L'acte II de la décentralisation, mis en oeuvre avec la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République et la loi du 13 août 2004 sur les libertés et responsabilités locales, s'est accompagné d'une vague législative de grande ampleur. Ces quatre dernières années, une dizaine de lois fondamentales ont eu, tour à tour, un impact sur l'action sociale. Cha-cune a installé un nouveau dispositif dans un paysage caractérisé par un chevauchement des responsabi-lités entre les différents niveaux de collectivités, point sur lequel les intervenants des dernières rencontres de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS) (1) ont été unanimes.
« Les départements ont vu leurs responsabilités s'accroître de manière considérable. Néanmoins, du fait des difficultés de cohérence introduites par les différents textes législatifs ou réglementaires, il leur reste à mettre en oeuvre la fonction de chef de file qui leur est reconnue dans le domaine social, que ce soit en termes d'animation ou de coor-dination », constate Chantal Le Bouffand, chargée de mission à l'ODAS, qui fait état d'un ensemble de dysfonctionnements impressionnant. Quant aux villes, poursuit-elle, « oubliées » par la loi du 13 août 2004 et « amputées » d'une part de leurs responsabilités par l'intercommunalité, elles voient aujourd'hui, avec les lois de programmation pour la cohésion sociale, sur l'égalité des chances ou relative à la prévention de la délinquance, leur action renforcée dans une série de compétences, dont certaines viennent percuter celles des départements. A côté, les régions ont été consacrées comme acteurs à part entière du champ de la solidarité à travers le pilotage des formations sanitaires et sociales et la formation professionnelle de certains bénéficiaires de minima sociaux. Elles restent pourtant insuffisamment impliquées dans le projet social local, relève la chargée de mission. Enfin, l'Etat et les organismes de protection sociale « peinent, dans ce nouveau contexte, à redéfinir clairement leurs relations avec la gouvernance locale et, plus largement, le rôle qu'ils doivent jouer au titre de la solidarité nationale ».
Outre ce sentiment d'inachevé, le bilan financier de la décentralisation n'est guère plus convaincant. Une étude conduite par Dexia-Crédit Local en partenariat avec l'ADF (Assemblée des départements de France) a cherché à mesurer l'impact de l'enchaînement rapide des compétences transférées aux conseils généraux : 2002, création de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ; 2004, gestion du revenu minimum d'insertion (RMI) ; 2006, mise en place de la prestation de compensation du handicap. Cette analyse montre que la part consacrée à l'aide sociale par les départements a pratiquement doublé depuis 2002 pour atteindre 60 % de leur budget de fonctionnement. Entre 2005 et 2006, la dépense sociale des conseils généraux s'est accrue de 7 %, passant de 23,3 milliards d'euros à 25 milliards (2). Une fois retirées les différentes contributions de l'Etat, c'est une facture de 1,2 milliard de charges supplémentaires prélevées sur leurs ressources propres qu'ont dû acquitter en 2006 ces collectivités territoriales. « L'ampleur du phénomène est telle qu'on observe une modification de la structure de l'aide sociale départementale, avec une place considérable occupée par la gestion de l'APA et du RMI », estime Dominique Hoorens, directeur des études de Dexia-Crédit Local (voir encadré, page 30).
Ces tensions sur les budgets des collectivités sont, en outre, inégalement réparties. « D'un département à l'autre, les dépenses d'aide sociale évoluent de façon très différente en fonction du nombre de bénéficiaires de l'APA et du RMI, de la volonté politique du conseil général et de ses recettes », relève Dominique Hoorens. Par exemple, la dépense d'action sociale des 25 départements présentant le plus fort taux de bénéficiaires du RMI est 1,5 fois supérieure à celle des 25 qui accueillent le moins de titulaires de cette allocation. Et l'écart ne cesse de se creuser en l'absence de péréquation entre les départements urbains et leurs voisins ruraux ; ces derniers cumulant population précaire, augmentation massive du nombre de bénéficiaires de l'APA et manque de recettes fiscales.
