L'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'Union européenne au 1er janvier 2007 a apporté « un grand espoir » aux Roms originaires de ces pays. Espoir vite évanoui devant la multiplication des expulsions de terrain depuis le printemps dernier (1) et les « distributions massives » d'obligations à quitter le territoire français (OQTF), ont expliqué le 28 septembre les représentants du collectif Romeurope (2). Ce même jour, la préfecture du Val-d'Oise annonçait avoir pris des mesures d'expulsion à l'encontre de la majorité des occupants de quatre camps de Roms abritant environ 500 personnes selon les associations,.
Une circulaire du 22 décembre 2006 (3), qui a fait cet été l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat par la Ligue des droits de l'Homme, la Cimade et le GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigrés), a en effet revisité le principe de « liberté de circulation et de séjour » pour les ressortissants roumains et bulgares. En cas d'un séjour de moins de trois mois, ce droit peut être limité « lorsque les intéressés représentent une menace pour l'ordre public ou constituent une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale français ». En réalité, explique Malik Salemkour, de la Ligue des droits de l'Homme, « ces «charges déraisonnables» étant très difficiles à prouver, l'administration les assimile à une insuffisance de ressources ». La seule présence des familles sur des bidonvilles est invoquée pour justifier l'éloignement, même lorsqu'elles n'ont sollicité aucune aide sociale, conteste le collectif Romeurope.
Au-delà de trois mois, le droit au séjour des Roumains et des Bulgares est subordonné à la condition de disposer d'un emploi ou de « ressources propres suffisantes » et d'une assurance maladie. En théorie, ces ressortissants peuvent, pendant la période transitoire à laquelle ils sont soumis, solliciter une autorisation de travail pour accéder à l'un des 62 métiers en tension qui leur sont ouverts. Reste que les démarches administratives nécessaires relèvent du parcours d'obstacles : certains documents, comme un certificat de naissance récent, sont difficiles à obtenir, l'employeur doit s'acquitter d'une taxe de 893 € , rédiger un dossier de près de 20 pages et attendre plusieurs mois l'avis de la direction départementale de l'emploi... Et au final, les demandes se soldent souvent par un refus ou l'abandon de l'employeur, rapporte le collectif. Ce qui favorise le travail clandestin...
L'accès à la santé des Roms n'est pas plus garanti. « Jusqu'à cet été, en l'absence de directive, c'était le flou artistique, témoigne Jalila Bouzid, coordinatrice générale de la mission « Banlieue » à Médecins du monde. Certains départements considéraient les Roms comme des sans-papiers et leur accordaient l'AME (aide médicale de l'Etat), d'autres ni comme des irréguliers ni comme des réguliers et ne leur donnaient aucun droit. » Le 2 août dernier, la caisse nationale de l'assurance maladie a tranché, malheureusement dans un sens plutôt restrictif : les Roms dépourvus d'emploi, comme les autres ressortissants européens « inactifs » ne disposant pas de ressources suffisantes, ne pourront pas prétendre à la CMU (couverture maladie universelle) mais à l'AME, comme les étrangers en situation irrégulière (voir ce numéro, page 7).
Neuf mois après l'entrée de leur pays d'origine dans l'Union européenne, les Roms - entre 5 000 et 6 000 en France selon les associations - n'arrivent donc toujours pas à accéder à leurs droits administratifs, ni à leurs droits fondamentaux comme l'accès aux soins, l'accès à l'eau dans certaines communes, ou encore à la scolarisation. Le constat est clair : « les Roms, victimes de discriminations et de racisme dans leurs pays d'origine, sont aussi considérés comme particulièrement indésirables en France ».
Les alternatives les plus fréquentes aux expulsions du territoire, les retours « humanitaires » pilotés par l'ANAEM (Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations), participent selon le collectif à la même logique : proposées « sous la contrainte », moyennant une somme de 153 € par adulte et de 48 € par enfant versée à l'arrivée, ces reconduites sont le plus souvent organisées dans la précipitation, décrit-il en pointant les difficultés des travailleurs sociaux de l'ANAEM à mener correctement leur mission. « Certaines familles renvoyées n'ont même pas de logement en Roumanie et sont dans l'incapacité complète d'y développer un projet, faute d'accompagnement social et professionnel sur place. » Sur une centaine de personnes parties de Seine-et-Marne dans ces conditions en août et en décembre 2006, un tiers sont déjà revenues.
Plutôt que la répression, les associations membres de Romeurope plaident pour une réponse sociale, qui passerait par la reconnaissance des Roms et des moyens qui leur seraient offerts pour s'intégrer : « Les projets d'insertion en France qui prévoient un accompagnement social des familles pour qu'elles puissent accéder à un logement, à l'emploi, à la scolarisation régulière des enfants, à l'alphabétisation, à la formation professionnelle sont à encourager, que l'initiative vienne des collectivités territoriales ou de l'Etat ». De tels projets sont encore peu nombreux, regrettent les associations en citant quelques exemples. Dans la Seine-Saint-Denis, après une vague d'expulsions, le préfet a décidé cet été de créer une MOUS (maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale) pour le bidonville situé à côté du stade de France. Mais sur les 500 personnes concernées, « seule une petite centaine est retenue pour un projet d'insertion ». Dans le Val-de-Marne, le conseil général a mis en oeuvre avec une association un projet d'insertion par le logement qui devrait concerner 200 personnes, financé sur trois ans. A l'initiative du maire de Lieusaint, le Syndicat d'agglomération nouvelle de Sénart (Seine-et-Marne) a lancé en avril 2002 un projet sur cinq ans associant l'Etat, qui a accepté de financer une équipe de travailleurs sociaux. Résultat : une vingtaine de familles ont pu accéder à un emploi et à un logement. Seul problème, fait remarquer Yves Douchin, représentant d'un collectif de sans-papiers en Seine-et-Marne : « en avril, les travailleurs sociaux ont été remerciés avec la fin de la convention, ce qui a mis un terme à l'accompagnement social des familles. » Des familles renvoyées au dispositif de droit commun, largement saturé...
(2) Soutenu par la Fondation Abbé-Pierre, il rassemble une quinzaine d'associations, dont la Cimade, la LDH, Médecins du monde, Parada, la Fnasat-Gens du voyage -