Dans le silencieux parc boisé de l'hôpital psychiatrique Maison-Blanche, à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), beaucoup de pavillons sont clos. Depuis que l'hôpital s'est restructuré pour se rapprocher de la cité, des centaines de lits ont fermé. Mais, dans certains bâtiments, les malades ont été remplacés par d'autres exclus : c'est là que, en août 2006, l'association le Coeur des haltes a ouvert un centre d'hébergement de stabilisation, dans la foulée du rapport d'Agnès de Fleurieu, présidente de l'Observa-toire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) (1). Commandé par le gouvernement pour dénouer la crise des tentes à Paris, celui-ci préconisait de construire une offre d'hébergement adaptée pour sortir de la rue les personnes très désocialisées, en s'appuyant « sur des projets, déjà expertisés par les associations et la DASS [direction des affaires sanitaires et sociales] de Paris, de quelques structures, de taille moyenne, à faible encadrement d'accueil, permettant un premier travail de réadaptation ». Or il se trouvait que le Coeur des haltes, comme le Centre d'action sociale protestant (CASP) et Emmaüs, avait déjà une première expérience à faire valoir en la matière.
Bien avant les opérations coups de poing de Médecins du monde et des Enfants de Don Quichotte, l'association avait en effet ouvert une première unité de stabilisation en mars 2005, destinée aux « personnes vieillissantes » à la rue. « Que pouvions-nous proposer à ceux qui ne voulaient ou ne pouvaient plus être en dynamique de recherche permanente nuit après nuit, alors qu'il n'y a plus de fluidité dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale ? », explique Philippe Gobillon, directeur général adjoint de l'association. Dans un premier bâtiment mis à disposition par l'hôpital, le Coeur des haltes ouvre 40 places pour des personnes pour la plupart âgées de plus de 55 ans, marquées par dix, parfois quinze ans de vie dans la rue. Cette unité expérimentale propose un hébergement 24 heures sur 24, sans limitation de durée. « Certains ne revenaient que tous les trois ou quatre jours, espaçant petit à petit leurs absences. D'autres ont préféré dormir au pied de leur lit, avant de s'habituer à dormir dedans », raconte Philippe Gobillon. La structure bouscule les règlements habituellement en vigueur, en servant un verre de vin à table tous les soirs tout en interdisant l'introduction d'alcool dans la structure. Un détail qui n'a rien d'anecdotique : en quelques semaines, nombreux sont ceux qui avaient déjà réduit leur consommation : « ils n'avaient plus besoin de la boisson comme vecteur de socialisation, ni comme anesthésiant pour la nuit ». Au bout de trois mois d'expérimentation, la structure a remporté son pari : redonner à ses hébergés la notion du temps et des repères de la vie quotidienne.
Un an plus tard, alors que les associations dénoncent depuis des années les limites du dispositif d'urgence, Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale de l'époque, répond aux préconisations de la présidente de l'ONPES et entérine officiellement le concept de « stabilisation ». Le Coeur des haltes ouvre un deuxième pavillon de 48 places, également mis gratuitement à disposition par l'hôpital Maison-Blanche et financé par la DASS de Paris. Destiné d'abord aux personnes qui vivent sous les tentes, il héberge des hommes, mais aussi des couples et quelques femmes seules, principalement orientés par les maraudes de l'association et admis pour une durée de un mois tacitement reconductible. Point commun du public accueilli : il rejette les structures d'urgence classiques ou présente un état de fatigue ou de santé inadapté à leur mode de prise en charge. La population hébergée, plus jeune que dans le premier pavillon (40 ans en moyenne), nécessite un projet pédagogique davantage inscrit dans une perspective d'insertion sociale et professionnelle. Mais le temps et la vie en collectivité y sont également utilisés comme outils d'accompagnement.
