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Loi DALO : « nous ne pouvons pas faire fi d'une telle avancée »

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Certes, l'application de la loi sur le droit au logement opposable (DALO) (1) du 5 mars dernier peut susciter des questions. Mais, pour Nicolas Bérut, membre du conseil d'administration de la Fonda Rhône-Alpes, et Marc Uhry, chargé de mission à l'Association lyonnaise pour l'insertion et le logement (ALPIL), il convient de ne pas perdre de vue qu'une étape essentielle a été franchie avec ce texte : l'instauration d'une obligation de résultat.

« La publication récente dans les ASH de deux articles critiques sur les conséquences de la loi sur le droit au logement opposable (DALO) du 5 mars 2007 (2) nous amène à revenir sur la portée de ce texte. On mesure mal, à notre avis, l'étape essentielle franchie par le législateur. Véritable «sursaut civique», pour reprendre les termes de Paul Bouchet, ancien président d'ATD quart monde, cette loi est l'aboutissement d'un long combat mené par la société civile. Il nous semble donc très réducteur de se limiter aux interrogations que peut éventuellement susciter l'application d'un tel texte, si on n'en rappelle pas au préalable l'enjeu majeur, celui de l'application du droit au logement, que nous considérons comme la condition nécessaire à l'égale dignité entre êtres humains.

Cette loi n'est pas seulement le résultat d'une réaction humanitaire qui a fait fleurir dans les principales villes françaises des campements improvisés. Elle n'est pas non plus la seule conséquence d'un contexte électoral favorable aux initiatives législatives généreuses... Elle est avant tout l'aboutissement d'une lente maturation politique issue d'un combat associatif qui dure depuis plus d'une vingtaine d'années et qui s'est accompagné d'une succession de rapports et de textes de loi. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs reconnu le 19 janvier 1995 la portée de ce droit en rappelant que «le fait de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle».

En particulier, il faut noter que le projet de loi sur le DALO était prêt, car élaboré et soutenu par la société civile, notamment les associations membres de la «plate-forme pour un droit au logement opposable». Il était également défendu par le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. Les «Enfants de Don Quichotte» qui ont eu le grand mérite d'inclure cette demande d'évolution législative dans leur charte, ont constitué le dernier et nécessaire élément déclencheur à cette évolution majeure de la lutte contre les exclusions. On rappellera que l'Etat français est également signataire de textes internationaux qui l'engagent dans cette voie juridique et qu'il fait l'objet actuellement de « réclamations collectives » déposées en 2006 auprès du Conseil de l'Europe pour non-conformité avec l'article 31 de la Charte sociale européenne révisée, qui consacre... le droit au logement (3).

Une genèse de 25 ans

Arrêtons-nous un temps sur la genèse de la loi du 5 mars dernier. La chronologie législative témoigne de la construction progressive du droit au logement, de sa valeur déclarative à son opposabilité juridique. Depuis 25 ans, ce droit s'est effectivement construit au travers de textes successifs, dont certains restent essentiels aujourd'hui encore :

la «loi Quilliot», qui affirme dès 1982 dans son article 1er un premier principe : «le droit à l'habitat est un droit fondamental» ;

la loi du 8 juillet 1989 sur l'amélioration des rapports locatifs entre bailleurs et locataires, qui inscrit pour la première fois le logement comme «un droit fondamental» ;

la loi du 31 mai 1990 «visant à la mise en oeuvre du droit au logement», dite «loi Besson», qui constitue pour nombre d'observateurs une loi essentielle à la construction du DALO. Son article 1er, enrichi depuis, reste aujourd'hui encore déterminant : «Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation. Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir» ;

la loi d'orientation de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998, qui va encore plus loin puisqu'elle inscrit dans son article 1er le droit au logement parmi les droits garants de l'«égale dignité de tous les êtres humains» ;

la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains, et en particulier l'article 55, qui constitue, en 2000, un pas supplémentaire par l'obligation faite à certaines communes de disposer d'au moins 20 % de logements sociaux ;

la loi «portant engagement national pour le logement», qui a enfin franchi, en 2006, une étape significative avec son article 77, qui consacre le rôle de la puissance publique en modifiant fondamentalement le fonctionnement de la commission de médiation. Dans le cadre de cette instance, le préfet peut, au bout d'un long processus, se substituer au bailleur et attribuer lui-même un logement.

La loi DALO est donc venue parachever une succession de progrès législatifs, en instaurant un recours juridique contre la non-effectivité du droit au logement. Insistons sur le fait qu'elle institue en quelque sorte un contrôle a posteriori, par le juge administratif, des actions de l'Etat (ou du délégataire du contingent préfectoral) et de son obligation de résultat. Ainsi, d'une obligation de moyens, on passe à une obligation de résultat, l'obtention d'un logement ! Pour bien comprendre les effets à terme d'un tel texte, la comparaison avec le système scolaire peut être utile. En effet, il ne vient à l'esprit de personne aujourd'hui de contester à un enfant le droit à une scolarité. Et si des parents constataient l'incapacité des pouvoirs publics à proposer à leur enfant une école, le tribunal administratif aurait vite fait de contraindre l'Etat à y remédier ! En fait, ce n'est même plus envisageable car l'école est en France un droit opposable. Gageons qu'il en sera ainsi dans quelques décennies pour ce qui concerne le logement...

