«Il faut réformer l'aide juridictionnelle », un « système au bord de l'implosion », affirme le sénateur (UMP) de la Sarthe, Roland du Luart, dans un rapport d'information rendu public le 11 octobre (1). Entre 1991 et 2006, le nombre des admissions a connu une hausse de 159,5 % : si ce chiffre témoigne d'une « réussite incontestable du dispositif mis en place », il traduit aussi « une certaine paupérisation de la population française et fait peser une lourde hypothèque sur la soutenabilité de la dépense consacrée à l'aide juridictionnelle sur le moyen terme ». Sur la même période, la dépense générée est en effet passée de 131 millions à 300,4 millions d'euros, soit une augmentation de 129,3 %. Il y a donc « urgence à agir », insiste l'auteur du rapport, qui propose quelques pistes de réforme fondées avant tout sur les principes de « transparence et de responsabilisation ».
« Parce que le justiciable est au coeur du système de l'aide juridictionnelle, estime le rapporteur, il doit également prendre sa part à la régulation de ce dispositif d'aide et d'assistance. » Afin de prévenir les comportements procéduriers, il propose ainsi d'instaurer un « ticket modérateur justice ». Ce qui nécessiterait un « reprofilage de l'aide juridictionnelle partielle (redéfinition des niveaux de prise en charge) ». En seraient exemptés les bénéficiaires de minima sociaux, les enfants mineurs et les victimes de crimes d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne, ainsi que leurs ayants droit.
Autre axe de travail : « l'amélioration impérative du recouvrement de l'aide juridictionnelle ». Les frais avancés sont en principe recouvrables contre l'adversaire du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle condamné aux dépens - sauf dispense totale ou partielle du juge - et qui ne bénéficie pas lui-même de cette aide. « Toutefois, dans les faits, nombre de juridictions n'établissent pas systématiquement d'état de recouvrement, et certaines n'en établissent pas du tout », constate le rapporteur. Ainsi, en 2005, les montants recouvrés n'ont représenté que 11,5 millions d'euros, pour un montant théorique maximal estimé à 20 millions d'euros. Au-delà de la complexité des modalités de recouvrement, les difficultés tiennent aussi aux « caractéristiques socio-économiques et psychologiques des débiteurs de l'aide juridictionnelle, qui présentent des spécificités souvent peu propices à un recouvrement facile », parce que se trouvant en situation de précarité. Face à ces constats, le rapport préconise de mettre en place un dispositif permettant de corriger l'insuffisance ou l'inexactitude des renseignements identifiant le redevable. Il convient aussi de s'appuyer sur les bureaux d'exécution des peines, dont « le dispositif actuel manque de lisibilité pour le redevable ». Aussi le sénateur de la Sarthe propose-t-il de développer une « approche client » auprès des personnes condamnées aux dépens, visant à mieux les informer du caractère potentiellement remboursable de l'aide, de son montant, de son fondement et des conditions de reversement. Un tel dispositif devrait, en outre, s'accompagner d'une émission de titre « très rapide et réactive, dès l'intervention de la décision de justice, tout en tenant compte toutefois des délais d'exercice de voies et délais de recours », et les procédures de paiement dès la sortie du tribunal devraient être facilitées.
« Tous les avocats ne contribuent pas aujourd'hui au fonctionnement de l'aide juridictionnelle » : sur environ 47 800 avocats répartis sur le territoire, seuls 22 500 ont exercé au moins une mission en 2005, soit un peu moins de un sur deux (47 %), critique le sénateur, qui souligne la nécessité d'une plus juste répartition des charges au regard de ce service public. Ainsi, pour permettre l'implication de l'ensemble de la profession dans le bon fonctionnement de l'aide, Roland du Luart propose d'instaurer une participation des avocats soit en temps, en acceptant des missions (« participation temps »), soit en contribuant financièrement à la bonne marche du système (« participation financière »). Dès lors, si l'avocat n'atteint pas l'objectif cible en termes de « participation temps », sa « participation financière » pourrait être calculée en appliquant à son chiffre d'affaires le différentiel entre la « participation temps » et le temps qu'il a effectivement consacré à l'aide juridictionnelle.
Parallèlement, le rapporteur propose une refonte d'ensemble du barème de rétribution des avocats plaidant dans le cadre de l'aide juridictionnelle, pour parvenir à un « barème horaires », qui prendrait en compte le coût horaire de la prestation de l'avocat et le temps passé par type de mission. Objectif : répondre à la « nécessité d'une rémunération plus juste et réaliste de l'avocat, mais aussi à un impératif de transparence, dont le dispositif actuel s'est progressivement éloigné ». Il estime également nécessaire de « systématiser la conclusion d'une convention entre l'avocat et le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, en vue d'une plus grande responsabilisation de part et d'autre », convention dont le contenu pourrait être défini par le législateur et/ou négocié entre la Chancellerie et les représentants des avocats. Ce document indiquerait les droits et les obligations des deux parties, ainsi que le montant de la rémunération versée par l'Etat à l'avocat pour l'affaire traitée. Il rappellerait aussi au bénéficiaire la possibilité du retrait de l'aide en cas de « retour à meilleure fortune », un mécanisme qui souffre d'ailleurs de « réelles insuffisances dans [son] application », souligne le sénateur de la Sarthe.
Enfin, Roland du Luart suggère de systématiser l'évaluation de l'impact de toute nouvelle loi sur les crédits de l'aide juridictionnelle. Objectif : « en finir avec un pilotage à vue du système judiciaire qui ne peut que contraindre, à moyen terme, à des « à-coups » nuisant fortement à la rationalisation et à la programmation de la dépense, et pouvant aller jusqu'à mettre en péril la viabilité du système de l'aide juridictionnelle dans son ensemble ».
(1) Le rapport est disponible sur