Dans un avis rendu public le 8 novembre (1), le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est prononcé sur les problèmes éthiques posés par la contrainte budgétaire en milieu hospitalier. Dans un contexte où « les dépenses de santé ne cessent d'augmenter, les difficultés financières des hôpitaux et les réformes de s'accumuler » (2), « sur quels critères peut-on fonder une décision équitable lorsqu'il s'agit de choisir entre deux impératifs souvent contradictoires : préserver la santé d'un individu et gérer au mieux celle d'une communauté de personnes ? Doit-on suivre une logique de santé solidaire mutualisée ou affecter au mieux les fonds publics dans le sens d'un bien commun auquel chacun a droit ? », s'interroge-t-il.
Selon lui, les principes fondamentaux et les enjeux éthiques des contraintes économiques de l'hôpital devraient faire l'objet d'un débat analysant la portée et les conséquences des différentes stratégies disponibles pour améliorer le rapport coût/efficacité du système hospitalier « à la lumière des missions qui lui sont assignées ». Le CCNE rappelle qu'« au-delà de sa mission fondamentale traditionnelle de soin et d'attention aux patients, qui inclut la prise en charge médicale, l'enseignement, la recherche et l'innovation thérapeutique, l'hôpital est investi d'un devoir d'aide et d'assistance sociale ». Or « négliger la mission sociale de l'hôpital ferait courir le risque d'aggraver [les] disparités socio-économiques » ainsi que les inégalités d'accès aux soins.
Dès lors, la gestion de l'hôpital peut-elle ou doit-elle être rentable ? Selon le CCNE, le coût de l'hôpital n'est « pas aussi exorbitant qu'on le croit au regard de cette mission fondamentale ». Son évaluation devrait notamment tenir compte des coûts engendrés par l'absence ou l'abandon partiel d'une stratégie de soins efficace pour tous, c'est-à-dire du « manque à gagner » entraîné par l'augmentation de la morbidité et du taux d'invalidité, par la perte de main-d'oeuvre active ou la dépendance accrue des personnes.
L'instance met par ailleurs en garde contre le « danger d'un instrument de mesure unique pour évaluer le rapport coût/bénéfice » car « aucune méthode d'évaluation n'est entièrement objective, ni ne présente de valeur universelle ». Il souligne notamment que la tarification à l'activité (T2A) « en privilégiant la comptabilisation des actes techniques au détriment de l'écoute [...] conduit à considérer comme «non rentables» beaucoup de patients accueillis notamment en médecine générale, en psychiatrie, en gérontologie ou en pédiatrie, dont le coût réel de la prise en charge n'apparaît pas dans la grille de calcul ».
En conclusion, le CCNE insiste sur le fait que le caractère limité des moyens financiers dévolus au système hospitalier implique des choix de société éthiques qui doivent conduire à des prises de position publiques, que le concept de rentabilité ne peut s'appliquer à l'hôpital de la même manière qu'à une activité commerciale ordinaire, et que les bénéfices pour la collectivité ne se résument pas aux actes cotés par la T2A. Aussi recommande-t-il de réintégrer la dimension éthique et humaine dans les dépenses de santé, de réunir le « sanitaire » et le « social » en promouvant autour de la personne une meilleure coopération de l'hôpital avec des structures extérieures (maisons de soins de longue durée, hospitalisation à domicile, unités de santé carcérale...), d'accorder une place prioritaire à la prise en charge de la pathologie mentale, d'éviter l'affectation de la T2A aux actes dispensés notamment en psychiatrie ou encore de ne plus négliger le financement des soins palliatifs. Tout en relevant que « l'adaptation permanente de l'offre de soins aux besoins démographiques, aux modifications épidémiologiques, aux progrès technologiques justifie plus que dans n'importe quelle activité humaine des choix clairs, courageux, explicites aux yeux des citoyens », le CCNE souligne qu'il demeure indispensable de « gard[er] comme objectif central le service rendu aux plus vulnérables ».
(1) Santé, éthique et argent : les enjeux éthiques de la contrainte budgétaire sur les dépenses de santé en milieu hospitalier - Avis 101 - Disponible sur
(2) Installée le 16 octobre dernier, la commission « Larcher » est chargée de mener une concertation sur les missions de l'hôpital en vue de faire des propositions concrètes visant à moderniser et à recentrer l'hôpital « sur ses missions prioritaires » - Voir ASH n° 2527 du 19-10-07, p. 10.