Recevoir la newsletter

Travailleurs pauvres, les impensés de la protection sociale

Article réservé aux abonnés

En dix ans, l'inscription dans la durée de la pauvreté au travail s'est accompagnée d'une sollicitation de plus en plus massive des dispositifs d'aides. C'est bien souvent par cette pression que les collectivités et les acteurs sociaux ont pris connaissance d'un public jusqu'à lors invisible. Inquiétant, mal cerné par les statistiques, à mi-chemin entre l'économique et le social, le phénomène des travailleurs pauvres révèle les carences du système de protection sociale.

« Working poor » : des personnes placées dans la pauvreté malgré leur activité professionnelle. Mise en évidence aux Etats-Unis à la fin des années 80, c'est seulement en 2000, lorsque l'INSEE évoque pour la première fois l'existence en France de 1 300 000 « travailleurs pauvres » (1), que la notion de « pauvreté active » s'invite dans le débat hexagonal. Un réveil rude tant il paraissait évident que cette forme particulière de la misère restait confinée aux pays anglo-saxons et que le modèle social français constituait un rempart. C'est pourquoi, explique Julien Damon, chef du département « Questions sociales » au Centre d'analyse stratégique (2), « les travailleurs pauvres ne constituent pas pour la protection sociale française un problème parmi d'autres, mais un défi majeur. Le phénomène met en question le contenu, les orientations et la cohérence globale de la protection sociale. »

Multiplication des contrats à durée déterminée, des stages, de l'intérim, développement du temps partiel considéré dans les années 90 comme un moyen de lutter contre le chômage de masse..., tout s'est conjugué pour favoriser l'émergence d'une nouvelle catégorie de travailleurs que le système de protection sociale français, né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, n'avait pas prévue. « Celui-ci a été construit sur le modèle d'un homme qui travaillait à temps plein et subvenait aux besoins du foyer. Le décrochage qu'on a vu apparaître au fil des décennies par rapport à cette norme fait qu'on ne dispose aujourd'hui d'aucune politique sociale adaptée aux nouvelles réalités de l'emploi », observe Hélène Périvier, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Conséquences : n'entrant ni dans la catégorie des chômeurs, ni dans celle des bénéficiaires de l'assistance, pas plus que dans celle des exclus, de nouveaux publics de salariés dans l'incapacité de boucler leur budget en raison d'une activité trop faible se sont tournés vers les associations ou les services publics de proximité. « Certains responsables ont alors vu des mères de famille travaillant dans la grande distribution franchir les portes du centre communal d'action sociale [CCAS] et ont constaté à cette occasion que leurs revenus leur permettaient à peine de régler leur facture de chauffage. D'autres ont accueilli des intérimaires en attente de missions qui parvenaient difficilement à joindre les deux bouts. D'autres encore ont repéré des familles qui n'étaient jamais parties en vacances », rapporte Patrick Kanner, président de l'Unccas (Union nationale des centres communaux d'action sociale) (3).

Avec près de 80 % des embauches qui se font aujourd'hui sur la base d'un contrat à durée déterminée, et souvent à mi-temps (4), ce nouveau visage de la pauvreté inquiète par son installation durable. « Il semble que les conditions d'emploi précaires soient désormais considérées comme inhérentes à l'évolution du marché du travail. Par voie de conséquence, la pauvreté au travail, sans être cautionnée, n'en reste pas moins tolérée comme un risque social parmi d'autres », s'alarme le président de l'Unccas.

Selon le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC), 10 % des hommes de 25 à 54 ans perçoivent un salaire annuel net inférieur à 3 621 € et 10 % des femmes inférieur à 1 376 € . En moyenne, l'activité de ces personnes se réduit à 13 semaines de travail dans l'année, à raison de 22 heures hebdomadaires. Pour autant, les statistiques peinent à cerner le phénomène. « Travailleur, c'est une notion d'individu, et pauvre une notion de ménage. Or, pour déterminer la pauvreté, on prend en compte les revenus de l'ensemble des membres du ménage », explique Michel Dollé, rapporteur du CERC. D'où le fait que, quelle que soit la faiblesse de son salaire, un actif peut très bien ne pas compter parmi les pauvres si son conjoint dispose de ressources plus importantes (5).