Christian Alvarez, directeur général adjoint du conseil général de l'Ariège, observe par exemple que, dans son département, considéré comme l'un des plus pauvres de France, « la quasi-totalité de l'action sociale se confond désormais avec celle du conseil général ». Lequel, ajoute-t-il, se voit en outre obligé d'accorder des avances financières aux associations. Pour lui, il devient donc « primordial de garantir une égalité entre les départements, qu'ils soient riches ou pauvres, car la solidarité est de plus en plus exercée au niveau local. L'égalité du service rendu aux personnes en difficulté est en jeu. »
Ce bilan sombre pose la question du rapport entre la solidarité nationale et la solidarité locale. « Sans remettre en cause l'acte II de la décentralisation, il va falloir se demander comment l'adapter pour qu'il puisse générer du développement et de l'égalité, défend Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'ODAS. Si on a réduit, depuis 30 ans, les écarts entre les départements, on peut être certain que, sans modification des règles du jeu, ceux-ci vont s'amplifier considérablement dans les prochaines années. »
Le manque de concertation entre l'Etat et les collectivités locales est ainsi largement dénoncé. De ce point de vue, « la réforme constitutionnelle de 2003 s'apparente moins à une décentralisation qu'à une déconcentration de moyens », commente Jean-Louis Sanchez. L'acte II de la décentralisation, qui confirme l'Etat dans son rôle de régulation et de prospective, introduit en effet le principe général selon lequel les collectivités territoriales ont vocation « à intervenir pour toute question pouvant le mieux être mise en oeuvre à leur échelon ». Sauf que, dénonce Louis de Broissia, sénateur (UMP) et président du conseil général de Côte-d'Or, « l'Etat s'est mis à se tourner vers les départements pour se décharger de tout problème qu'il ne parvenait plus à régler, à l'image de la protection juridique des majeurs que la loi du 5 mars 2007 leur a transférée. En outre, tous ces transferts d'allocations et de droits fondés sur des règles et des barèmes nationaux ne se sont pas faits dans un partenariat gagnant-gagnant avec les collectivités. » Résultat : « 20 points de pression fiscale supplémentaire » pour un département moyen, assène le sénateur. « Les départements ne peuvent plus être les services prescripteurs d'une solidarité nationale décidée à Paris, et qui revient à faire payer le contribuable local. Nous avons grand besoin d'instaurer un nouveau type de relation. Mais il faut pour cela que cessent les vagues de textes nouveaux et qu'un contrat pluriannuel s'engage entre les départements et l'Etat. »
De fait, la situation est loin d'être simple. D'une part, « l'Etat continue à jouer un rôle important au plan local, notamment dans la gestion et l'organisation de l'offre pour les établissements et les services relevant de sa responsabilité (établissements et services d'aide par le travail, maisons d'accueil spécialisées...), alors que la plupart de ces compétences auraient tout à fait pu être départementalisées au moment de l'acte II de la décentralisation et de la loi «handicap» du 11 février 2005 », fait remarquer l'ODAS (3). D'autre part, de multiples niveaux d'expertises et de programmation continuent de cohabiter sur le terrain. Un véritable « maquis institutionnel », dénonce Roland Giraud, directeur général adjoint des solidarités au conseil général des Pyrénées-Orientales. « Le pilotage de l'action sociale est certes confié aux départements par la loi, mais il n'est ni réellement reconnu ni réellement défini. » Ainsi la loi charge le conseil général de la réalisation du schéma départemental d'action sociale et médico-sociale, alors que, dans le même temps, des programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC) sont réalisés au niveau régional pour le compte de la CNSA (caisse nationale de solidarité pour l'autonomie). « Quelle valeur a alors le schéma départemental par rapport au PRIAC ? », s'interroge Roland Giraud.
