Le conseil d'administration du Bureau international du travail (BIT) a adopté, le 14 novembre, le rapport du comité chargé d'examiner la réclamation présentée par Force ouvrière contre le contrat « nouvelles embauches » (CNE) (1). Sans grande surprise, le BIT a recalé le CNE, le jugeant non conforme à la convention n° 158 sur le licenciement de l'Organisation internationale du travail (OIT).
Créé par une ordonnance du 2 août 2005 (2), le CNE est, pour mémoire, un contrat de travail à durée indéterminée destiné aux entreprises de 20 salariés au plus. Il débute par une période de deux ans, dite « période de consolidation », pendant laquelle l'employeur peut licencier le salarié sans avoir à fournir de justification.
Pour Force ouvrière, donc, les dispositions de cette ordonnance ne sont notamment pas conformes à l'article 4 de la convention OIT n° 158, aux termes duquel un « travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement ». Elle argue également du fait que, si l'article 2 § 2 de la convention prévoit bien la possibilité d'exclure de son champ d'application « les travailleurs effectuant une période d'essai ou n'ayant pas la période d'ancienneté requise », c'est sous « la condition que la durée de celle-ci soit fixée d'avance et qu'elle soit raisonnable ». Une dernière exigence à laquelle le CNE, avec sa « période d'essai » de deux ans, ne satisfait pas, selon l'organisation syndicale. Le BIT lui donne raison.
Le rapport du comité énonce en effet qu'« il appartient à chaque pays pour lequel la convention est en vigueur de déterminer ce qui est raisonnable, compte tenu de l'objectif de la convention qui est d'assurer la protection de tous les salariés de toutes les branches d'activité économique contre les licenciements injustifiés ». Il insiste sur le fait que l'exclusion temporaire de l'application de la convention n° 158 pour un salarié doit se limiter « à ce qui peut raisonnablement être considéré comme nécessaire à la lumière des objectifs pour lesquels la période d'ancienneté a été fixée ». Et constate que, en France, la durée de la période d'ancienneté requise normalement considérée comme raisonnable par la Cour de cassation n'excède pas six mois. Le comité précise qu'« il pourrait ne pas exclure la possibilité qu'une période plus longue se justifie pour permettre aux employeurs de mesurer la viabilité économique [de l'emploi créé] et les perspectives de développement ». Mais, sur la base des circonstances apparemment prises en compte par le gouvernement français pour déterminer cette durée, il « se trouve dans l'incapacité de conclure [...] qu'une période d'une durée aussi longue que deux ans soit raisonnable ». Conclusion : « il n'existe pas de base suffisante pour considérer que la période de consolidation peut être assimilée à une période d'ancienneté requise d'une durée raisonnable, au sens de l'article 2 § 2, justifiant l'exclusion des travailleurs concernés de la protection de la convention pendant cette durée ».
Le comité a également cherché à savoir si l'ordonnance créant le CNE était ou non conforme à l'article 4 de la convention n° 158, qui dispose qu'« un travailleur ne peut pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ». Disposition qui doit être lue conjointement avec l'article 7, qui garantit au travailleur, avant tout licenciement, « la possibilité de se défendre contre les allégations formulées » sur « sa conduite ou son travail ». Or le comité constate notamment que les salariés en CNE ne peuvent bénéficier de cette procédure contradictoire et sont « obligés de saisir les tribunaux simplement pour connaître le motif de leur licenciement ». Dans ces conditions, l'ordonnance instituant le CNE « s'éloigne de manière significative des prescriptions de l'article 4 de la convention n° 158, lequel, rappelle le comité, est la pierre angulaire des dispositions de la convention ». Il en conclut donc que « la France, à l'heure actuelle, n'assure pas une application effective de [cette] convention, mais néanmoins qu'il est possible [...] qu'une réparation adéquate soit accessible aux travailleurs intéressés devant les tribunaux français », compte tenu de la reconnaissance par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation de l'application directe de la convention susvisée en droit français.
Au final, suivant les suggestions du comité, le conseil d'administration du BIT invite le gouvernement français à prendre, en consultation avec les partenaires sociaux, les mesures s'avérant nécessaires pour « garantir que les exclusions de la protection, prévues par la législation mettant en oeuvre la convention n° 158, soient pleinement conformes à ses dispositions », et à assurer que « les CNE ne puissent en aucun cas être rompus en l'absence d'un motif valable ».
« La décision de l'OIT nous impose de revoir la législation nationale pour assurer la conformité avec la convention 158 », a commenté le ministre du Travail, le 18 novembre, ajoutant que cette modification se ferait « en consultation avec les partenaires sociaux ». Et de préciser : « on est en train d'examiner juridiquement les éléments pour voir quelle suite en déduire, et il n'y a pas encore de décision consolidée ». Dès réception de la notification officielle de cette décision, Xavier Bertrand écrira à l'ensemble des organisations professionnelles pour expliquer aux employeurs que la rupture du CNE pendant la période de consolidation de deux ans n'est dorénavant plus possible sans une cause réelle et sérieuse et sans motiver la décision au salarié licencié. Le ministre posera aussi aux organisations professionnelles la question de la période d'essai applicable à ce contrat. Dès le 14 novembre, le délégué de la France à l'OIT, Gilles de Robien, avait indiqué que la France se plieerait à l'avis de l'organisation mais avait réclamé un « espace » pour négocier la flexibilisation du marché du travail.
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