De plus, note le CERC, si on fixe le seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian national, comme le fait l'INSEE (environ 680 € par mois), ou à 60 %, comme le fait l'Union européenne (environ 820 € par mois), les résultats seront très différents : 850 000 actifs pauvres dans le premier cas, et 2 500 000 dans le second. De quoi influencer bien des débats. En définitive, le CERC estime impossible d'affirmer que le nombre de travailleurs pauvres est en augmentation, en France comme en Europe, dans la mesure où aucune évolution « significative » du taux de pauvreté des actifs ne s'observe d'une année sur l'autre (voir encadré, page 30). « Il faut être extrêmement attentif à ces questions de définition, car nous risquons de partir dans des discours incohérents et dans une incapacité à évaluer les politiques publiques », prévient Michel Dollé, pour qui l'urgence commande aujourd'hui de développer toutes les mesures permettant l'accès à « des temps d'emploi supérieurs ».

Au-delà des chiffres, « la pauvreté vécue »

Sur le terrain, les situations de pauvreté apparaissent plus exacerbées que jamais. « On ne mesure pas à quel point il y a un décalage entre la perception de la pauvreté et les chiffres officiels », témoigne Christophe Auxerre, secrétaire général de la fédération de Paris du Secours populaire. Le réseau caritatif a conduit une enquête auprès de ses usagers pour déterminer à partir de quel revenu net mensuel quelqu'un se considérait comme « pauvre ». La réponse ? « Une moyenne d'un peu plus de 1 000 € », selon Christophe Auxerre. Soit l'équivalent du SMIC. Loin des seuils administratifs, « cette pauvreté vécue est de l'ordre de la souffrance, de la privation et bien souvent de la survie », explique ce responsable, qui alerte sur « le repli sur soi de ces demandeurs et leur tendance de plus en plus affirmée au non-recours aux droits dont ils pourraient bénéficier ».

Au niveau des services d'action sociale des communes, c'est bien souvent par la pression exercée sur leurs budgets qu'une prise de conscience s'opère. Ainsi, le CCAS de Grenoble a lancé une étude en 2006, après que son enveloppe d'aide sociale facultative a gonflé de plus de 34 % en un an, pour atteindre près de 450 000 € . « En nous centrant sur les ménages sans enfants à charge, nous avons constaté ces trois dernières années un élargissement des demandes à toutes les tranches d'âge, avec un net accroissement des 25-29 ans et des 55-59 ans », explique Chantal Remond, adjointe à la direction « Développement social et solidarités » du CCAS de Grenoble. Non seulement le public a augmenté, mais aussi le nombre moyen de recours par individu et les sommes demandées. Alimentation, logement, énergie, santé..., sur l'ensemble de ces postes vitaux pour un foyer, les montants versés par le CCAS se sont envolés de 40 % à 60 %. « Nous assistons à un accroissement de la précarité, met en garde Chantal Remond. Les ménages demandent plus d'argent car leur «reste à vivre» diminue. Leur degré d'insolvabilité s'est aggravé, en particulier pour le paiement du loyer dont la part dans le budget peut atteindre, chez les plus jeunes, près de 70 %. »

Un constat identique dressé à La Rochelle a conduit le CCAS à s'enga-ger dans une politique de prévention du surendettement en formant ses agents à l'accompagnement éducatif et budgétaire des demandeurs d'aides (6). Parallè-lement, des permanences d'information disséminées dans les différents quartiers de la ville permettent de dédramatiser les situations des usagers et de les accompagner dans leur dépôt de dossier de surendettement. Des permanences qui, selon les responsables, « ont permis de connaître un public qui était inconnu de nos services ».