Un cadre de revendication

C'est pourquoi regretter la simple «réorganisation des moyens existants et l'absence de prise en considération de la complexité des situations et la précarité de populations à la rue», comme le fait le collectif TSUD, nous semble une critique purement conjoncturelle liée aux conditions de promulgation d'une loi dont les effets, en particulier sur les conditions d'hébergement, seront plus que conséquents... En effet, aux acteurs impliqués dans l'accueil et l'hébergement d'urgence qui s'échinent à trouver les moyens nécessaires à leur action, la loi DALO offre un cadre juridique de revendication. Son article 4, ainsi que la circulaire du 19 mars 2007 relative à la mise en oeuvre d'un principe de continuité dans la prise en charge des personnes sans-abri (4), sont suffisamment explicites pour révolutionner les pratiques et offrir, à terme, aux professionnels de terrain les moyens de leurs actions. Car s'ils ne les ont pas, les hébergés pourront, in fine, se retourner contre l'Etat (ou le délégataire du contingent préfectoral). Cette loi offre donc des perspectives réelles d'amélioration des moyens mis en oeuvre pour l'hébergement d'urgence et nous pensons qu'elle aura pour effet à plus ou moins long terme de démultiplier les services et les structures spécialisés. Il est certes pénible de voir comment un texte nouveau peut contrarier des actions entreprises de longue date, mais il est tout aussi discutable d'opposer les publics entre eux ! «Droit des pauvres, pauvre droit», se plaît à rappeler Paul Bouchet. Le droit au logement s'adresse à tous, et même si on peut voir ici ou là des applications maladroites de la loi, nous ne pouvons pas faire fi d'une telle avancée législative.

Quand, par ailleurs, on prend appui sur cette loi, comme le fait Stéphane Rullac, pour dénoncer l'irresponsabilité des pouvoirs publics qui joueraient «aux apprentis sorciers en modifiant les règles du travail social sans aucune précaution, consultation ou explication», c'est-à-dire en remettant en cause «le principe de limitation dans le temps des prises en charge» en structure d'hébergement, nous ne pouvons qu'être étonnés : ce raisonnement témoigne surtout de l'archaïsme de certaines pratiques du travail social... Patrick Declerck a par exemple montré, dans son livre Les naufragés (5), comment, pour reprendre la terminologie de Stéphane Rullac, «la norme du mérite» confine à l'hystérie de l'insertion : «l'hébergement d'urgence, par exemple, déplore l'instabilité chronique d'une clientèle mouvante, mais ces mêmes lieux utilisent toute une série de mécanismes (durée de séjour limitée, refus d'entreposer des affaires personnelles, refus d'allouer le même lit à une personne d'une nuit à l'autre, refus d'accepter les SDF se présentant spontanément à la porte de l'établissement sans passer par un procédure de recueil spécifique [...]) pour lutter contre ce qu'ils jugent être le risque de sédentarisation». L'essentiel n'est donc pas de dénoncer une sorte d'injonction institutionnelle visant l'évolution des pratiques sociales mais de s'interroger sur les raisons de la persistance de ces pratiques pour le moins contestables et de leur résistance aux changements.

S'alarmer enfin du bouleversement de certaines de ces pratiques (sociales ?), quand celles-ci sont par ailleurs illégales, est plutôt inquiétant. Car il nous semble utile de rappeler aux professionnels et bénévoles de l'hébergement ainsi qu'aux acteurs institutionnels que l'expulsion, sans décision de justice, d'une structure quelle qu'elle soit, y compris d'un CHRS, d'un ménage qui s'y refuse est considérée comme une voie de fait, un délit pénal. Il existe une jurisprudence et nul n'est censé ignoré la loi... Il est donc (grand) temps «que cesse toute notion de durée maximale de séjour dans les structures d'hébergement d'urgence, qu'il s'agisse de places dédiées dans des centres conventionnés ou de places dédiées dans des CHRS», comme le souligne la circulaire du 19 mars, qui ajoute que «seule la proposition d'orienter vers une structure pérenne commandera désormais la durée de séjour en hébergement d'urgence».

A la charité, on préférera toujours le droit. »

Notes

(1) Voir ASH n° 2496 du 2-03-07, p. 21.

(2) « Logement et hébergement : les pièges de l'urgence », par le Collectif TSUD, dans les ASH n° 2518 du 20-07-07, p. 37, et « Droit au logement opposable : «ne jouons pas aux apprentis sorciers» », par Stéphane Rullac, dans les ASH n° 2512 du 15-06-07, p. 21.

(3) Réclamations déposées par la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (Feantsa) et ATD quart monde et jugées recevables par le Conseil de l'Europe. Les deux associations ont d'ailleurs été entendues à ce sujet le 17 septembre par le Comité européen des droits sociaux, garant de cette charte.

(4) Voir ASH n° 2500-25001 du 30-03-07, p. 5.

(5) Les naufragés - Avec les clochards de Paris - Edition Plon, Collection Terre Humaine, 2001. On renverra en particulier le lecteur au chapitre intitulé « De la charité hystérique à la fonction asilaire ».

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