Plusieurs dispositions du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile adopté par l'Assemblée nationale et le Sénat ont divisé les deux chambres. Le texte devrait être examiné le 16 octobre par une commission mixte paritaire pour tenter de mettre d'accord députés et sénateurs sur les points litigieux, avant le vote définitif de la loi prévu pour le 23 octobre. La question du recours aux tests ADN comme preuve de filiation dans la procédure de regroupement familial, qui a dominé les débats, en fait partie. Saisi le 3 octobre par un sénateur alors même que le texte était encore débattu au Palais du Luxembourg, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a lancé à ce sujet, dans un avis (1), une mise en garde d'ordre général.
Les membres de l'instance (2) regrettent que des questions aussi importantes concernant l'accueil des étrangers et le droit de la filiation fassent l'objet de procédures en urgence. Ils craignent en outre que, malgré toutes les modifications de rédaction opérées, l'esprit de l'article relatif aux tests ADN ne mette en cause la représentation par la société d'un certain nombre de principes fondamentaux de la filiation. Celle-ci « passe par un récit, une parole, pas par la science ». « L'identité d'une personne et la nature de ses liens familiaux ne peuvent se réduire à leur dimension biologique », soulignent-ils. A leurs yeux, le recours aux tests ADN fait « primer en dernier lieu la filiation génétique vis-à-vis du père ou vis-à-vis de la mère comme étant un facteur prédominant, ce qui est en contradiction avec l'esprit de la loi française ». « De nombreuses familles témoignent de la relativité de ce critère », expliquent-ils, citant le cas des familles recomposées après divorce, de l'enfant adopté, de l'enfant né sous X, « sans parler de toutes les dissociations que peuvent créer les techniques actuelles d'assistance médicale à la procréation ».
Le comité se déclare encore « préoccupé par la charge anormale de preuves » que fait peser le dispositif envisagé sur le demandeur de regroupement familial, le « relief » donné aux marqueurs biologiques tendant à accréditer l'idée d'une « présomption de fraude ».
D'une manière générale, le CCNE attire l'attention sur la dimension profondément symbolique dans la société « de toute mesure qui demande à la vérité biologique d'être l'ultime arbitre » dans des questions touchant à l'identité sociale et culturelle. « Elle conduirait furtivement à généraliser de telles identifications génétiques qui pourraient à terme se révéler attentatoires aux libertés individuelles. »
A noter : les sénateurs ont, au final, adopté une version très encadrée de l'article autorisant le recours aux tests ADN pour les candidats au regroupement familial. Seule la filiation avec la mère du demandeur pourrait être recherchée, afin d'éviter qu'un chef de famille ne découvre qu'il n'est pas le père biologique de son enfant. Les agents diplomatiques ou consulaires devraient saisir le tribunal de grande instance de Nantes pour qu'il statue sur la nécessité de faire procéder à une telle identification. Enfin, les analyses génétiques seraient pratiquées à titre expérimental pendant une période maximale de 18 mois et seraient réalisées aux frais de l'Etat.
(1) Disponible sur le site
(2) Autorité indépendante ayant pour mission de donner son avis sur les problèmes éthiques, le CCNE comprend pour mémoire, entre autres, des médecins, des chercheurs, des philosophes, des représentants des communautés religieuses, des juristes et des élus. Il est présidé par Didier Sicard, professeur de médecine.