A Quimper, dans un contexte mi-urbain mi-rural, l'analyse des besoins sociaux pour 2006 montre que près du tiers des demandeurs d'aides facultatives est en situation d'emploi. Le croisement des observations du CCAS breton avec les sources de la CAF (caisse d'allocations familiales) révèle qu'il s'agit pour l'essentiel de jeunes, cumulant sur l'année parfois à peine un 1/5 de temps travaillé, de femmes seules avec enfants employées en majorité à temps partiel avec de faibles taux horaires, de couples de plus de 45 ans dont les grands enfants, toujours présents au foyer faute d'emploi, font passer le ménage d'une situation équilibrée à une situation de pauvreté. Selon Hervé Guerry, consultant au cabinet Compas-TIS, qui a piloté l'analyse des besoins sociaux, « ces résultats plaident pour une refonte des barèmes d'aides des CCAS, en prenant en compte l'ensemble des paramètres de la situation d'un demandeur, au-delà des éléments fiscaux, notamment les dépenses induites par son activité (transport, garde d'enfants), la composition du ménage, sa localisation dans la ville, son parcours professionnel ».

Déjà, de nombreuses municipalités ont dû réviser leurs critères d'attribution des aides facultatives afin d'intégrer des publics actifs présentant parfois des revenus supérieurs au SMIC (voir encadré ci-dessous). Une enquête conduite auprès de 200 CCAS représentatifs (7) montre que les travailleurs pauvres représentaient en 2006 jusqu'à 20 % des bénéficiaires de leurs aides facultatives, avec un effort massif sur des postes comme le logement, la restauration scolaire, la formation ou le transport. « Nous sommes dans des phénomènes de masse qui confrontent les collectivités territoriales à des demandes de plus en plus lourdes sur le plan financier », s'inquiète Patrick Kanner, qui en appelle à un « traitement global » du problème des travailleurs pauvres. Pour cela, l'Unccas (8) estime nécessaire de mettre en cohérence l'action des communes avec celle des autres acteurs sociaux que sont les CAF ou les départements, « dans une logique de décloisonnement des pratiques sociales ».

De fait, les différents niveaux d'aides peinent à se coordonner. Si Jean-Louis Deroussen, président de la caisse nationale des allocations familiales, reconnaît que « trop de gens passent malheureusement à travers les mailles du filet » et « qu'un travail est à conduire avec l'ensemble des partenaires pour s'assurer de l'effectivité des droits ouverts aux travailleurs pauvres », l'action sociale des CAF demeure néanmoins une action sociale familiale qui ne s'applique « qu'à la marge » aux actifs pauvres. De plus, la normalisation des prestations de la caisse provoque des effets de « trappes » dans lesquelles des catégories de population disparaissent, à commencer par les actifs sans enfant. « Face au problème spécifique des travailleurs pauvres, la CAF est assez démunie », déplore Jean Véron, directeur adjoint de la CAF de Grenoble, prenant l'exemple des aides au logement : « A Grenoble, la moitié des travailleurs vivant sous le seuil de pauvreté sont propriétaires de leur logement. Comme l'intervention de la caisse ne concerne que les locataires, on se retrouve avec des personnes vivant parfois dans un habitat insalubre sans moyens d'agir. Les dispositifs ne sont simplement pas faits pour eux. »

Du côté des départements, la nécessité d'engager des politiques coordonnées ravive les critiques portées sur le manque de lisibilité des dispositifs. « L'annonce de la simplification des minima sociaux a été faite depuis plusieurs années, et elle est de nouveau d'actualité. Aujourd'hui, nous sommes dans une très grande diversité des aides et de leur critères d'attribution. C'est pourquoi les départements demandent qu'une discussion s'instaure entre le gouvernement et les collectivités locales pour repréciser ces aides, clarifier les compétences des uns et des autres, et aboutir à des bases de financement claires et pérennes », commente Yves Daudigny, président du conseil général de l'Aisne et vice-président de l'Assemblée des départements de France (ADF).