Comment s'y organise la prise en charge ? Dans cette unité où le rythme éducatif ne prévaut plus, l'atmosphère surprend par son calme, ponctué par les moments de vie collective. En milieu de journée, la plupart des personnes hébergées sont déjà sorties, parfois pour retrouver l'ancien quartier où elles avaient leurs habitudes, tandis que d'autres sont encore au fond de leur lit. Les coins « bibliothèque » et « télévision » sont déserts, mais des sons de radio émergent de quelques chambres. Quelques-uns tout de même, parmi les plus anciens, déambulent dans les couloirs, fraîchement douchés et rasés de près. Comme cet homme d'une trentaine d'années, qui explique volontiers où porter ses draps et son linge à laver. Ou ce sexagénaire, chambre impeccablement tenue, qui va bientôt recouvrer ses droits à la retraite - quelque 600 € par mois - après la suppression de son allocation pour adultes handicapés, pour cause de « barrière d'âge ». D'autres s'activent à mettre le couvert pour le déjeuner. Car si les hébergés sont libres d'aller et venir, ils sont également tenus de respecter les principes du « lieu de vie » que constitue l'unité d'hébergement : chacun donne une « journée de service » par semaine en aidant l'un des trois agents d'entretien à s'occuper des repas et à nettoyer les parties communes. Epaulés à leur tour par le personnel, ils sont aussi responsables de l'entretien de leur chambre, à deux lits pour la plupart ou individuelles. Petit à petit, ils réapprennent les gestes les plus élémentaires pour un citoyen « ordinaire » : se laver, ranger son espace de vie, organiser une armoire... Ici, pas de vin à table, contrairement au premier pavillon. « Les plus jeunes sont davantage malades d'alcoolisme que les publics âgés », justifie Béatrice Tessier, chef de service. Beaucoup arrivent dans un état de fatigue extrême et passent parfois leurs premières semaines à dormir, surtout les femmes, « qui vivent aussi une véritable libération sur le plan de l'hygiène corporelle, début de la reconstruction de l'estime de soi ». La réparation n'est pas seulement sociale, elle est aussi physique, visible sur les traits de ceux qui, quelques mois plus tôt, n'étaient encore que l'ombre d'eux-mêmes.
Dans le bureau de la chef de service, toujours ouvert, les échanges avec les hébergés sont incessants. Pour évoquer une bouteille de bière mise au placard, un réveil vers 16 heures - « il faut revivre le jour, dormir la nuit » -, des médicaments, des dizaines par jour pour certains, à ne pas oublier... C'est aussi dans cet endroit stratégique de la vie du centre qu'est mise au point l'organisation de l'équipe. Répartir les journées de huit heures et un week-end sur deux, « un véritable casse-tête pour les repos compensateurs... », soupire Béatrice Tessier. Avant que des veilleurs de nuit ne prennent le relais, quatre animateurs socioculturels se partagent les demi-journées - de 8 heures à 14 heures ou de 14 heures à 22 heures. C'est sur eux que repose l'accompagnement socio-éducatif. Un travail presque invisible, tant il se fonde sur les relations, la confiance mutuelle, le soutien à l'autonomie. « Se préoccuper seulement des besoins matériels ne redonne pas la vie aux gens, souligne Mona Chasserio, directrice générale du Coeur des haltes et inspiratrice, avec Danielle Huèges, de ce projet pédagogique. Alors qu'au sein d'une communauté, les résidents se resocialisent en apprenant à vivre ensemble. » A côté des animateurs qualifiés exercent également des salariés recrutés d'abord pour leur expérience de l'urgence et de la vie en collectivité. Etre capable de gérer ses propres émotions, face à des personnes très abîmées ou violentes, fait partie des pré-requis. « Il faut savoir identifier tous les mécanismes de défense développés par les personnes en état de survie, ajoute Mona Chasserio. Décoder, entendre, être au plus près de la relation, sans chercher à coller aux théories... » José, ancien bénévole aux Petites Soeurs de la charité, atteste : « Parler, discuter, c'est ce dont les hébergés ont le plus besoin, surtout quand le soir arrive... »
