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Une prise en charge par-delà les clivages sanitaires et sociaux

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Face à la complexité du handicap psychique, les réponses sont souvent mal adaptées. Dans l'Isère, un réseau de santé regroupant familles, soignants, acteurs sociaux et médico-sociaux propose aux personnes une évaluation globale de leurs capacités et les aide à élaborer un parcours d'insertion personnalisé.

Si par commodité le réseau de santé mis en place dans l'Isère autour du handicap psychique s'appelle « Réhpi » pour Réseau handicap psychique Isère (1), ses statuts le définissent comme un « réseau mixte d'aide à l'insertion des personnes handicapées psychiques de l'Isère ». « Mixte » parce qu'il fait interagir les acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux et les associations de familles autour du moins compris des handicaps. Et « aide à l'insertion » parce qu'il a fait de celle-ci l'orientation de travail et le ciment de cette vaste chaîne d'acteurs au-delà des hiérarchies et des clivages institutionnels.

Né en 2002, le Réhpi prolonge une pratique informelle instaurée quelques années plus tôt, au sein de l'Office départemental des personnes handicapées, pour faciliter l'entraide entre les acteurs des secteurs sanitaire et social et les associations de familles autour du handicap psychique. Comme dans d'autres départements, la réduction du nombre de lits de psychiatrie a en effet fait basculer tout un public de « malades mentaux » dans la vie ordinaire (2) et posé le problème de l'adaptation des réponses des services sociaux et médico-sociaux, qui n'avaient ni la connaissance de ce handicap ni la vocation à les prendre en charge. « Un grand nombre de ces personnes ne parvenaient pas à trouver de solutions, en particulier lors des tentatives de réinsertion à partir du milieu hospitalier, explique Elisabeth Giraud-Baro, médecin psychiatre et présidente du Réhpi. Certaines ne bénéficiaient plus d'aucun accompagnement, d'autres faisaient l'objet d'orientations parfois totalement déconnectées de leur situation, conduisant à des échecs à répétition et à des retours vers des situations d'hospitalisation. » Or la réponse n'appartenait à aucun professionnel en particulier. « Si tant de personnes en situation de handicap psychique étaient en panne dans leur projet d'insertion, c'était parce que, faute d'évaluation globale, on n'avait pas fait le tour de leurs compétences avec le double regard du sanitaire et du social », affirme la psychiatre.

C'est ainsi que, dès sa création, le noyau dur du Réhpi a été constitué par une cellule d'évaluation pluridisciplinaire croisant les approches des soignants, des psychologues, des ergothérapeutes, des travailleurs sociaux ou des conseillers d'insertion. Ces professionnels sont délégués par les membres du réseau, qui englobe aujourd'hui plusieurs centres hospitaliers et une vingtaine d'institutions ou associations départementales (aide à domicile, Sauvegarde, familles, centres d'hébergement et de réinsertion sociale ou établissements et services d'aide par le travail [ESAT], etc.). Centrée sur le handicap psychique lourd et les publics dont la situation n'a pas encore été évaluée, la cellule analyse les capacités psychosociales des publics reçus, les aide à élaborer un projet de vie, puis détermine avec eux un parcours d'insertion individualisé. « La personne est impliquée à toutes les étapes du déroulement de son évaluation, explique Martine Rivière, médecin psychiatre. Nous partons de sa demande, de ce qu'elle aimerait changer dans sa vie, en tentant de repérer ce qui l'empêche d'atteindre ses objectifs. Il s'agit de l'amener à plus d'autonomie et de travailler sur ses capacités sociales et professionnelles mobilisables. Puis, au sein de la cellule d'évaluation, nous déterminons collectivement les structures du réseau qui pourront l'aider à avancer dans son projet et à se situer. »

Une centaine d'usagers sont accueillis et suivis chaque année. La plupart sont adressés par les soignants ou les assistants sociaux. Néanmoins « 15 % des demandes d'évaluation viennent directement de personnes souffrant de troubles psychiques en capacité de faire une démarche personnelle, explique Muriel Hostyn, psychologue. Celles-ci peuvent venir exposer leur situation et obtenir un conseil, voire une proposition d'aide ou de services adaptés extrêmement prudente. » Cette prudence imprègne d'ailleurs l'ensemble des pratiques du réseau en raison des difficultés inhérentes à l'évaluation des personnes en situation de handicap psychique. « Leur demande peut être sans cesse modifiée par la fluctuation de leur état et l'évolution de divers paramètres environnementaux. Plusieurs commissions de la cellule d'évaluation sont parfois nécessaires avant qu'une solution à une situation particulièrement sensible puisse être dégagée », commente la psychologue.