Faute de cette refonte, trop de situations paradoxales, liées à la prise en compte du statut d'actif plutôt qu'aux conditions de ressources, continuent de maintenir dans la précarité des catégories entières de personnes. A l'image des titulaires du RMI (revenu minimum d'insertion) qui voient déduit de leur allocation tout revenu salarial, aussi modeste soit-il, et perdent les droits attachés à l'allocation. « Il faut sortir de cette logique du tout ou rien », affirme Martin Hirsch, Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et initiateur du revenu de solidarité active (RSA). « Nous avons longtemps vécu sur l'illusion que le chômage n'était qu'un moment transitoire dont on se sortait en accédant à un emploi à plein temps. Sauf que nous réalisons aujourd'hui que nous avons à la fois le chômage et les travailleurs pauvres. » C'est donc pour remédier à « l'invisibilité de certaines situations sociales », non prévues initialement dans les politiques publiques, que le RSA a été pensé. Entré officiellement en phase d'expérimentation, celui-ci intervient comme un mécanisme de complément financier permettant de cumuler revenus du travail et minima sociaux durant trois ans (9). Si la mesure concerne au premier plan les bénéficiaires du RMI en reprise d'activité, « c'est une arme qui vaut pour l'ensemble des travailleurs pauvres, promet Martin Hirsch. Ne serait-ce que pour ne pas laisser s'installer des régimes salariaux différents selon que l'on est passé ou non par des minima sociaux. »

Dans le département de l'Eure, où le RSA est expérimenté depuis plusieurs mois, Bernard Foucaud, directeur général adjoint en charge de la délégation sociale au conseil général, observe que la mise en oeuvre du dispositif s'est accompagnée d'une évolution du fonctionnement des acteurs sociaux et de l'emploi. « La première étape a été de constituer une plate-forme multipartenariale, regroupant notamment des agents du conseil général, des Assedic et de l'ANPE, afin d'éviter aux usagers les allers et retours entre les différents partenaires institutionnels. La seconde a été d'organiser le cumul du RSA avec les revenus du travail et les diverses aides sociales, dont les allocations familiales. Ce qui a aussi signifié la remise à plat des 53 aides différentes auxquelles pouvait être éligible un allocataire du RMI dans le département. »

Conduite en concertation avec le tissu associatif, l'expérimentation se double d'un volet d'accompagnement dans l'emploi et de la création d'une régie destinée à réagir immédiatement aux besoins ponctuels de l'usager (garde d'enfants, transport). « Près de 150 personnes en situation de reprendre un emploi, d'augmenter leur temps de travail ou d'entrer dans une formation professionnelle ont pu bénéficier du RSA. Concrètement, dès qu'une personne travaille un quart de temps, le dispositif fait qu'elle touchera plus que le seuil de pauvreté », se félicite le représentant du conseil général de l'Eure.

Pour aussi pragmatique que soit la mesure, elle n'en suscite pas moins quelques interrogations. Beau-coup lui reprochent de n'apporter qu'un correctif à ce qui est à la source du phénomène de la pauvreté au travail. « On ne peut pas penser ces relations aides financières-travailleurs pauvres sans porter le regard sur ce qui se passe dans les entreprises ! », affirme ainsi Jean-Pierre Aldeguer, directeur de la mission régionale d'information sur l'exclusion de Rhône-Alpes. Par ailleurs, « toutes les analyses sur les travailleurs pauvres montrent que la plupart d'entre eux exercent des petits boulots. Et nombre de ces derniers sont en fait le prolongement de l'insertion dans l'emploi, notamment à travers les services à la personne. Notre responsabilité est donc engagée. » Autre pomme de discorde : « Est-ce qu'on accepte dans notre société que des emplois puissent être rémunérés pour partie par l'entreprise et pour partie par la solidarité nationale ou territoriale ?, demande Yves Daudigny. Derrière le RSA et la volonté d'avancer dans une insertion plus efficace, beaucoup de questions se posent, à la fois conjonctu-relles, mais aussi plus globales en matière d'économie. »

Révélatrice d'une crise profonde, l'existence des travailleurs pauvres pose la question de l'articulation des logiques économiques et sociales. A l'image du micro-crédit social développé par les régions et un nombre grandissant de CCAS pour venir en aide à des travailleurs exclus du crédit bancaire classique en raison de leurs faibles ressources. Une pratique qui comporte elle aussi son lot de risques, « notamment que se développe une forme de banque du pauvre stigmatisante et que se crée un système parallèle d'accès au crédit », estime Patrick Kanner.

