« Depuis juin 2005, différents textes législatifs sont parus - la loi relative aux assistants maternels et aux assistants familiaux (1) et les textes créant le diplôme d'Etat d'assistant familial notamment (2) qui affichent une volonté évidente de repositionner le corpus professionnel des anciennes assistantes maternelles dans le système global de l'accueil familial.
Cette réforme s'inscrit dans un contexte socio-économique tendu. La profession vieillit et il y a urgence à la rendre attractive pour compenser à court terme de très nombreux départs en retraite. En outre, avec la décentralisation, les départements se voient transférer des compétences sans que les budgets afférents leur soient affectés. Les moyens financiers de ces départements, obtenus essentiellement par la levée d'impôts, ne sont pas exponentiels et des rationalisations budgétaires drastiques devront être opérées. Or l'accueil familial est beaucoup moins onéreux que l'accueil en institution.
Les anciennes assistantes maternelles exercent maintenant la profession d'assistantes familiales (au féminin parce que les femmes sont majoritairement représentées). Elles sont devenues des travailleurs sociaux faisant partie d'une équipe au sein de laquelle leur activité et leur point de vue doivent nécessairement être pris en compte. Leurs compétences professionnelles deviennent objectivables - le contenu de la formation préparant au diplôme d'Etat - et objectivées - l'obtention du diplôme.
Ces nouvelles dispositions ne vont pas manquer de bouleverser le paysage. Jusqu'à présent, l'accueil familial a fonctionné selon un système dans lequel l'un des acteurs use, et parfois abuse, d'une position dominante, d'une emprise. Le travailleur social de l'aide sociale à l'enfance (ASE), assis sur son diplôme de l'enseignement supérieur, a tendance à s'installer dans une position haute dès lors qu'il est en face de l'assistante familiale. Celle-ci, jusqu'alors recrutée sur la base de compétences humaines, affectives, éducatives, tend à adopter une posture de soumission dès lors qu'elle est en face du référent ASE de l'enfant qu'elle accueille. Rien n'est dit dans les fiches de poste de l'un et de l'autre d'une relation qui serait hiérarchique, mais l'on comprend aisément que l'ascendant exercé par le travailleur social hypothèque considérablement la qualité du dialogue tout autant que la prise en compte de l'enfant accueilli. Dans cette configuration de travail, la relation de confiance s'installe difficilement entre les référents sociaux et les assistantes familiales. Craignant de dire mal, de penser mal, celles-ci se taisent. On peut se poser, dès lors, la question du fondement sur lequel repose la prise en compte de l'intérêt de l'enfant et l'élaboration du projet le concernant.
Cette situation est favorisée dès lors que la fonction employeur auprès de l'assistante familiale est insuffisamment identifiée et exercée. Bien souvent, le référent social de l'enfant est perçu comme un supérieur hiérarchique, et se conduit donc comme tel, s'arrogeant le pouvoir d'organiser le volume de l'activité de l'assistante familiale. De son bon vouloir dépendent le nombre et le profil des enfants accueillis. La docilité devient ainsi une qualité professionnelle que l'assistante familiale s'oblige à acquérir pour continuer à exercer.
Certains conseils généraux ont pris en compte ces dysfonctionnements et investissent leur fonction employeur, dans l'optique de concourir à la montée en qualification de la profession d'assistante familiale.
Afin de permettre à ces professionnelles de faire valoir leurs observations, leurs questions, leurs évaluations relatives aux diverses facettes de l'accueil de l'enfant, il est indispensable de travailler sur leur relation avec les travailleurs sociaux de l'ASE. L'un des axes de travail essentiel est d'outiller ces dernières sur les plans personnel, institutionnel, professionnel et technique afin qu'elles produisent un travail de qualité dans leur champ très particulier d'activité.
Les premiers outils de ces professionnelles sont des qualités humaines. C'est bien parce qu'on reconnaît à cette personne des aptitudes à donner de l'affection et des repères à un enfant qu'on la recrute. A priori, elle a un savoir-faire et un savoir-être suffisant qui dispense le référent d'une directivité excessive. Or, bien souvent, l'assistante familiale reçoit des consignes dont elle ignore le fondement puisqu'elle n'est pas sollicitée pour restituer son activité. Souvent aussi, le travailleur social ne lui donne pas les informations élémentaires sur l'histoire de l'enfant. Il se peut également qu'elle ait fait des tentatives pour rendre compte de son travail et qu'elle ait éprouvé le sentiment d'être écoutée, mais pas entendue. Alors, meurtrie, elle se replie, obéit aux consignes, tait ce qu'elle sait, observe, ressent, se débrouille comme elle peut. L'expérience lui a appris qu'elle pouvait être mise à l'index, ne plus travailler si elle se montrait trop présente, trop insistante, trop exigeante avec le référent.
Concourir à la montée en qualification de la profession, c'est modifier cette attitude de soumission qu'aucun texte, qu'aucune fiche de poste, ne préconise, amener l'assistante familiale à prendre conscience de ses responsabilités professionnelles et personnelles dès lors qu'elle accueille un enfant. C'est l'aider à prendre conscience qu'en taisant ses difficultés, en s'interdisant de faire valoir ses observations et évaluations, elle organise son inconfort et participe, à son insu, à un processus de maltraitance de l'enfant qu'elle accueille puisque l'accompagnement mis en place n'est pas en lien avec la réalité des difficultés et des souffrances qu'il manifeste. C'est, enfin, lui permettre d'expérimenter une écoute empathique qui l'aide à se sentir en alliance, lui faire confiance, lui reconnaître des compétences et des capacités dont elle doute très souvent. Dans ce contexte, elle peut se livrer, dire des choses qu'elle tait depuis longtemps, qui parfois la minent. Elle entend qu'elle a le droit de penser, qu'elle pense très intelligemment, ce qui augmente son estime d'elle-même. Ainsi remise en confiance, elle se donne le droit de rendre compte de la réalité de son travail et comprend qu'une stratégie de fuite hypothèque la mise en place d'un projet cohérent pour l'enfant qu'elle accueille.
La visée première de ce type d'accompagnement est le soutien humain et technique à une professionnelle dont la «matière première à transformer» est un enfant en difficulté sociale, familiale, scolaire, affective, psychologique, voire psychiatrique, et qui a la particularité d'exercer son activité à son domicile personnel en y associant sa famille en permanence. Elle ne peut relever ces défis dans la solitude et l'isolement, tout comme le référent ne peut seul réaliser un bon travail d'accompagnement.
Certains conseils généraux mettent en place ce type de service d'accompagnement (3). Leurs premiers balbutiements suscitent un intérêt certain chez les assistantes familiales. Elles disent combien cela leur fait du bien de parler, d'être écoutées, entendues, prises en compte. Elles disent encore combien elles sont confortées et réconfortées dans les réflexions qu'elles menaient jusqu'alors dans l'ombre.
En revanche, du côté des référents et travailleurs sociaux de l'aide sociale à l'enfance, se manifeste une certaine résistance au changement. Mais ils ne doivent pas se tromper de bataille. Plutôt que de vilipender ce service technique qui soutient les assistantes familiales dans l'émergence d'une nouvelle culture professionnelle, il me semble indispensable qu'ils s'organisent et exigent les outils et les moyens qui leur permettront, à eux aussi, de sortir d'une immense solitude. »