Autre moyen pour structurer le quotidien : les ateliers, qui, malheureusement, doivent être financés avec les moyens du bord, faute de budget spécifique. S'ils semblent « occupationnels », ils sont des outils éducatifs à part entière. L'atelier « cuisine », par exemple, permet à la fois de travailler sur la vie collective, l'organisation d'un budget et le plaisir des repas. Une dizaine de résidents y participent une fois toutes les deux semaines en acceptant de l'autofinancer. D'autres activités sont organisées autour de la mosaïque, de l'écriture, de la musique. « Elles permettent aussi d'observer les capacités de ceux qui sont motivés par l'emploi, précise Béatrice Tessier. Cer-tains affirment dès le départ qu'ils veulent travailler. Mais s'ils ne sont pas capables de tenir le coup une demi-journée par semaine, cela signifie qu'ils ne sont pas prêts. »
Dans cette unité de stabilisation, les résidents prennent aussi le temps d'être acteurs de leurs démarches administratives. « Lorsque j'accueille les nouveaux arrivants, je leur demande ce qu'ils attendent de la structure, leur explique ce qu'ils peuvent y trouver, leurs contraintes. Certains réfléchissent un mois avant d'accepter de voir l'assistant social », précise la chef de service. Mais il n'y a pas de perte de temps pour autant. Informé du parcours des personnes accueillies, l'assistant social peut mieux expliquer son rôle, instaurer une discussion qui fait émerger des demandes. « Le fait d'avoir un référent sur place accélère la reconstruction des dossiers, qui peut prendre habituellement 18 mois », ajoute Béatrice Tessier. Parmi les hébergés, très rares sont ceux qui disposent d'une pièce d'identité, d'un revenu ou d'une couverture sociale, bref, ce qui définit un individu sur le plan administratif. Pierre Ongala, l'assistant social, explique comment il contribue à cette renaissance de l'identité. Sa mission ne se limite pas à la simple ouverture de droits (allocation pour adultes handicapés, retraite, couverture maladie ou RMI) : « Quand elles me voient pour la première fois, rares sont les personnes qui disent ne pas avoir de papiers, souligne-t-il. Il faut d'abord créer les conditions d'un échange, sans chercher à les mettre dans des cases. Certaines sont en France depuis l'âge de 14 ans et ont tout perdu. Il faut alors faire un travail de fouille, aller dans toutes les administrations, en région, pour trouver un acte de naissance et tenter de rouvrir des droits. » Il arrive que les hébergés apprennent qu'ils ont des droits à la retraite en sommeil à l'autre bout de la France, dont ils n'ont jamais perçu le moindre euro.
Pour construire les parcours d'insertion, l'unité de stabilisation recourt aux ressources internes de l'association Coeur des haltes à Paris : l'espace Emploi, qui assure un appui social individualisé, l'espace de resocialisation et la halte-jeunes, qui propose aux 18-25 ans un accompagnement socio-éducatif adapté. Les services sociaux, comme les référents RMI ou les permanences sociales d'accueil de la Ville de Paris, destinées aux sans-abri pour l'accès aux droits sociaux et l'attribution d'aides financières, sont également sollicités. Qu'ils les accompagnent physiquement dans leurs démarches ou pas, chez un médecin, un assistant social de circonscription, visiter une maison de retraite, les animateurs consignent chaque rendez-vous. Leur suivi fait partie des outils d'évaluation de l'autonomie des personnes.
