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« Nous sommes sortis de nos cabinets, il faudra s'y faire »

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Les centres psychanalytiques de consultations et de traitement, qui rendent la psychanalyse accessible aux publics défavorisés (1), répondent à un réel besoin et renouvellent la pratique, défend Catherine Lazarus-Matet, psychanalyste, membre de l'Ecole de la Cause freudienne et psychiatre. Elle réplique ainsi à une précédente « tribune libre » parue dans nos colonnes, dans laquelle Joseph Rouzel, le directeur de l'Institut européen Psychanalyse et travail social mettait en cause ces structures (2).

« Que la psychanalyse soit en prise directe sur le social, c'était le voeu de Freud. Il l'a clairement exprimé en 1918, alors qu'avec la fin de la Grande Guerre commençait à proprement parler le XXe siècle. Les effets thérapeutiques de la psychanalyse, disait-il, devront s'appliquer au plus grand nombre, à la multitude de ceux qui souffrent, grâce à des établissements gratuits, l'adaptation de la technique analytique, la formation de nombreux analystes, le soutien de l'Etat (3).

Au commencement du XXIe siècle, en France, nous y sommes enfin. Le CPCT (centre psychanalytique de consultations et traitement) de la rue de Chabrol, dans le Xe arrondissement de Paris, a ouvert ses portes en avril 2003, à l'initiative de l'Ecole de la Cause freudienne, proposant des traitements gratuits et de durée limitée. Depuis lors, en quatre ans, plus d'une dizaine de CPCT ont été créés en France, et d'autres encore dans divers pays européens. Le succès est là, peu contestable. Sa rançon : des critiques, parfois acerbes. Rien de plus normal qu'une expérience originale et non standard surprenne et dérange. Il convient seulement d'en rappeler les fondements.

En un sens, rien de nouveau. Diverses expériences d'analyses gratuites ou de thérapies brèves ont vu le jour au fil du temps (avec, par exemple, Reich, Alexander, Malan, Balint et, de nos jours, les bureaux d'aide psychologique universitaires [BAPU], le Centre Jean-Favreau qui émane de la Société psychanalytique de Paris). En France, nombre de travailleurs du champ social s'intéressaient depuis longtemps à la psychanalyse, et nombre de psychanalystes travaillent dans les institutions. De plus, la période semble propice au couplage du champ social et de la psychanalyse, comme en témoigne la récente création, issue des milieux du travail social, d'un institut dit «européen». Pour la création des CPCT, l'initiative vient de l'autre côté, des entours d'une école de psychanalyse. C'est que personne, n'est-ce pas, n'est propriétaire de la psychanalyse, et du champ social encore moins.

Affluence et soutien des pouvoirs publics

La nouveauté, c'est d'abord qu'il s'agit de membres de l'Ecole de la Cause freudienne, qui furent longtemps distribués dans le rôle de «gardiens du dogme». Dans ce temps-là, on reprochait volontiers à cette école son élitisme. Elle est désormais reconnue d'utilité publique (depuis mai 2006) ; ses membres sont sur le terrain social avec vitalité et enthousiasme ; il y a affluence dans les CPCT ; les pouvoirs publics locaux, régionaux, soutiennent. Quelle surprise !

La surprise fut d'abord pour nous-mêmes. Il s'agissait, au départ, d'une expérience originale et locale, dont nous voulions vérifier la pertinence quand bien même nous en avions anticipé la cohérence par une réflexion approfondie sur la psychanalyse appliquée à la thérapeutique, grâce à la lecture de l'orientation lacanienne par Jacques-Alain Miller et à travers l'élaboration collective de l'Ecole de la Cause freudienne. Nous avons dû prendre acte d'un succès qui nous a dépassés par son ampleur. Ce succès nous oblige. Nous donnons de notre temps, c'est vrai, et l'Ecole de la Cause freudienne a contribué financièrement à l'ouverture du CPCT parisien, mais diverses instances officielles ont maintenant pris le relais.

Les CPCT sont, et c'est aussi leur originalité, un haut lieu de formation clinique pour les jeunes praticiens, encadrés par des analystes confirmés, avec contrôles et enseignements. Y est requise une formation pointue, s'appuyant sur un travail ininterrompu des textes, une confrontation des résultats de la pratique, une analyse personnelle, hors du CPCT. A une époque où la référence au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (4)a abrasé la finesse de l'approche clinique, où règne l'idéologie du bien-être obligatoire dans le consumérisme, la qualité et la pertinence de la clinique lacanienne n'échappent pas à ceux qui sont en situation de souffrance, et les institutions sociales qui nous adressent tant de sujets en impasse les ont bien perçues.

