Quelques heures après les députés, les sénateurs ont validé à leur tour, le 23 octobre, la version du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et l'asile issue des travaux de la commission mixte paritaire (CMP). Ce vote équivaut à une adoption définitive du texte. La question du recours aux tests ADN comme preuve de filiation dans la procédure de regroupement familial et celle de l'hébergement d'urgence des sans-papiers auront dominé la discussion générale. L'article 21 du projet, dont la rédaction laissait penser que le droit des étrangers en situation irrégulière à être accueillis dans les structures d'hébergement d'urgence serait remis en cause, n'aura finalement pas survécu. L'article 5 bis, consacré aux tests ADN, a en revanche été maintenu, dans une version édulcorée. Tour d'horizon des principales dispositions, sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel, que les parlementaires de l'opposition devraient saisir sur plusieurs points, et notamment sur l'article 5 bis du projet (devenu article 13 dans le texte adopté définitivement par le Parlement).
Le texte impose de nouvelles conditions aux personnes souhaitant rejoindre la France dans le cadre du regroupement familial. Ainsi, en premier lieu, il prévoit que les étrangers âgés de plus de 16 ans et de moins de 65 ans pour lesquels le regroupement familial est sollicité devront passer, dans leur pays de résidence, un test d'évaluation de leur degré de connaissance de la langue française et des valeurs de la République. Si ce test en établit le besoin, ils devront suivre, toujours dans leur pays, une formation d'une durée de deux mois maximum au terme de laquelle il sera procédé à une nouvelle évaluation. La délivrance de leur visa sera subordonné à la production d'une attestation de suivi de la formation. La loi renvoie à un décret le soin de fixer notamment le contenu du test d'évaluation et de la formation ou encore les « motifs légitimes » pour lesquels un étranger pourra être dispensé.
Un dispositif similaire est prévu pour les personnes souhaitant rejoindre un conjoint de nationalité française. Il comprend néanmoins quelques particularités, du fait du public visé. Ainsi, certains conjoints seront dispensés de tests tels le mari ou la femme de nationalité étrangère au sein d'un couple binational qui, vivant à l'étranger, décide de rejoindre la France pour des raisons professionnelles, sauf si le mariage a été célébré à l'étranger par une autorité étrangère et n'a pas fait l'objet d'une transcription.
Un contrat d'accueil et d'intégration (CAI) est par ailleurs créé pour les familles. L'étranger admis au séjour en France et, le cas échéant, son conjoint devront ainsi dorénavant, si un ou plusieurs de leurs enfants ont bénéficié de la procédure de regroupement familial, conclure « conjointement » avec l'Etat un CAI pour la famille par lequel ils s'obligent à suivre une formation sur les droits et les devoirs des parents en France, ainsi qu'à respecter l'obligation scolaire. En cas de non-respect de ce contrat manifesté de leur part « par une volonté caractérisée », le préfet pourra saisir le président du conseil général en vue de la mise en oeuvre d'un contrat de responsabilité parentale. Et les titres de séjour pourront ne pas être renouvelés en cas de non-respect du CAI ou, le cas échéant, du contrat de responsabilité parentale (1).
La loi modifie par ailleurs la première condition du regroupement familial, relative au niveau de ressources du demandeur. Jusqu'à présent, la loi prévoyait simplement que le montant des ressources exigibles de l'intéressé devait atteindre un niveau au moins égal au SMIC. Il n'était donc pas tenu compte de la taille de la famille. Désormais, le principe est inscrit dans la loi : les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Il reviendra à un décret de fixer ce dernier, étant entendu qu'il devra être au moins égal au SMIC et au plus égal à ce dernier majoré d'un cinquième (soit 1,2 SMIC). Précision importante apportée devant chaque assemblée lors de l'examen en séance publique des conclusions de la CMP : le décret ne devrait permettre la modulation des ressources jusqu'à 1,2 SMIC que pour les seules familles de six personnes ou plus. Notons qu'à l'initiative des députés, la condition de ressources ne devrait plus être opposable au demandeur qui, en raison de troubles de santé invalidants ou d'un handicap, rencontre des restrictions dans l'accès à une activité professionnelle rémunérée. Il s'agit plus précisément des titulaires de l'allocation aux adultes handicapés ou de l'allocation supplémentaire invalidité.
Par ailleurs, sauf censure de la part des neuf sages, le recours à des tests ADN pour des étrangers candidats au regroupement familial devrait s'appliquer, à titre expérimental, jusqu'au 31 décembre 2009. Facultatif et pris en charge par l'Etat, réservé aux ressortissants de pays dans lesquels l'état civil présente des carences ou est inexistant, ce dispositif ne devrait pouvoir être utilisé que dans les cas où ni les documents d'état civil d'une part, ni la « possession d'état » (2) d'autre part n'ont permis de prouver la filiation. Il ne devrait, en outre, permettre d'établir la filiation que par rapport à la mère et devrait nécessiter le consentement écrit du demandeur. Enfin, la décision d'autoriser le test devrait revenir au tribunal de grande instance de Nantes, spécialisé dans les aspects internationaux d'état civil. Un décret d'application - pris après avis du Comité consultatif national d'éthique - devrait fixer notamment la liste des pays dans lesquels la mesure pourra être expérimentée.