Au niveau des organisations syndicales, l'objectif est donc désormais de construire de nouvelles garanties pour les salariés. « Dans les négociations nationales en cours avec le gouvernement, nous revendiquons qu'aucun contrat ne puisse être inférieur à 200 heures par trimestre, et qu'aucun salaire ne puisse se situer en dessous du seuil de pauvreté », explique Annie Thomas, secrétaire nationale de la CFDT, en reconnaissant que c'est la première fois dans une négociation nationale interprofessionnelle que ce concept de seuil de pauvreté est utilisé. Mais cette dirigeante syndicale se défend de toute idée de régression : « aujourd'hui, le code du travail ne protège plus ni de la précarité ni de l'augmentation des inégalités. Il ne sert à rien de vouloir préserver l'essentiel, car en faisant cela on ne s'aperçoit pas qu'aux marges de cet essentiel se trouvent des situations de précarité, de pauvreté, et des personnes qui n'ont pas ou plus de protection. »

Aides facultatives : l'évolution à marche forcée des CCAS

L'émergence des travailleurs pauvres a confronté les centres communaux d'action sociale (CCAS) à l'adaptation de leurs critères d'octroi des aides facultatives, fondés parfois sur des règlements datant d'une vingtaine d'années, et à une évolution des pratiques professionnelles.

Plusieurs logiques se dégagent. Le CCAS de Saint-Priest (Rhône), dès 2000, a ainsi mis en place un barème d'aides fondé sur le « reste à vivre » des ménages. Calculé après déduction des charges fixes du foyer (notamment, loyer, assurance, énergie, garderie), le reste à vivre concerne donc l'alimentaire, le vestimentaire et les loisirs. « L'objectif est de prendre en compte toutes les catégories de demandeurs, qu'ils soient en dessous ou au-dessus des minima sociaux, car nous avons constaté que les personnes les plus en difficulté étaient celles dont les revenus se situent autour du SMIC », explique Bernard Cogne, directeur du CCAS de Saint-Priest. Concrètement, la totalité des aides facultatives du CCAS est indexée sur un reste à vivre moyen fixé à 250 € par personne au foyer. Ainsi, pour un reste à vivre inférieur à 180 € , le CCAS peut prendre en charge la totalité de la demande d'aide. L'aide est ensuite dégressive jusqu'à ne représenter plus que 25 % de la demande pour un reste à vivre de 300 € par personne. « Au-dessus, l'aide est exceptionnelle et se base sur un second mode de calcul prenant en compte les emprunts et les dettes. Ce qui permet d'intervenir sur des publics largement au-dessus de minima sociaux et de travailler sur le désendettement des personnes. » Avec un budget annuel de 50 000 € pour une ville de 42 000 habitants, le coût de ce recentrage des aides est jugé très modique. « Les dépenses sont contenues par l'application d'un plafond maximum d'aides de 1 000 € dans l'année par personne pour lutter contre la répétition des demandes », explique le directeur.

Pour d'autres CCAS, l'intégration des travailleurs pauvres à la liste des ayants droit s'accompagne d'une politique plus générale

visant à privilégier l'insertion. C'est ainsi qu'à Laval (Mayenne), une dizaine d'agents du CCAS ont reçu une formation à l'accompagnement éducatif budgétaire, et se voient accorder une marge de manoeuvre dans l'attribution des aides. « Ce qui permet d'enclencher un travail d'accompagnement personnalisé basé sur la confiance avec l'usager. Notre volonté est de redonner petit à petit aux familles précarisées la possibilité de régler des questions telles que le surendettement, mais aussi le logement, la garderie d'enfants, le centre de loisirs », explique Paul Le Callenec, directeur du CCAS de Laval. Par exemple, le CCAS propose aux personnes en rupture de logement un dispositif de « bail glissant ». Dans ce cadre, un des bailleurs sociaux partenaires de l'opération loue un logement au CCAS qui le sous-loue à la personne concernée. Au terme d'une période déterminée et d'un accompagnement social comprenant des visites à domicile, le bail « glisse » au profit du bénéficiaire qui devient officiellement locataire. Parallèlement, des formations ont été organisées avec les partenaires institutionnels et associatifs du CCAS afin que chacun ait la même perception de cette nouvelle précarité et des réponses à y apporter. « La coordination qui s'instaure avec les différents financeurs permet de s'accorder sur une politique commune et de rationaliser l'octroi des aides facultatives », assure Paul Le Callenec, en estimant à 5 € par jour et par personne la moyenne des interventions du CCAS.