Par ailleurs, « le cadre de l'aménagement sanitaire de la région est porté par l'agence régionale de l'hospitalisation, si bien que les schémas régionaux d'organisation sanitaire [SROS] ont été adoptés en 2006 sans tenir compte de la temporalité des schémas départementaux portés par les conseils généraux », poursuit ce responsable départemental. Lequel déplore d'ailleurs que les conventions tripartites des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes « ne soient pas plus harmonisées » avec la durée des schémas départementaux. « Toute cette confusion institutionnelle freine la modernisation de l'action publique. Et la coordination ne peut se faire qu'au prix d'une importante débauche d'énergie. »
Du côté des communes, la plainte est encore plus aiguë. « Les villes et les centres communaux d'action sociale [CCAS] cherchent leur place dans la décentralisation face aux chefs de file de l'action sociale que sont les départements », déplore Jean-Pierre Guelfi, directeur général du CCAS de Marseille. En dépit de leur légitimité et de leur implication dans le développement de la réponse sociale locale, les communes apparaissent en effet comme les grandes oubliées du Meccano de la décentralisation. L'exemple du montage de la maison départementale des personnes handicapées est révélateur. Alors que sa forme de groupement d'intérêt public destine cette institution à fédérer l'ensemble des partenaires intervenant auprès des personnes handicapées, la commune n'y figure qu'au rang de « membre facultatif ». En 2006, 20 départements seulement avaient associé les villes aux maisons du handicap, « et encore, la plupart du temps, à travers la labellisation du CCAS comme point d'accueil », fait remarquer Jean-Pierre Guelfi. De même, « alors que les CCAS sont tenus d'effectuer chaque année une analyse des besoins sociaux de leur territoire, on peut s'étonner que leurs résultats ne soient pas pris en compte dans les schémas départementaux afin de mettre en perspective les politiques préventives adaptées », ajoute-t-il. « Seule une action sociale unique et concertée peut apporter des solutions adaptées aux besoins. »
Pour l'Association des maires de France (AMF), la solution passerait par « plus de délégations de compétences et de moyens » de l'Etat et du département au maire, « le seul homme qui, sur son territoire, peut avoir une vision cohérente et globale ». Pourtant, Jacques Pellisard, président de l'AMF et maire (UMP) de Lons-le-Saunier (Jura), ne peut que constater la difficulté des élus locaux à se faire entendre. « La première loi de décentralisation de 1983 prévoyait déjà ces délégations, or aucune n'a été signée depuis. Idem pour la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Celle-ci permet à une commune ou à une intercommunalité de demander au département de lui déléguer certaines responsabilités après conventionnement. A ce jour, seules quelques rares conventions commen-cent à être envisagées. » Les raisons ? Elles tiennent, pour le président de l'AMF, au décalage existant entre l'approche planificatrice du conseil général et l'action de terrain menée par les communes ou les intercommunalités.
C'est donc à une redéfinition des rôles de l'Etat et des collectivités territoriales qu'appelle un nombre grandissant d'acteurs. Comme Véronique Fayet, vice-présidente de l'Unccas (Union nationale des CCAS) et maire adjointe (UDF) de Bordeaux. « Chacun s'accorde pour penser que cette loi de décentralisation est illisible et que les départements ont trop de pouvoirs en matière d'action sociale. Mais il faut faire avec, estime-t-elle. Il faut donc dépasser les guerres de compétences et de territoires, dépasser ce qui est un conflit permanent entre l'égalité de tous devant la loi et les inégalités créées par l'autonomie des départements. Les compétences n'existent que dans les textes. Dans la réalité, tout est partagé. » Selon elle, deux moyens permettent de contourner les difficultés liées à l'éclatement des responsabilités. D'une part, la contractualisation entre les collectivités territoriales, « ce qui passe par des diagnostics partagés et suppose d'entrer dans des coopérations sur des territoires à définir, tels que la commune, l'intercommunalité, le pays ». D'autre part, la concertation la plus large possible avec les associations, les usagers, les professionnels, « ce qui s'appelle la gouvernance ».
L'analyse est similaire au niveau des représentants de l'Etat. « La complexité administrative peut être dépassée sans remettre tout à plat, défend Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale. Inversons le problème, regardons le parcours de l'usager et voyons quels sont les partenaires qui vont lui apporter le meilleur service. Si nous ne sommes pas capables de faire travailler les structures autour des personnes dans une logique de mutualisation et de bonnes pratiques, nous ne pourrons pas répondre demain aux enjeux majeurs que sont le vieillissement, la prise en charge du handicap et l'exclusion. »
Reste la méthode. Comment, par exemple, engager les décideurs des politiques publiques dans un projet territorial véritablement partagé quand leurs logiques d'intervention sont si différentes les unes des autres ? Ainsi pour réussir le schéma départemental, « il faut dépasser les strictes compétences du conseil général et établir des liens avec l'action sanitaire. Ce qui implique que l'agence régionale de l'hospitalisation accepte de construire des réponses communes sur des domaines définis avec le conseil général. Une première mesure consisterait à veiller à l'articulation des schémas départementaux et des SROS. Mais comme aucun acteur n'est légitime pour le faire, on en revient à la bonne volonté de tous », estime Roland Giraud. « Aller vers une observation sanitaire et sociale partagée pose donc le problème du territoire pertinent », juge Jean Chappellet, directeur régional des affaires sanitaires et sociales de Provence-Alpes-Côte-d'Azur, qui souligne qu'il faut aussi composer avec la montée en charge des régions.