Au préalable, un travail sur l'acquisition d'un langage commun à l'ensemble des acteurs du réseau a dû être conduit. « Le retentissement du handicap psychique sur la vie des personnes est souvent perçu différemment par les acteurs sanitaires et sociaux. Une personne peut par exemple être considérée comme stabilisée du point de vue sanitaire, alors que les acteurs sociaux vont porter leur regard sur des points très différents. Il a fallu confronter nos cultures avant de se comprendre et de parvenir à une synthèse sur ce qu'il était important de retenir pour considérer les difficultés des usagers », explique Muriel Hostyn. Fruit direct de ces échanges, un Guide d'évaluation des personnes handicapées psychiques, réalisé en partenariat avec le CREAI (centre régional pour l'enfance et l'adolescence inadaptées) Rhône-Alpes, permet aux acteurs du Réhpi d'observer les mêmes indicateurs. Une définition consensuelle du handicap psychique a elle aussi été retenue et gravée dans le marbre d'une charte. Selon ce document, signé par chacun des adhérents, « il s'agit de personnes atteintes d'une pathologie mentale avérée, c'est-à-dire diagnostiquée et confirmée, dont les antécédents et le pronostic laissent à penser qu'il s'agira d'une maladie à longue évolution, et qui pourront développer des capacités d'autonomie et de (re)socialisation grâce à un accompagnement adapté nécessitant des interventions sanitaires et sociales complémentaires » (voir encadré ci-dessous).

La liste des pathologies concernées par cette définition est large et recouvre tout un pan de maladies psychiatriques : psychoses, schizophrénie, troubles maniaco-dépressifs, névroses graves invalidantes, troubles obsessionnels compulsifs sévères. Toutes ont comme point commun de s'accompagner d'une incapacité à tenir un rôle social malgré le maintien, dans la plupart des cas, des facultés mentales. Si les demandes les plus fréquentes des usagers concernent l'insertion professionnelle, l'hébergement ou la resocialisation, nombre d'entre elles s'avèrent irréalistes en raison de la fragilité psychique et de l'incapacité des demandeurs à identifier leurs besoins. Aussi les orientations se font-elles parfois vers des lieux de vie ou des foyers avec une assistance soutenue sur les plans sanitaire ou socio-éducatif. Voire, quand l'évaluation conclut à des besoins de soutien dans la vie quotidienne et la vie sociale, vers des services d'accompagnement à la vie sociale (SAVS).

La variabilité de l'état de santé de la personne, ses allers et retours au sein de son parcours d'insertion, les ruptures parfois longues qui s'y rattachent, conditionnent les réponses du réseau. En amont de l'évaluation, les associations de familles participent avec les professionnels au développement d'un programme d'éducation thérapeutique destiné à diffuser auprès des proches et des patients des éléments de compréhension de la maladie psychique. « Celle-ci apparaît à un âge très difficile, l'adolescence, et les familles sont démunies. C'est seulement progressivement qu'elles parviennent à réaliser que ce qui arrive est différent d'une crise d'adolescence. Et quand le constat est posé, qu'un parcours de soin s'engage, elles sont toujours en difficulté face aux fluctuations des incapacités de leur enfant. D'où l'importance d'un travail de pédagogie », témoigne Claude Guerry, administratrice de l'association de familles Alphi (Accom-pagner le handicap psychique en Isère).

Dès son entrée dans le réseau, l'usager peut expérimenter les propositions d'orientations par une mise en situation dans les structures partenaires. « S'il s'agit par exemple d'un projet de retour vers le travail, une personne peut venir essayer notre ESAT lors d'un stage de un mois, renouvelable une fois, ce qui va permettre de vérifier si ce projet est réalisable. Le stage se fait en toute sécurité pour les deux parties, puisque l'usager retrouve ensuite son accompagnement sanitaire ou social d'origine », explique Eric Tasserit, directeur de Messidor Isère, une association gestionnaire de structures de travail protégé. Pour cela, une convention quadripartite règle les rapports entre le bénéficiaire du stage, l'institution qui l'accompagne, celle qui l'accueille pour la circonstance et le réseau. Elle offre un cadre juridique aux échanges entre les secteurs sanitaire et social, privés comme publics. Autre effet bénéfique de ces stages, ils permettent d'aiguiller les usagers vers la découverte de nouveaux environnements susceptibles de nourrir leurs projets. Pour Eric Tasserit, « c'est la justification même du réseau que de favoriser les ouvertures sur un parcours. Nous savons bien que chacun des acteurs ne représente qu'une partie de l'accompagnement et qu'il faut des partenaires-relais pour que puisse s'installer une chaîne, qui va de l'hospitalier à une finalité qui pourrait être le travail. »

