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Valoriser le communautaire, pas les communautés

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Certains professionnels ont engagé depuis quelques mois une réflexion sur la dimension communautaire du travail social (1). Un sujet sensible, abordé ici par Laurent Ott, éducateur et docteur en philosophie, qui, fort de son expérience associative, met en garde contre le communautarisme.

« On ne peut que se réjouir de la mobilisation récente d'acteurs sociaux autour de la notion de «communauté». Le territoire est, en effet, d'après notre expérience de travail associatif en milieu ouvert à destination des enfants, des adolescents, des parents d'un quartier, le niveau d'intervention permettant un travail non ségrégatif, qui touche, à la différence de tant d'institutions, ceux qui peuvent en profiter le plus. A condition, toutefois, qu'il se déroule réellement selon les règles du milieu ouvert et de l'accueil «communautaire» : gratuité totale, élimination ou simplification maximale de toute formalité administrative, présence directe de l'action et des intervenants dans les lieux de vie et d'habitation, hétérogénéité des âges, des origines, des sexes, des milieux, etc., et enfin reconnaissance de la réalité quotidienne des gens et des contraintes qui pèsent sur eux.

Un travail de développement social communautaire permet également de résoudre cette tension toujours vive entre individus et groupes. Dans une approche en milieu ouvert, le groupe n'est pas la limite de l'individu mais au contraire constitue un milieu, que les acteurs du projet et les professionnels impliqués se doivent de suffisamment structurer pour motiver et permettre l'expression personnelle, tellement rare et difficile de nos jours.

Ce type de travail est beaucoup plus fréquent qu'on ne croit. Il est spontanément mis en oeuvre par de multiples associations de quartier et parfois sous couvert d'activités qui paraissent banales : telle association qui propose de l'accompagnement scolaire, par exemple, constitue en fait un véritable coeur de quartier, multiplie les rencontres entre les individus et groupes qui le composent, s'adaptant aux plus fragiles et réalisant, au final, un travail d'une importance extrême... bien souvent ignoré et négligé par les collectivités (et donc soumis à la précarité des subventions). Mais on voit aussi combien ce travail qui est communautaire dans l'âme n'a pas grand-chose à voir avec les «communautés», et même parfois s'y oppose.

Le travail de présence sociale, ouvert à tous, au pied des immeubles, est communautaire car il permet de créer de la relation au-delà des limites habituelles. Il comble les distances parfois insondables entre institutions et publics, entre professionnels, destinataires et volontaires, obligeant chacun à interroger sa place et son désir. Il permet de rétablir une convivialité nécessaire et perdue entre des gens et des catégories que l'«ordre des choses» oppose sans cesse, parfois violemment. Il permet de reconstruire de la confiance dans le groupe, le collectif et d'élargir l'horizon étriqué d'individualités impuissantes et menacées par une vie dépourvue de sens.

Ce travail, qui s'alimente dans la rencontre improbable d'êtres porteurs de tant de cultures différentes, n'est en rien un travail qui donnerait corps à quelque identité «ethnique» ou «culturelle». Au contraire de cette tendance, le travail de développement social communautaire, selon moi, doit pouvoir amener chacun, au contact des autres, «si différents», à nuancer et à questionner la culture à laquelle il croit appartenir, pour qu'il puisse s'en libérer en découvrant qu'il y a en lui-même, au contraire, une diversité, une richesse et une complexité des influences.

Le travail social communautaire permet à chacun de faire l'expérience que l'étrangeté ne réside jamais là où l'on croit. Je découvre, par exemple, que j'ai avec cette personne d'origine sri-lankaise avec laquelle je partage des moments de vie bien plus de points communs que je n'aurais pu l'imaginer. A l'inverse, l'expérience du groupe me permet aussi de comprendre que l'autre, même celui que je croyais si proche, par son statut, la langue, etc., m'échappe toujours car l'humain est complexe et contradictoire.

De fait, engagé dans une association porteuse d'un projet de développement social et communautaire, je me dois d'exprimer mon opposition à toute reconnaissance «officielle», qui se traduirait par des subventions à des associations «identitaires» qui ne produisent pas sur le terrain un tel travail ouvert à la diversité, et dont je crois qu'elles se fourvoient dans leurs objectifs.

Notre époque froide et pleine de solitude a besoin de communauté ; si nous ne bâtissons pas des communautés chaleureuses, riches et ouvertes à tous, ce besoin, par défaut, fera naître des communautarismes artificiels qui créeront à leur tour d'autres séparations. Faute de communautaire, on aura du communautarisme.

Pour ma part, j'adhère à la conception d'un pédagogue social, Célestin Freinet, qui, à la question : comment prendre en compte la culture d'origine (sociale, familiale ou ethnique) des enfants accueillis dans une classe, répondait que la culture qui méritait tout le soin des acteurs et des éducateurs était toujours celle qu'ils allaient construire ensemble. »

Notes

(1) Voir en dernier lieu ASH n° 2523 du 21-09-07, p. 36.

TRIBUNE LIBRE

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