Incontestablement, la complexité et le cumul des difficultés des publics imposent pour le dispositif de stabilisation des équipes pluridisciplinaires, étayées en nombre et en compétences. La DASS de Paris, elle, finance le dispositif sur la base de son projet, fondé sur l'accompagnement socio-éducatif, soit 43 € par jour et par personne. Sensiblement moins que l'unité de stabilisation voisine gérée par le CASP, dont le projet est centré sur l'accompagnement psychologique des femmes qu'elle héberge. Alors que la majorité des résidents du centre du Coeur des haltes présente de lourdes pathologies, chroniques ou psychiatriques, un médecin intervient pour l'heure seulement à mi-temps et une permanence psycho-sociale est tenue une demi-journée par semaine. L'association espère, à travers un partenariat avec l'hôpital Maison-Blanche, mettre prochainement en place une permanence d'infirmière psychiatrique. Elle fait aussi appel à un cabinet d'infirmières libérales, rémunérées par l'intermédiaire de la CMU. « Il faut définir la nature des besoins, mais aussi innover dans les moyens de les mobiliser », défend Philippe Gobillon. La structure pourrait néanmoins fonctionner à meilleur régime si elle disposait d'un ou de deux postes supplémentaires. Elle n'a pas le budget suffisant pour recruter un éducateur spécialisé. « J'ai demandé davantage de moyens pour améliorer la prise en charge dans le centre et dans les abords immédiats, concède le directeur général adjoint. Car les hébergés vivent dans le centre de stabilisation, mais aussi dans la ville. Ils ont par exemple formé un point de fixation, sur la place d'un supermarché, qui nécessite parfois de résoudre des problèmes, de faire de la médiation. Cela fait aussi partie de l'accompagnement éducatif. »
L'objectif de l'hébergement de stabilisation, selon le PARSA (plan d'action renforcé pour les sans-abri), était d'offrir une pause aux « grands cassés », mais surtout de les sauver du cercle infernal de l'urgence sociale. En cela, le dispositif du Coeur des haltes a-t-il tenu la feuille de route ? Le premier pavillon ouvert en mars 2005 pour les personnes « vieillissantes » a accueilli 69 hébergés en 2006. Une trentaine sont sortis, dont la moitié pour rejoindre, principalement, une résidence de retraite médicalisée, un lit d'hôpital, ou encore une résidence familiale, une maison de retraite ou un logement privé. 31 % sont partis volontairement et 18 % ont été exclus, en raison de comportements violents, la loi DALO, par respect du principe de « non-remise à la rue », autorisant dans ce cas à réorienter les fauteurs de trouble vers une autre structure. Mais le rythme des sorties « positives » s'est accéléré en 2007 : cinq résidents ont rejoint une résidence de retraite entre janvier et septembre dernier. Dans le second pavillon ouvert en août 2006, la moitié des 93 sans-abri accueillis sont partis pendant les cinq premiers mois d'accueil - près de 20 de leur propre chef, une dizaine pour violence. Vingt ont été orientés vers d'autres structures d'hébergement et cinq sont retournés dans leur famille. Là encore, les sorties définitives progressent : de janvier à septembre, cinq personnes ont intégré un hébergement stable - résidence sociale ou hôtel meublé au mois dans l'attente d'un logement social. Deux d'entre elles ont décroché un contrat à durée indéterminée, les autres bénéficient d'un contrat aidé. Ces résultats sont loin d'être négligeables : « le projet paraissait au départ utopique, insiste Béatrice Tessier. Il est intéressant de voir que ces personnes, sans abri pendant plus de dix ans, ne retourneront jamais à la rue. » L'un d'eux, aujourd'hui salarié, ne savait même plus dire bonjour ou avoir un contact sans agressivité lorsqu'il est arrivé.
Certains commencent aussi à disposer d'un bungalow dans le « village de l'espoir » ouvert en mars dernier par l'association pour proposer un premier logement à ceux qui ont déjà démarré un parcours d'insertion. Quant aux autres, ils sont toujours à demeure, dans l'attente d'un accès à une réhabilitation sociale dont ils n'ont pas toujours la clé. La moitié des personnes accueillies est là depuis l'ouverture du centre, dont une dizaine a entamé un accompagnement vers l'emploi. D'autres sorties sont prévues pour la fin de l'année. Pour les résidents comme pour ceux qui attendent dehors, les solutions pressent. A la prochaine place disponible, le centre d'hébergement devait donner la priorité à un homme de 83 ans. A la rue.
Face à la diversité des projets, un bilan de l'hébergement de stabilisation et une clarification s'imposent.