Parallèlement, la création d'un poste de travailleur social est venue répondre au souhait des familles et des professionnels de disposer d'une personne-ressource veillant au suivi des préconisations de la cellule d'évaluation. Juliette Salbreux, assistante sociale, déjà rodée à la maladie psychique lors de ses années passées au CHU de Grenoble, est ainsi le premier visage que les demandeurs découvrent lors des sessions d'accueil et d'explications sur la démarche d'évaluation. Elle est impliquée dans les réunions d'évaluation. « Cela permet d'être éclairée sur les orientations et de se mobiliser à tout moment dès lors qu'une difficulté se pose dans leur mise en oeuvre, explique-t-elle. L'objectif n'est pas de se substituer aux professionnels, mais de favoriser, grâce à la médiation entre une structure et une personne, la concrétisation du projet. Ce suivi peut être aussi l'occasion de maintenir la mobilisation de la personne ou de ses accompagnateurs sur les démarches à mener, voire d'en réexpliquer le sens. » Véritable fil rouge du trajet de l'usager au sein de la toile des acteurs du réseau, ce suivi s'étend sur une durée de six mois en moyenne, qui peut être doublée en fonction de la complexité des situations, et prend fin à la réalisation du projet personnalisé. « Ce qui n'empêche pas, bien souvent, de maintenir le contact pour être informé de l'évolution de la situation », précise Juliette Salbreux.

« Le réseau a vocation à susciter de nouveaux modes d'organisation et de coopération entre des partenaires sanitaires, médico-sociaux et sociaux, engagés dans la prise en charge d'une pathologie dont la lourdeur est en elle-même génératrice de clivages, résume Anne-Claire Marmilloud, coordonnatrice du Réhpi. Les stages, notamment, permettent d'apporter un peu de souplesse à des fonctionnements institutionnels souvent très cloisonnés. Cette attention prêtée aux parcours des personnes est devenue une culture permanente, un concept commun de travail. »

Fin 2006, 400 personnes avaient bénéficié de l'aide du réseau depuis sa création. Entre les usagers nouvellement entrés dans le dispositif et les « anciens » toujours pris en charge à des degrés divers, le Réhpi présentait à cette date une file active d'environ 250 personnes. Clairement identifié comme un lieu-ressource dans le département, le Réhpi n'en détonne pas moins dans le nouveau paysage du handicap créé par la loi du 11 février 2005. « Les équipes départementales qui étaient spécialisées dans différentes formes de handicaps ont été reprises au sein de l'équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées [MDPH] et fusionnées. Aujourd'hui, nous restons un peu les seuls survivants d'une spécialisation dont la marque est d'être sous la tutelle du ministre de la Santé » (3), reconnaît Elisabeth Giraud-Baro. De plus, les propositions présentées aux usagers du Réhpi ne peuvent être que des préconisations et n'ont pas valeur d'orientations, celles-ci relevant de la compétence de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), qui siège au sein de la MDPH. Ce qui pose d'ailleurs la question de l'articulation des expertises.

Un protocole est sur le point d'être signé entre la maison départementale des personnes handicapées de l'Isère et le Réhpi afin de formaliser cette cohabitation. Selon cet accord, la MDPH reconnaît à la cellule « mixte » d'évaluation du Réhpi le fait d'intervenir, « en amont » de la CDAPH, sur des personnes handicapées psychiques « en grande difficulté pour orienter leur projet de vie », une fiche-navette étant établie entre les deux structures. Le protocole évoque par ailleurs la possibilité pour la maison départementale de saisir le Réhpi pour une évaluation des situations complexes qui lui parviendraient. Cette première étape expérimentale est entourée toutefois de grandes précautions. « Le problème, explique Elisabeth Giraud-Baro, est qu'une délégation de services s'opposerait au mode de financement et au cahier des charges des réseaux de santé, qui n'est pas de faire à la place des autres, mais de mettre en lien des acteurs autour de situations. » Mais le pas est fait (4).