L'étranger qui, arrivé aux frontières françaises pour demander l'asile, s'est vu refuser l'entrée en France, pourra dorénavant déposer un recours suspensif contre la décision de refus d'entrée. Jusqu'à présent, aucun des recours à disposition de cette catégorie d'étrangers n'entraînait de plein droit la suspension de l'exécution de la décision prise par l'administration. Autrement dit, l'étranger qui entendait demander l'asile pouvait, en principe, être rapatrié dans son pays d'origine avant que le juge administratif se soit prononcé sur son recours. Cet état de fait a valu à la France une condamnation par la Cour européenne des droits de l'Homme en avril dernier (3). La loi prévoit, corrélativement, que désormais, en cas de demande d'asile à la frontière, la décision de refus d'entrée mentionne le droit d'introduire un recours en annulation suspensif.
Conséquence logique de la création du ministère de Brice Hortefeux, dorénavant chargé de l'asile, la loi entérine par ailleurs le changement de tutelle de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui dépendait auparavant du ministère des Affaires étrangères. Toutes les décisions de l'OFPRA restent soumises au contrôle de la commission des recours des réfugiés (CRR), laquelle est rebaptisée « Cour nationale du droit d'asile ».
A noter : sous l'impulsion du député (UMP) Thierry Mariani, l'Assemblée nationale a proposé de réduire de un mois à 15 jours le délai de recours devant la CRR. Mais les sénateurs s'y sont opposés et le délai de un mois - fixé par la loi du 24 juillet 2006 - a finalement été maintenu.
La loi procède à divers « ajustements » en matière d'éloignement. Elle facilite ainsi le recours à la visio-conférence devant le juge des libertés et de la détention pour les audiences de prolongation de la rétention administrative des étrangers ou de maintien en zone d'attente. Elle précise en outre dorénavant que l'obligation de quitter le territoire français conjointe à un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour ne fait pas l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision de refus de séjour. Autre innovation : le relevé des empreintes digitales et de la photographie des étrangers ayant bénéficié d'une aide au retour devrait être désormais possible.
Au chapitre de l'intégration, la nouvelle loi procède à ce que les parlementaires de la majorité ont nommé une « consolidation » du CAI « individuel » (4). Ainsi, le bilan de compétences professionnelles prévu dans le cadre du dispositif sera rendu obligatoire et le préfet devra tenir compte du non-respect manifeste du CAI lors du renouvellement du titre de séjour. A noter également : possibilité sera donnée aux titulaires d'une carte de résident de dix ans de demander la délivrance d'une carte de résident permanent d'une durée illimitée.
Plusieurs dispositions visent par ailleurs à faciliter l'immigration du travail. Principale innovation : la loi permet la délivrance d'une carte de séjour temporaire « salarié » ou « travailleur temporaire » aux bénéficiaires de la procédure d'admission exceptionnelle au séjour (5). Il ressort des débats que l'idée est d'offrir aux préfectures la possibilité de régulariser par le travail des étrangers sans-papiers se prévalant d'une promesse d'embauche dans des secteurs ou des métiers sous tension.
La mesure aura contribué à animer les débats : les traitements de données à caractère personnel nécessaires à la conduite d'études sur la mesure de la diversité des personnes, de la discrimination et de l'intégration devraient être désormais autorisés. Autrement dit, la nouvelle loi ouvre la porte à la réalisation de statistiques ethniques.
Autre nouveauté, passée en revanche plus inaperçue : sur proposition du gouvernement, la loi prévoit la mise en place d'un « accompagnement personnalisé pour l'accès aux droits » au bénéfice des étrangers ayant obtenu le statut de réfugié et ayant signé un CAI. Il s'agit de généraliser une expérience réussie conduite dans le Rhône par l'association « Forum réfugiés », le conseil général et les bailleurs sociaux afin d'accompagner le réfugié dans ses démarches pour trouver un logement et un travail, a expliqué Brice Hortefeux au cours des débats.
Parmi les autres mesures, on retiendra encore l'allégement de la composition de la commission départementale du titre de séjour (6) afin, a-t-on expliqué du côté de la majorité, que n'y figurent plus de magistrats capables d'intervenir ensuite dans la procédure de recours. Le co-développement, la lutte contre les mariages forcés, les violences conjugales et la traite des êtres humains, ou encore l'acquisition de la nationalité française par les mineurs étrangers souffrant d'une altération de leur faculté mentale ou corporelle figurent également au menu de la nouvelle loi. Nous reviendrons sur l'ensemble du texte dans un prochain numéro.
(2) Etablie par voie d'enquête, la possession d'état désigne une présomption légale permettant d'établir la filiation d'une personne sur la base de certains faits constatés par sa famille et par son entourage.
(4) Rappelons que la signature d'un tel contrat est obligatoire depuis le 1er janvier 2007 pour tous les primo-arrivants.
(5) Créée par la loi du 24 juillet 2006, cette procédure de régularisation « au cas par cas » vise les cas où l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels que ce dernier fait valoir - Voir ASH n° 2477-2478 du 10-11-06, p. 23 et n° 2479 du 17-11-06, p. 19.
(6) La commission départementale du titre de séjour est une instance consultative amenée à donner son avis sur le refus d'attribuer ou de renouveler un titre de séjour à un étranger. Elle était présidée jusqu'à présent par le président du tribunal administratif.