Une offre alternative d'hébergement pour un public très désocialisé, à la rue et dont l'état de santé est dégradé, assortie d'un accompagnement social continu, grâce à une équipe pluridisciplinaire et un fort taux d'encadrement. C'est ainsi que la direction régionale des affaires sanitaires et sociales d'Ile-de-France (Drassif) décrit le dispositif de stabilisation dans son cahier des charges, directement inspiré des premières expérimentations, et qu'elle a adressé aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales début 2007.
Au niveau national, alors que le PARSA (plan d'action renforcé pour les sans-abri) prévoyait 6 000 places de stabilisation dans l'année, par transformation ou création, la direction générale de l'action sociale (DGAS) en dénombrait déjà près de 5 950 à la mi-octobre, dont plus de la moitié en Ile-de-France. Les prévisions seront donc largement remplies, voire dépassées. Mais combien répondent effectivement à l'objectif initial, avec, au-delà d'une ouverture 24 heures sur 24, une vraie transformation des pratiques ?
L'atout du dispositif de stabilisation est « de faire entrer le travail social dans des lieux auparavant dominés par une intervention d'assistance », estime Pascal Noblet, chargé de mission « urgence sociale » à la DGAS. Or accompagner dans la durée et de manière individualisée les publics les plus fragiles ne peut pas se faire sans moyens. L'Etat l'a d'ailleurs compris : de 38 € par jour et par place initialement prévus pour le dispositif, il peut financer aujourd'hui jusqu'à plus de 45 €, soit un coût approchant celui de certains centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), même s'il reste en moyenne en deçà. Des structures fonctionnent d'ailleurs sur le même mode. Comme la Cité André-Jacomet, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, qui emploie neuf travailleurs sociaux pour 124 résidents.
En passant à l'hébergement continu, elle a diminué sa capacité de près de dix places. « Nous avons modifié notre projet d'établissement, c'est un autre métier, témoigne Luc Monti, son directeur. Nous sommes d'ailleurs passés sous le statut CHRS : nous sommes financés en dotation globale, fonctionnons comme un centre de réinsertion, mais nous accueillons immédiatement les personnes orientées par le 115, sans commission d'admission et pour une durée fixée en accord avec les hébergés. »
Après avoir ouvert l'un des premiers centres, à Perray-Vaucluse, dans l'Essonne, Emmaüs a, dans le cadre du PARSA, transformé 1 000 places d'urgence en places de stabilisation. Patrick Rouyer, directeur des missions sociales, estime en revanche que l'adaptation n'est pas si simple : « Les conditions d'accueil des structures d'urgence, qui manquent de lieux de convivialité, d'espaces communs, ne sont pas suffisantes pour permettre aux personnes de rester toute la journée », explique-t-il. Plus cruciale encore est la question de l'encadrement : « Pour basculer d'une logique d'accueil à une logique d'accompagnement, nous allons recruter de 15 à 20 travailleurs sociaux dans l'année, afin d'arriver à un ratio de deux postes pour 50 hébergés. Ce n'est pas assez, mais c'est un minimum. » Il y a aussi selon lui des limites au nouveau dispositif : « Que fait-on des gens présentant des troubles du comportement, qui ne peuvent rester dans les centres d'hébergement et que l'on n'a pas les moyens de soigner ? Il manque un maillon entre le médical et le social », argumente Patrick Rouyer, expliquant que l'association a, début novembre, ouvert une nouvelle unité d'accueil de nuit pour permettre une solution pour les populations qui restent non prises en charge.
Urgence et/ou stabilisation ?