Consacré dans son rôle de tiers facilitateur, le Réhpi s'apprête à franchir une étape supplémentaire en ouvrant ses activités de formation à la maladie psychique et au travail en réseau à d'autres professionnels. Objectif : se tourner vers les partenaires essentiels du handicap psychique que sont les médecins de ville, les centres communaux d'action sociale, et le dispositif RMI. La cible étant particulièrement large, une partie du financement de l'opération sera assurée par la Fondation de France.

Handicap psychique : une catégorie encore mal connue

La reconnaissance de la maladie psychique comme un handicap, avec la loi du 11 février 2005, oblige à procéder à de nombreuses clarifications au sein du champ social et médico-social.

Clarifications historiques, d'abord. « Les psychiatres ont longtemps contribué à maintenir l'idée que le malade mental n'était pas un handicapé et qu'il relevait de leur compétence. Ainsi les lois jumelles du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales et d'orientation en faveur des personnes handicapées ignoraient ce handicap parce que l'hôpital prenait en charge un patient psychiatrique du début à la fin », explique Elisabeth Giraud-Baro, médecin-psychiatre et présidente du Réhpi. Avec la suppression des lits de psychiatrie, les malades psychiques sont devenus visibles et, sous la pression des associations de familles, leur incapacité à assumer un rôle social a progressivement été considérée comme un handicap.

Clarifications ensuite au niveau des chiffres. L'importante part prise par la médecine de ville dans le suivi des personnes handicapées psychiques a contribué à sous-estimer leur nombre et à minorer les réponses en leur faveur. Une enquête Inserm (5) portant sur 6 000 familles a ainsi révélé que 41 % de cette population n'était connue que des cabinets libéraux (médecins généralistes principalement). L'Unafam (Union nationale des amis et familles de malades mentaux) estime, quant à elle, que près de 60 % des publics de l'errance et plus de la moitié de la population carcérale seraient constitués de personnes en situation

de handicap psychique. Toujours selon

l'Unafam, 6 % de l'ensemble de la population relèverait du handicap psychique et 1 % - soit plus de 600 000 personnes - nécessiterait un accompagnement au quotidien.

Enfin, l'identification des besoins du handicap psychique se voit compliquée par son assimilation courante avec le handicap mental. « Les structures qui existent aujourd'hui ne sont pas du tout adaptées au handicap psychique lourd. Nous avons besoin de foyers d'hébergement et de domiciles collectifs conçus sur le mode de l'accueil des personnes âgées », assure Elisabeth Giraud-Baro. L'association de familles Alphi, co-fondatrice du réseau Réhpi, évoque de son côté l'extrême complexité de l'accompagnement du handicap psychique par rapport au handicap mental. « Chez la personne handicapée psychique, les capacités strictement intellectuelles peuvent rester vives tout en s'accompagnant de troubles cognitifs (mémoire, concentration, difficultés relationnelles), alors qu'avec le handicap mental la déficience intellectuelle est permanente. De plus, l'alternance imprévisible d'états psychiques calmes et tendus chez la personne handicapée psychique oblige à des ajustements incessants, tandis que la fixité des incapacités dans le handicap mental est a priori plus compatible avec des solutions durables », explique Claude Guerry, administratrice d'Alphi. Enfin, l'Unafam plaide pour la mise en place de « mesures d'urgence » pour le handicap psychique consistant notamment à systématiser un accompagnement social des personnes, à veiller à la continuité des soins et des droits, et à leur assurer « lorsque c'est possible », une insertion par l'activité « professionnelle ou non ».

Notes

(1) Réhpi : 16, rue de la Tour-de-l'Eau - 38400 Saint-Martin-d'Hères - Tél. 04 76 24 47 46.

(2) Ainsi le centre hospitalier spécialisé de Saint-Egrève, près de Grenoble, membre co-fondateur du réseau Réhpi, est passé de 800 lits de psychiatrie dans les années 70, à environ 350 aujourd'hui.

(3) La loi du 4 mars 2002 modernisant le système de santé et les décrets des 25 octobre et 17 décembre 2002 ont fixé de nouveaux critères d'organisation et de financement des réseaux de santé. Dans ce cadre, un financement spécifique a été mis en place par le biais de la dotation nationale de développement des réseaux.

(4) On peut y voir aussi une première illustration des orientations du plan « santé mentale » pour 2007, qui invite au développement de coopérations entre les MDPH et les équipes de psychiatrie dans l'évaluation du handicap psychique - Voir ASH n° 2500-2501 du 30-03-07, p. 13.

(5) Trajectoires brisées, familles captives -Martine Bungener - Editions Inserm, 1995.

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