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Des asiles pour l'art

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Faire souffler, dans l'enceinte d'hôpitaux psychiatriques, le vent décoiffant des arts vivants et permettre aux membres de la communauté thérapeutique et au grand public de se rencontrer, tel est le projet que s'emploie à faire vivre, dans la durée, une poignée de centres hospitaliers spécialisés. Leurs promoteurs contribuent ainsi à améliorer la vie des patients, enrichir l'offre culturelle de la cité et modifier le regard de celle-ci sur la psychiatrie et ses usagers.

Depuis plus de 20 ans, l'Institut de soins psychiatriques Marcel-Rivière à La Verrière (commune de Saint-Quentin-en-Yvelines) et le centre hospitalier spécialisé Montperrin à Aix-en-Provence invitent des artistes à venir travailler dans leurs murs avec toutes les personnes intéressées (patients hospitalisés ou suivis à l'extérieur, soignants, population environnante) et/ou à donner leurs oeuvres en spectacle devant ces différents publics. En 1997 et 2001, deux autres hôpitaux psychiatriques, Le Vinatier à Bron (près de Lyon) et l'hôpital Edouard-Toulouse à Marseille, ont ouvert une salle de théâtre et des ateliers de pratique artistique, qui sont animés par des créateurs en lien avec leurs recherches en cours.

Chaque projet est bien sûr spécifique. De plus, les hôpitaux ne disposent pas des mêmes atouts en termes de moyens matériels et humains (1) ou d'environnement : plus ou moins grande proximité des centres villes et concurrence ou pas avec d'autres équipements culturels. Néanmoins, outre la ténacité nécessaire pour parvenir à faire vivre d'aussi singulières entreprises, les promoteurs partagent une même ambition : changer l'image de la psychiatrie et permettre au plus grand nombre de se frotter à la création contemporaine (2).

Si les établissements psychiatriques ne sont pas des lieux de plaisir, ni des outils de démocratisation culturelle, ils peuvent cependant le devenir grâce à la complicité d'artistes à qui ils donnent l'hospitalité. De leur côté, les metteurs en scène, chorégraphes, plasticiens, musiciens, peintres, chanteurs, photographes, sculpteurs, vidéastes..., qui trouvent ainsi asile à l'hôpital, doivent être prêts, sous une modalité ou une autre - ateliers, répétitions ouvertes, débats, etc. -, à faire partager leur démarche aux patients. « Mais, c'est l'intérêt artistique de celle-ci qui constitue le premier critère de sélection des candidats. Il faut à la psychiatrie des artistes exigeants », affirme Madeleine Abassade, responsable, depuis 1980, de l'action culturelle de l'Institut Marcel-Rivière, où le chorégraphe José Montalvo a fait ses premiers pas. A chacun son rôle, et celui des créateurs n'est pas de jouer les thérapeutes.

Bien sûr, qualifier les actions mises en oeuvre de « thérapeutiques », c'est éventuellement réussir à les financer. Celles-ci ne relèvent pas, pour autant, de l'art-thérapie, technique de soin utilisant la médiation d'activités d'expression artistique conduites par des soignants. Il n'empêche qu'avoir l'occasion de rencontrer les arts vivants, en dehors de toute prescription médicale et souvent pour la première fois, n'est pas sans retombées bénéfiques pour les patients.

Lors des séances d'atelier, les patients sont portés par le regard d'un artiste. Ce dernier ne se préoccupe pas de leur pathologie et n'attend pas qu'ils aillent mieux, mais qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes dans un processus de création. Les patients font alors montre de capacités qui surprennent toujours les soignants, reconnaît Carine Delanoë-Vieux, responsable de la Ferme du Vinatier, le service culturel de l'hôpital de Bron.

Après avoir travaillé Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz, avec le metteur en scène Jean-Pierre Chrétien-Goni, Michèle, hospitalisée depuis plusieurs mois à l'Institut Marcel-Rivière, explique qu'elle a pu enfin sortir d'elle-même. Doit-on en déduire qu'elle est « sous l'effet thérapeutique de l'art ? », s'interroge Madeleine Abassade. Libre à chacun d'en juger. « Ce que je sais, moi », affirme l'animatrice du pôle culturel, c'est la richesse de « la rencontre avec l'autre, dans le plaisir et la difficulté du dépassement de soi. C'est la découverte d'un texte qui met en scène la part grotesque et violente de notre humanité » (3).