Au vu de la diversité des projets, les frontières ont fini par devenir floues. Pour ne pas emboliser les centres, n'est-on pas encore une fois en train d'écrémer les publics et de faire de la plupart des structures de stabilisation des centres d'hébergement d'urgence « améliorés » ?, s'interrogent le Coeur des haltes et le Centre d'action sociale protestant (CASP), qui a ouvert en janvier 2006 une « Maison de stabilisation » dans l'hôpital Maison-Blanche, destinée aux femmes « vieillissantes » à la rue. Les dispositifs d'urgence et de stabilisation visent les mêmes orientations, mais sont en théorie dédiés à des publics distincts, et de ce fait nécessitent des modes de prise en charge différents, défendent Sylvain Cuzent, directeur du CASP, et Philippe Gobillon, directeur général adjoint du Coeur des haltes. Il ne faut pas se limiter à une amélioration des conditions d'accueil et reconsidérer l'environnement proposé « en termes de définition du cadre lui-même, dans ses principes comme dans ses modalités pédagogiques, éducatives, voire même thérapeutiques ». Faute de quoi le système serait détourné de sa mission initiale au détriment des plus fragiles : « Même si ce glissement est induit par un manque de places criant, il s'agit bien d'une perversion du système au profit des «plus facilement insérables» », poursuivent-ils. A l'approche de la conférence de consensus organisée par la FNARS (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale) les 29 et 30 novembre - qui a été précédée par l'installation d'une conférence régionale en Ile-de-France sur l'hébergement des sans-abri par Christine Boutin le 20 novembre -, les deux responsables associatifs demandent un débat sur le maillage des dispositifs et l'évaluation de l'hébergement de stabilisation promise par le gouvernement en 2006.
La DASS de Paris, interpellée par les associations sur la question, a de son côté lancé un état des lieux en mettant sur pied un groupe de travail avec les associations gestionnaires. « Nous souhaitons, à partir des pratiques parisiennes, voir ce que cette terminologie a entraîné dans le dispositif, la clarifier, avec l'objectif de diffuser un guide d'orientation à la fin de l'année », explique François Petit, chef du pôle « solidarité et insertion » à la DASS. Cette réflexion apporte de l'eau au moulin de la FNARS qui, bien sûr favorable à la notion d'hébergement durable, a toujours jugé peu pertinente l'idée d'ajouter un nouveau dispositif au mille-feuille existant. « Il faut se garder de raisonner par catégorie de public, commente Nicole Maestracci, sa présidente. Les projets sont multiples pour la stabilisation, comme ils le sont pour l'insertion. Cette diversité est positive si, sur un territoire, les acteurs s'engagent à trouver des solutions adaptées à des besoins préalablement évalués. Il n'est pas nécessaire d'avoir plusieurs dispositifs, mais plus ou moins d'accompagnement social selon les besoins. Les distinctions de structures ne sont claires que dans les circulaires ! »
Le service d'hébergement et d'accompagnement à la stabilisation (SHAS) de Marseille est l'illustration même de cette approche. Avant la première expérimentation du Coeur des haltes, l'association Gestion d'hébergement d'urgence (GHU) a sans doute été un pionnier sur tout le territoire en offrant, dès l'hiver 2004, un hébergement stable à 40 personnes « sédentarisées dans l'accueil d'urgence ». Mais l'idée était dans un premier temps de remettre en selle ceux qui ne sont pas loin de l'insertion, pendant une période fixée à quatre mois. « Nous sommes complémentaires des CHRS, explique Yann Renaud, responsable du SHAS, en accueillant des personnes qui n'entrent pas dans le cadre d'une insertion par l'emploi, comme les bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, les personnes âgées, ou bien les personnes à la rue capables de se remobiliser en quelques mois. » Pour adapter son offre d'hébergement à l'ensemble des besoins, l'association prévoit d'ouvrir prochainement une autre unité de 50 places, cette fois destinée à un public très marginalisé, sans limitation de durée.
Ne pas recréer des « hospices »
Les structures expérimentales montrent qu'une prise en charge médico-sociale dans la durée peut conduire les « grands cassés » vers des solutions comme les maisons-relais, les hébergements d'insertion, une résidence de retraite ou même un logement autonome. « La balle est dans le camp des associations », souligne David Berly, directeur de l'unité de stabilisation du CASP, qui soulève un autre problème : « Il ne faudrait en aucun cas recréer les hospices, ou des logements pour les pauvres, ce serait un échec pour la société. » Ce qui conduit les associations à réfléchir aussi à « l'après-stabilisation ». Pour pallier le manque de solutions de logement, le CASP développe un projet de logements partagés pour quatre ou cinq personnes, avec un accompagnement social, dans le parc privé.
M. LB.