La mise en cohérence des interventions des partenaires locaux peut aussi conduire les CCAS à confier des sommes aux associations pour faciliter les réponses au public. Selon l'Unccas, un tiers des CCAS et des CIAS versent des subventions à des associations caritatives, qui seront elles-mêmes redistribuées à des personnes en précarité selon des modalités préalablement négociées.

Quel que soit le principe d'action retenu, 98 % de ces aides ne font l'objet d'aucun remboursement, note encore l'Unccas, en situant leur coût moyen par CCAS dans une fourchette allant de 21 000 €, pour les communes de moins de 10 000 habitants, à plus de 620 000 € pour celles de plus de 200 000 habitants.

Une pauvreté au travail inégalement répartie en Europe

Au sens européen de la pauvreté active (une personne en emploi plus de la moitié de l'année et vivant dans un ménage dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian national), l'Union à 15 comptait 11 millions de travailleurs pauvres en 2001. En 2004, avec l'élargissement de l'Europe à 25, ce nombre s'élevait à 14 millions. On estime que 7 % de la population active de l'Union répond aujourd'hui à la définition du travailleur pauvre. Mais cette moyenne cache d'importantes disparités. Ainsi la Suède, avec 3 % de travailleurs pauvres, fait figure de bon élève face aux pays de l'Europe du Sud que sont l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Grèce où ce taux s'établit entre 10 et 13 %. La France, avec 8 % d'actifs pauvres, se situe au-dessus de la moyenne européenne, mais elle possède un chômage structurel massif et durable.

Les travailleurs indépendants, notamment les agriculteurs, sont nettement plus touchés par la pauvreté que les salariés. En France, l'INSEE note que le taux des indépendants disposant de revenus inférieurs au seuil de pauvreté est de l'ordre de 14 %, contre 3 % pour les salariés en emploi. Enfin, en dépit d'une focalisation du débat social sur la pauvreté, le nombre de travailleurs pauvres est partout en régression. Entre 1996 et 2005, le nombre d'actifs français vivant avec moins de 60 % du revenu médian national est ainsi passé de 1 825 000 à 1 600 000. Des chiffres, toutefois, sur lesquels les experts restent extrêmement prudents en raison d'une légère reprise de la pauvreté active depuis 2004.

Notes

(1) « Les travailleurs pauvres » - C. Lagarenne et N. Legendre - INSEE première n° 745, 2000.

(2) Travailleurs pauvres en France : de la pauvreté active à la solidarité active ? - Julien Damon - Futuribles - Septembre 2007.

(3) Lors des rencontres nationales des CCAS/CIAS, du 9 au 11 octobre 2007, sur le thème « Travailleurs pauvres, en sortir ! » - Unccas : 5, rue Sainte-Anne - 59043 Lille cedex - Tél. 03 20 28 07 50.

(4) Chiffre cité par la CFDT le 10 octobre à Grenoble.

(5) Au sens du Comité de protection sociale européen, le « travailleur pauvre » est une personne en emploi plus de la moitié de l'année, vivant au sein d'un ménage dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian national.

(6) Voir « Les CCAS organisent la lutte contre l'exclusion bancaire », ASH n° 2489 du 12-01-07, p. 41.

(7) Les aides facultatives et secours délivrés par les CCAS/CIAS - Disponible sur www.unccas.org/publications/autres-editions.asp - Voir aussi ASH n° 2530 du 9-11-07, p. 24.

(8) Qui a aussi adopté 15 résolutions, les 10 et 11 octobre à Grenoble, pour lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres - Voir ASH n° 2527 du 19-10-07, p. 45.

(9) Une circulaire vient de faire le point sur le dispositif - Voir ASH n° 2530 du 9-11-07, p. 5.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur