Dépasser le constat de l'insuffisance des politiques publiques et se mobiliser pour que cesse « le scandale de l'habitat indigne ». C'est le leitmotiv de l'opération « SOS Taudis » officiellement lancée le 12 novembre par la Fondation Abbé-Pierre (1). « De la loi contre les exclusions de 1998 à l'ordonnance du 15 décem-bre 2005, complétée par l'ordonnance du 11 janvier 2007, l'arsenal juridique et réglementaire est aujourd'hui complet, explique Patrick Briens, chef de projet. Tous les acteurs ont le pouvoir d'agir : le maire, le préfet, l'Agence nationale de l'habitat... Le problème est un déficit de moyens et de volonté politique. » Le recours à la loi est en effet peu fréquent : selon la fondation, moins d'une centaine de travaux ont été exécutés d'office à la demande de préfets en 2007, sachant que l'Etat peut ensuite se retourner vers les propriétaires défaillants par un recouvrement de charges.
Cette campagne, qui devrait s'étaler jusqu'en 2010 pour un budget de près de 2,5 millions d'euros en 2007, vise donc à inciter les pouvoirs publics à agir. Son premier levier : identifier les situations. Une étape importante, quand on sait que l'un des obstacles à la résorption de l'insalubrité est qu'elle est trop peu repérée. La fondation estime à 600 000 le nombre de logements considérés comme des taudis. Près d'un million de personnes sont selon elle privées de domicile et vivent dans des cabanes, des constructions provisoires, des campings, des hôtels meublés, et plus de deux millions sont logées « dans des conditions inacceptables », dans des appartements délabrés, sans eau, sans chauffage, sans sanitaires... Pour identifier ces ménages en détresse, qui parfois vivent en marge de la société, à l'abri des regards, ou refusent de se faire connaître par crainte de leur propriétaire, la fondation appelle les professionnels (travailleurs sociaux, aides à domicile, médecins) à l'alerter, via un numéro unique ou une adresse mail (2). A partir de ces signalements, l'opération vise, grâce à un réseau de partenaires associatifs (Confédération générale du logement, Petits Frères des pauvres, Fédération nationale des Pact-Arim, SOS Familles et des associations locales, comme l'Association lyonnaise pour l'insertion par le logement), à dresser un diagnostic social, technique et juridique des situations, assorti de préconisations. L'objectif est ensuite de porter ces dossiers à la connaissance des acteurs qui ont obligation d'agir par la loi (les propriétaires, les bailleurs, les collectivités, l'Etat) afin que les problèmes soient résolus par le droit commun. Les opérateurs associatifs, qui accompagneront les personnes jusqu'à l'aboutissement des démarches, pourront réaliser des travaux intermédiaires (remplacer un poêle à bois dangereux, réaliser une installation électrique, remplacer des vitres...) dans l'attente de travaux rendant le logement décent ou du relogement des familles. Des actions de mobilisation auprès des pouvoirs publics sont envisagées dans le cas où les solutions tarderaient à venir.
Après l'avoir expérimenté dans une dizaine de départements (dans les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur, NordPas-de-Calais, Bretagne, Pays-de-la-Loire et Franche-Comté) depuis le début de l'année, la Fondation Abbé-Pierre lance le dispositif dans 24 départements, auxquels pourraient s'ajouter une dizaine d'autres en 2008. Sur les zones expérimentées, plus de 250 situations ont été repérées et accompagnées, concernant à la fois des locataires et des propriétaires. « Parmi les 25 % des ménages ayant les revenus les plus bas en France, 36 % sont propriétaires », souligne Patrick Briens. Des propriétaires impécunieux, parfois endettés, qui n'ont pas les moyens d'engager les travaux nécessaires.
L'objectif final, dans trois ans, est d'avoir suffisamment remué les consciences pour que les politiques publiques deviennent effectives et efficaces. « Le problème est qu'il n'y a pas seulement un problème de stock à résoudre, mais de flux qui va en s'accroissant avec le manque de logements sociaux, la raréfaction du parc privé abordable et l'engorgement des structures d'héber-gement », ajoute le chargé de projet.
Christine Boutin, ministre du Loge-ment, a annoncé le 8 novembre dernier, après l'incendie du passage Brady, dans le Xe arrondissement de Paris, un « plan d'action contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil », dont les modalités devraient être détaillées dans un courrier adressé aux préfets. Répondra-t-il aux besoins ? Le projet de loi de finances pour 2008 prévoit 25 millions d'euros pour lutter contre l'habitat indigne. « Sept millions ont déjà été dépensés au titre de 2007 », précise Patrick Briens. La fondation demande que l'enveloppe inscrite au budget soit doublée.
(1) Fondation Abbé-Pierre : 3/5, rue de Romainville -75019 Paris - Tél. 01 55 56 37 00.
(2) A compter du 19 novembre : 0810 001 505 (numéro Azur) ou