Le patient « déchosifié »

Aux soignants aussi la venue d'artistes et du grand public peut faire le plus grand bien. Tel est, en tout cas, le diagnostic de Jean-Luc Pruvost, l'un des trois infirmiers de l'hôpital Montperrin, enclave de verdure dans la ville d'Aix-en-Provence, qui a été mis à la disposition du « 3bis f », structure d'arts contemporains ouverte en 1982 dans un ancien pavillon de contention pour femmes. « La présence de personnes qui n'ont rien à faire là a priori nous force à interroger nos pratiques », explique Jean-Luc Pruvost. « On s'aperçoit que, malgré nous, le patient est «chosifié» : il est l'objet du soin, c'est-à-dire qu'on ne le voit pas toujours comme un être humain avec ses richesses et ses capacités, mais comme un symptôme. Alors que dans les ateliers, c'est un sujet - et un sujet à même de s'avérer beaucoup plus apte que nous à écrire, faire de la peinture, etc. » Cependant, même si, comme il l'affirme, « ne pas laisser la psychiatrie à ses seuls spécialistes constitue une oeuvre de salubrité publique », cette rencontre avec le lieu de la folie ne va pas forcément de soi pour qui n'y est pas familiarisé. D'où l'intérêt de l'accompagner, du moins dans un premier temps, poursuit le soignant. « Certains artistes croient qu'ils vont avoir affaire à de géniaux créateurs, d'autres ont peur de l'institution psychiatrique et de ses usagers. Les personnes de l'extérieur débarquent également avec leurs frayeurs et leurs préjugés, avant de se rendre compte, elles aussi, que l'autre n'est finalement pas aussi étrange qu'elles le pensaient. » A posteriori, il s'est d'ailleurs parfois révélé qu'en modifiant leur regard sur la psychiatrie, ce passage au « 3bis f » a permis à quelques participants de franchir le pas, et de consulter.

Une « sociothérapie » ?

Symétriquement, le théâtre représente tellement l'extérieur que pour certains malades, oser y « venir et être assis à côté d'inconnus, constitue un grand pas en avant », affirme Marie-Christine Oberlinkels-Elie, directrice de l'Astronef, le théâtre de l'hôpital Edouard-Toulouse, dans le XVe arrondissement de Marseille. Faut-il, pour autant, qualifier de « socio-thérapie » le fait de jeter des ponts entre le monde de la maladie mentale et celui de la cité ? Montrer l'étendue de sa palette thérapeutique, n'est pas forcément inutile pour décrocher des subventions. Et de fait, la culture est un facteur de lien social - cependant que le soin ne se réduit pas à la prise de médicaments.

Mais on peut aussi, tout simplement, observer que voir de bons spectacles constitue, en soi, un bonheur salutaire. A cet égard, l'affiche des quatre scènes hospitalières n'a rien à envier à celle des plus prestigieuses enceintes hexagonales. Leur politique tarifaire, non plus, qui défie les lois de la concurrence. « Notre premier public, celui de l'hôpital, a de plus en plus de difficultés financières », souligne Madeleine Abassade. C'est pourquoi, la question de l'argent doit être secondaire. Autrement dit, à l'Institut Marcel-Rivière, les représentations ne sont pas systématiquement payantes. Et quand c'est gratuit, c'est gratuit pour tout le monde, afin que, sans avoir justifier d'un quelconque passe-droit, les personne malades puissent laisser leur statut de patient au vestiaire.

Il n'empêche. Malgré la notoriété des artistes, la variété des spectacles et le faible coût des places, la proposition faite au grand public de sortir en entrant dans un hôpital psychiatrique a quand même tout de la gageure. Et l'intéressé n'est pas toujours au rendez-vous. Pour tenir « ce pari un peu fou », Marie-Christine Oberlinkels-Elie mène un important travail de sensibilisation artistique auprès des familles avec le concours des centres sociaux, des écoles et des crèches du quartier Nord de Marseille où l'Astronef a atterri. Autour d'une programmation éclectique, qui alterne spectacle de hip-hop et représentation du Ballet national de Marseille, opérette d'Offenbach, théâtre de marionnettes et concerts de musique plus ou moins classique, l'ovni a conquis un large public. Pour ne parler que des plus jeunes spectateurs - de la petite section de maternelle à la fin du secondaire -, 4 000 à 5 000 enfants et adolescents fréquentent chaque année l'Astronef. Sans compter leurs parents et enseignants.

