente, la prostitution d'enfants et la pornographie mettant en scène des enfants', elle avait un peu mieux révisé ce sujet et acquis quelques compétences nouvelles, mais elle avait fait l'impasse ou presque sur les mineurs étrangers isolés : ils n'étaient pas sa tasse de thé...
«Les notes ne furent pas glorieuses, mais il s'agissait d'épreuves anticipées, elles seraient prises en compte seulement l'année suivante, au moment du 'vrai bac', et la France pensait se rattraper sur les autres matières : en protection de l'enfance, elle avait fait de nets progrès, récemment, avec la nouvelle loi du 5 mars 2007... même si elle avait, pour cela, négligé des sujets autrefois mieux travaillés, comme celui des violences institutionnelles.
«Septembre 2007 : on y était, à ce fameux baccalauréat (l'élève France se présenta à la session de rattrapage car en juin elle relevait tout juste d'une longue maladie appelée campagne présidentielle). Elle rendit sa copie au jury de Genève (4). Elle avait fait l'impasse quasi totale sur la discipline 'éducation' et avait oublié, ou presque, l'expression et la participation des enfants, qui ne rentraient pas trop dans l'idée qu'elle se faisait de leurs droits. Quant aux autres matières, elle connaissait bien les principes et les règles, mais il lui manquait les chiffres attestant de leur application sur le terrain... Et surtout, elle était gênée dans deux matières : 'la justice des mineurs» et «les droits des enfants étrangers'.
«Il faut dire que l'année de terminale n'avait pas été simple : sous l'influence de bandes qui prétendaient qu'il fallait se défendre contre d'autres bandes rivales (qu'elles avaient surnommées 'les immigrés' et 'les jeunes'), et dans un contexte de peur collective qui avait gagné tout le lycée, l'élève France s'était laissée aller à une énième loi modifiant la justice des mineurs et à une autre contraignant encore le regroupement familial des étrangers, en violation évidente de la convention. De plus, elle se livrait régulièrement à des actions commandos pour expulser hors du lycée certains membres de la bande des immigrés. Bref, l'adolescente France était devenue multirécidiviste. Elle devait même comparaître devant le tribunal pour enfants en même temps qu'elle passerait le bac (fort heureusement, une coutume locale voulait que le jury spécialisé de Genève ait compétence dans les deux domaines, éducatif et répressif). Allait-on lui appliquer des peines planchers ? Allait-on, puisqu'elle approchait de ses 18 ans d'Etat partie à la convention, la traiter en adulte et la punir pour ce qu'elle avait fait sans même examiner sa personnalité ? D'autant qu'elle ne savait plus trop qui elle était : elle s'était même dotée d'un ministère de l'Identité nationale pour essayer de retrouver ses racines... Et ce n'était pas facile car certains, cherchant à l'embrouiller, prétendaient qu'elle avait des racines historiques dans la bande rivale des immigrés. C'est tout juste si elle se souvenait de son âge d'Etat partie, tellement la ratification de la convention lui paraissait lointaine...
«L'examen du bac, qui devait la déclarer 'majeure en droits de l'enfant', se présentait bien mal. Mais l'élève France ne s'inquiétait pas trop : sans travailler beaucoup et malgré ses bêtises, elle réussissait bien mieux que beaucoup de ses camarades Etats parties à la convention. Elle avait des 'facilités' ; et puis, n'avait-elle pas entendu qu'on donnait le bac à tout le monde ?
«C'est alors que le jury de Genève, émettant un sérieux doute sur l'authenticité de la carte d'identité de la candidate (son aspect physique ne ressemblait plus tellement à la photo prise en 1989) et sur son âge (elle ne semblait pas très mûre du point de vue des droits de l'enfant), fit procéder à des tests ADN et demanda une expertise osseuse. On fit des prélèvements et l'on radiographia tous les dossiers de l'élève France : on s'aperçut qu'elle était bien l'Etat qui avait signé la Convention des droits de l'enfant en 1989 mais qu'elle l'avait ratifiée seulement le 7 août 1990... Sauvée ! En tant qu'Etat partie, elle n'avait donc que 17 ans ! On pouvait par conséquent continuer à lui appliquer des mesures éducatives pour l'aider à s'insérer dans la communauté des Etats respectant la convention. Et même, si elle en avait besoin, peut-être aurait-elle droit à un contrat d'aide «jeune majeur» au-delà de ses 18 ans (mais il n'y avait plus beaucoup de crédits pour ces contrats).
«Quant à ses études, elle avait gagné le droit de redoubler sa terminale et de travailler très dur pour redresser la barre. Le jury lui conseilla même de se rapprocher de son éducateur défenseur des enfants et de se faire aider par des tuteurs, les ONG des droits de l'Homme et de l'enfant, pour mieux comprendre ce qu'étaient les droits de l'enfant selon la convention. Après tout, peut-être ne la connaissait-elle pas suffisamment ? Il lui donna donc rendez-vous en janvier 2009 (5).»
Tout cela n'est évidemment qu'une fiction métaphorique. Et pourtant, l'Etat français, en ne respectant pas les obligations qu'il a contractées en ratifiant la convention, en ne tenant pas compte des mises en garde de la défenseure des enfants ni des recommandations du Comité des droits de l'enfant de l'ONU, donne précisément aux jeunes le mauvais exemple : pourquoi devraient-ils respecter leurs obligations vis-à-vis de la loi si l'Etat ne le fait pas ? Car, rappelons-le, cette convention n'est pas une belle déclaration, c'est un traité international qui a force de norme juridique supérieure à nos lois françaises. Alors il est grand temps que l'Etat français comprenne qu'il sortirait grandi, enfin «majeur», en reprenant le chemin du progrès vers un meilleur respect de ce texte. La société a tout à gagner à montrer aux enfants qu'elle est déterminée à faire valoir concrètement l'ensemble de leurs droits.
Oui, le moment est venu qu'enfin la Convention des droits de l'enfant fasse autorité en France et que l'Etat français se comporte en «adulte majeur et responsable», respectueux de ses obligations. »
(1) Action éducative en milieu ouvert.
(2) DEI-France a écrit à deux reprises à Jacques Chirac pour lui demander quelles suites il comptait donner aux recommandations émises par le Comité des droits de l'enfant en juin 2004, sans obtenir aucune réponse.
(3) La France a rendu en septembre 2006 au Comité de Genève ses rapports initiaux sur ces deux protocoles facultatifs à la convention.
(4) La France a remis le 5 septembre 2007 ses troisième et quatrième rapports périodiques sur l'application de l'ensemble de la convention.
(5) L'examen du cas de la France par le Comité des droits de l'enfant des Nations unies est prévu à la 50e session du comité en janvier 2009.