«J'ai la volonté de changer le regard que l'institution judiciaire pose sur les victimes, de changer le regard que les victimes posent sur l'institution judiciaire », a affirmé la garde des Sceaux aux associations de victimes et d'aide aux victimes qu'elle rencontrait le 9 octobre. Son objectif : « donner aux victimes une plus grande place dans les procédures », grâce à un ensemble de mesures visant à améliorer leurs conditions d'accueil, de prise en charge et d'indemnisation. « Cette journée n'est qu'une première étape », a assuré Rachida Dati, et sera suivie d'autres rencontres au cours desquelles seront évalués « point par point l'état d'avancement de ce grand chantier, les mesures qui auront été prises et celles qui restent à imaginer ».
Mieux tenir compte des victimes, c'est tout d'abord, pour la ministre de la Justice, « lutter efficacement contre la délinquance », et notamment la récidive des délinquants dangereux. Dans ce cadre, elle entend instituer « une audience particulière pour les personnes atteintes de troubles psychiatriques, qui sont reconnues pénalement irresponsables ».
« Pour soutenir les victimes », il faut aussi « faire appliquer les dispositions existantes ». Pour cela, une circulaire recensant l'ensemble des mesures en faveur des victimes qui doivent être « impérativement » mises en oeuvre devait être adressée à toutes les juridictions le 10 octobre (1). Ce texte rappelle, par exemple, aux parquets leur obligation de motiver toutes les décisions de classement sans suite. Et leur demande, « dans les cas les plus graves », de recevoir personnellement la victime. Dans le cadre des mesures alternatives aux poursuites, elle les invite aussi à informer les victimes des obligations auxquelles sont soumises les personnes condamnées et à leur dire si elles s'y tiennent effectivement.
De façon plus générale, la circulaire rappelle aux procureurs qu'ils ont le « devoir » de saisir les associations d'aide aux victimes afin qu'elles puissent aller au-devant de ces personnes, « en particulier lors des procès d'assises et des comparutions immédiates ». En outre, parce que « trop souvent des victimes durement éprouvées sont entendues entre deux affaires de droit commun, sans commune mesure avec le drame qui les accable », Rachida Dati demande dans cette instruction que « les affaires concernant les parties civiles puissent être appelées en début d'audience ».
La ministre envisage, par ailleurs, de revoir l'ensemble des procédures d'indemnisation des victimes, qu'elle juge « longues et complexes ». Certes, le code de procédure pénale prévoit desmesures destinées à faciliter l'accès à une réparation juste, mais leur « application reste trop souvent aléatoire ». A ce titre, elle rappelle qu'il faut donner la possibilité aux victimes de formuler une demande de dommages et intérêts dès le début de l'enquête, afin qu'elles ne soient pas obligées d'assister à l'audience. Toujours dans ce cadre, Rachida Dati souhaite remettre à plat les rapports entre ses services et les caisses primaires d'assurance maladie, dont elle requiert la présence lors des audiences.
En outre, « d'ici à quelques semaines », la garde des Sceaux mettra en place un service d'assistance au recouvrement des victimes d'infractions, accessible à celles qui ne sont pas éligibles à la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI). Sa mission : procéder au recouvrement des dommages et intérêts auprès de la personne condamnée. Au-delà, ce service pourra également verser à la victime une avance forfaitaire. Dans l'attente de la mise en oeuvre de cette mesure qui nécessite une loi, Rachida Dati rencontrera les assureurs afin de réfléchir au rôle qu'ils jouent dans l'accueil des victimes.
La ministre entend également réformer les CIVI, notamment en améliorant leurs conditions d'accès. Un travail qu'elle a déjà commencé en décidant de la mise en place, à leur tête, d'un juge délégué aux victimes (Judevi), dont la création est effective depuis le 1er septembre (2). Le Judevi devra informer toutes les victimes, qu'elles se soient ou non constituées parties civiles, et pouvoir saisir le parquet, ainsi que le juge d'application des peines et les services pénitentiaires d'insertion et de probation, afin qu'ils lui fournissent les éléments nécessaires à sa mission (3).
Rachida Dati envisage aussi de moderniser le Conseil national de l'aide aux victimes (CNAV) afin de prendre en compte les dernières évolutions du réseau associatif et les réalités du terrain. Le nouveau conseil « inclura davantage d'associations de victimes, de personnes qualifiées et d'autorités indépendantes », a expliqué la ministre. En outre, d'autres responsabilités lui seront confiées : ainsi, ses propositions figureront dans un rapport remis chaque année au garde des Sceaux, il sera consulté sur les projets de modifications législatives et réglementaires concernant l'aide aux victimes et il pourra émettre des avis et des recommandations qui seront transmis aux autorités compétentes.
Enfin, la ministre a engagé une réflexion avec les fédérations Citoyens et justice et l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation pour rationaliser les dispositifs d'aide aux victimes qui existent déjà. Une réflexion qui « doit s'ouvrir aux associations spécialisées », à savoir « celles qui s'occupent d'un secteur géographique particulier, d'un drame précis ou d'un type de crime particulier ». De plus, afin de reconnaître leur rôle essentiel, les associations d'aide aux victimes pourront bientôt recevoir un label - sous réserve d'adhérer à une charte d'engagement nationale - et être conventionnées par les cours d'appel. C'est à la fois un « gage de sécurité pour les familles de victimes » et la garantie d'une meilleure visibilité pour les associations.
(1) Un bilan de sa mise en oeuvre sera remis le 30 juin prochain.
(3) Son action fera d'ailleurs l'objet d'un « suivi attentif », a souligné la garde des Sceaux, notamment au travers du rapport annuel d'activité qu'il devra remettre lors de l'assemblée générale des magistrats du siège et du parquet.