Néanmoins, à Marseille comme ailleurs, faire entendre que la culture n'est pas un luxe et que l'hôpital psychiatrique peut être un lieu de mixité n'est jamais une affaire définitivement acquise (1). Particulièrement aujourd'hui où, se conjuguant aux impératifs budgétaires, plusieurs drames récents renvoient à nouveau une image inquiétante des malades mentaux. Patiemment, pourtant, à l'instar de Madeleine Abassade, d'aucuns veulent « continuer à développer ce lien particulier entre l'éducation populaire et la psychiatrie, qui consiste à travailler avec la population dans les institutions - le terme de «population» ne s'arrêtant pas aux portes de l'hôpital. » Avec, pour horizon, le « mieux-vivre ensemble dans la cité ».

Les vertus d'une pratique artistique partagée

Débats, expositions, spectacles, les occasions données au grand public, par les différents hôpitaux psychiatriques, de franchir leur seuil sont nombreuses et variées. Mais, parfois, la porte de leurs ateliers restera fermée aux amateurs tout-venant. C'est toujours le cas au Vinatier : les séances de pratique artistique, proposées par La Ferme dans ses locaux, sont exclusivement réservées aux patients - hospitalisés ou suivis à l'extérieur - ainsi qu'aux soignants. Il s'agit de protéger le droit au secret médical des intéressés, explique Coline Rogé, chargée de l'action artistique. A l'Institut Marcel-Rivière et à l'hôpital Edouard-Toulouse, certains ateliers, organisés dans les unités de soin, ne sont pas non plus accessibles aux personnes de l'extérieur ; celles-ci, en revanche, sont les bienvenues à toutes les sessions qui ont lieu dans le théâtre de ces établissements. A l'hôpital Montperrin, enfin, les ateliers se déroulent toujours dans la structure d'arts contemporains du centre hospitalier, le « 3bis f », et ils sont systématiquement ouverts au grand public - qui constitue 50 % de leurs effectifs.

Les responsables culturels des trois hôpitaux sont convaincus des vertus réciproques de la mixité. Ils estiment que les ateliers constituent des espaces de liberté et de réhabilitation personnelle pour les personnes malades qui, sans être considérées comme telles, peuvent les fréquenter à leur guise et y rencontrer des gens n'appartenant pas à leur quotidien. Ces derniers, de leur côté, ont l'occasion de porter un autre regard sur la psychiatrie et ses usagers. Seul bémol néanmoins à la venue de participants extérieurs : disposer de temps dans la journée, car les horaires des ateliers sont adaptés au rythme hospitalier. Pour lever cette difficulté, certaines séances de travail artistique, se tenant l'après-midi au théâtre de l'Institut Marcel-Rivière, pourront désormais être prolongées jusqu'à 22 heures.

Notes

(1) Hormis la structure du Vinatier, qui est un service de l'hôpital rattaché à sa direction générale, les espaces artistiques des trois autres hôpitaux sont gérés par des associations distinctes de l'institution.

(2) Pour débattre de ces enjeux, un forum se tiendra le 20 novembre à l'université Lumière-Lyon-2, à l'initiative de la région Rhône-Alpes, de l'agence régionale de l'hospitalisation et de la direction régionale des affaires culturelles. Intitulée « Culture, hôpital et territoires », cette manifestation est ouverte à tous, sur inscription auprès de Séverine Peruzzo : Tél. 04 37 91 51 11 ou hi.culture@ch-le-vinatier.fr.

(3) Voir L'art en difficultés - Cassandre/Horschamp - Hors série n° 5 - Avril 2007 - 20 € .

(4) C'est pourquoi, désireux d'ouvrir le débat autour des enjeux des pratiques artistiques dans les espaces psychiatriques, plusieurs de leurs promoteurs ont co-signé une « déclaration ouverte et publique ». On peut la consulter sur www3bisf.com.

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