Lacan a toujours considéré, comme Freud l'énonçait aussi, que le psychanalyste est éminemment concerné par le «malaise dans la civilisation», et qu'il est de son devoir de le déchiffrer, voire de le traiter. Si la psychanalyse prospère, c'est qu'elle est aujourd'hui sollicitée devant la précarité, les addictions, les troubles alimentaires, les passages à l'acte, et toutes les modalités symptomatiques de ce malaise. C'est un fait de société : les analystes voient venir à eux de plus en plus de personnes - de tous les âges, de toutes les conditions sociales, porteuses de toutes les souffrances - qui n'auraient pas fait appel à eux auparavant. Dans un lieu analytique, on ne vient pas seulement bavarder, mais la singularité d'un sujet peut s'y énoncer, être entendue, et repérée. Pour Lacan, le langage est au fondement de la réalité sociale, et nous ne séparons pas réalité psychique et réalité sociale. L'acte analytique ne tient pas à un «cadre», mais à des coordonnées de langage (écoute, neutralité, scansion, interprétation, transfert). L'acte peut se pratiquer dans des lieux nouveaux. Il n'est pas vrai que l'acte analytique ne reçoive sa garantie que dans le cadre du cabinet où l'on nous invite à rester, pour... garder vivante la vigueur subversive de la psychanalyse. Nous sommes sortis, il faudra s'y faire.

Orienter chacun

Peut-on comparer, comme le fait Joseph Rouzel, les CPCT à des gares de triage ? Celles-ci constituent un maillon noble au coeur des échanges vitaux du pays : on y branche les wagons, un par un, et sur les bons rails. Ne pas confondre avec une gare désaffectée, une voie de garage, ou tout autre mode ségrégatif. En fait, les consultations permettent d'orienter les demandes. Rencontrer un analyste est une chose de plus en plus aisée, mais il faut à ce dernier une solide formation clinique pour proposer la bonne réponse quand le malaise contemporain nous confronte à un grand nombre de psychoses non déclenchées, sans manifestations spectaculaires. Nous avons derrière nous une expérience élaborée des effets analytiques obtenus dans ces cas, ce qui nous permet de discerner ceux dont l'entrée dans l'association libre pourrait faire exploser un délire. Les traitements au CPCT ne sont pas pour tous, et nous orientons chacun.

On nous accuse parfois de vouloir «supprimer les symptômes». Non. Nous savons la nécessité du symptôme, sa fonction de solution singulière. Ce qui nous intéresse dans le symptôme, c'est le nouage entre langage, fantasme et jouissance, qui fait impasse et embrouille pour un sujet. Ce que nous avons constaté dans notre expérience, c'est qu'un point ayant trait à la jouissance d'un sujet - laquelle jouissance est son partenaire essentiel - peut trouver à être nommé dans un temps limité, et permettre un apaisement, un savoir nouveau pour le sujet, le démêlage d'un noeud, un nouveau nouage. Le sujet peut s'en tenir là, ou vouloir ensuite, plus tard, s'engager dans un travail analytique de longue haleine. L'expérience analytique obéit à ce que nous appelons des cycles, d'amplitude croissante. Au CPCT, un sujet parcourt seulement le tout premier de ces cycles.

Un transfert « autre »

Quant à la gratuité, la durée limitée du traitement permet au sujet de la supporter. En outre, elle n'est souvent pas problématique tant est grande la précarité symbolique, et l'urgence subjective, où se trouvent la plupart de ces sujets. Le transfert n'est pas celui qui opère dans la cure analytique dans laquelle un sujet s'engage chez un analyste, où celui-ci vient compléter le symptôme pour procéder à son déchiffrage imaginaire et symbolique afin de cerner le réel en cause. Ce n'est pas une pratique sans transfert, mais avec un transfert autre, qui permet de produire un instant de savoir qui change quelque chose pour le sujet sans l'installer dans un transfert à long terme.

La pratique de la psychanalyse appliquée ne fait en rien perdre son tranchant subversif à la psychanalyse pure. Elles sont liées : la première s'appuie sur la seconde. Mieux, le foisonnement des situations de «débranchement» (du travail, de la famille, du lien social sous toutes ses formes) chez des sujets contemporains a induit dans les centres psychanalytiques de consultations et traitement une pratique renouvelée, qui ne manquera pas à terme de revivifier la vigilance des praticiens de l'analyse pure.

Qui prend ombrage des CPCT ? Ceux qui se comportent comme s'ils étaient propriétaires du travail social et de son rapport à la psychanalyse ? La querelle autour de ces centres n'aura qu'un temps. Notre pari, c'est qu'ils feront école. Ils sont déjà imités, ils susciteront encore d'autres initiatives. Nous nous en réjouissons. La psychanalyse, dont nul n'est propriétaire, en effet (5), a de beaux jours devant elle, et les CPCT y seront pour quelque chose. »

Notes

(1) Voir sur ce sujet l'article « Des psychanalyses à l'écoute du malaise de la cité », dans les ASH n° 2507 du 11-05-07, p. 25.

(2) Voir ASH n° 2520 du 31-08-07, p. 33.

(3) Sigmund Freud, in La technique analytique , PUF, 1981.

(4) Couramment désigné par son acronyme américain, le DSM (pour Diagnostic and Statistical Manual) est un outil de classification publié par l'Association américaine de psychiatrie en 1994, et régulièrement complété depuis. Il est devenu pour la psychiatrie la référence, pourtant souvent contestée, avec la Classification internationale des maladies.

(5) Les analystes autoproclamés se recommandent souvent de la phrase de Lacan : « L'ana-lyste s'autorise de lui-même. » Lacan disait cependant qu'il fallait une Ecole.

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