Les solutions ? Elles doivent relever du bon sens, affirme Jean Chappellet. En premier lieu, elles passent par « la création au niveau local d'une instance de débat institutionnel et démocratique ». Réunissant l'ensemble des acteurs du sanitaire et du social, « son existence favoriserait l'installation de diagnostics communs en même temps qu'elle permettrait d'accompagner l'évaluation des politiques publiques ». Parallèlement, « il faut développer des processus de concertation sur les territoires, en créant des réseaux, en multipliant les occasions de rencontres entre les différents partenaires, au plus près de la population, explique ce directeur régional. Ces concertations locales peuvent éviter d'aller vers une planification uniquement descendante. »
Dans ce débat conduisant à revisiter les relations entre l'Etat, les collectivités locales et les usagers des dispositifs, la CNSA apparaît comme un partenaire majeur. Réunissant déjà dans son conseil les représentants de l'Etat, des départements, des associations et des syndicats, elle « peut devenir dans le champ de l'autonomie ce lieu de rencontre, aux côtés d'autres enceintes dans d'autres champs, permettant que les politiques nationales puissent se construire au vu des contraintes et des objectifs locaux », assure Denis Piveteau, son directeur général. La question de son pouvoir décisionnel se pose néanmoins. Son responsable rappelle que si la CNSA a pu fournir les éléments de cadrage ayant conduit à un plan de création de places et d'augmentation des personnels dans les établissements pour personnes âgées, « la nécessaire articulation de ce plan national avec la stratégie des acteurs de terrain est encore largement devant nous ». Ainsi, explique-t-il, les conseils généraux, pourtant impliqués dans le financement des dépenses en personnel des établissements d'héber-gement pour personnes âgées dépendantes n'ont pas encore été consultés sur le recrutement de 50 000 à 60 000 aides-soignantes et aides médico-psychologiques, de 20 000 infirmières (4), ni les conseils régionaux sur la politique de formation à mettre en oeuvre. « La complexité n'est pas forcément un défaut, à condition qu'on ait défini suffisamment tôt et suffisamment en amont ce qu'un projet implique pour l'ensemble des acteurs de référence », analyse Denis Piveteau.
De son côté, Régis Devoldère, président de l'Unapei (Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales), constate que « la CNSA ne dispose que d'un faible pouvoir de régulation face à la libre administration des collectivités territoriales ». D'un département à l'autre, précise-t-il, « on continue d'enregistrer de grandes disparités dans le nombre de places ou dans le financement d'établissements identiques ». Pour lui, « il reste donc à créer un nouveau mode de gouvernance du financement de l'autonomie, notamment dans le cadre d'un cinquième risque ou d'une nouvelle branche de sécurité sociale ». Un cadre dans lequel la CNSA (5) pourrait alors trouver toute sa dimension en voyant « son pouvoir de régulation renforcé et son périmètre d'intervention élargi au financement des établissements relevant de l'Etat et des conseils généraux, qui lui échappent actuellement ».
Quant à l'ADF, elle se dit aussi favorable à « l'amélioration du système installé avec la CNSA et les maisons départementales des personnes handicapées », tout en rejetant l'idée d'un cinquième risque « géré sur le modèle d'une caisse paritaire qui écarterait les départements ». L'un de ses vice-présidents, Yves Daudigny, président (PS) du conseil général de l'Aisne, reconnaît toutefois que cette solution suppose « une évolution des mentalités, une formation des personnels et des qualifications qui ne sont pas encore en place ».
Pour l'heure, les regards se tournent du côté des rares collectivités territoriales où des partenariats ont pu s'instaurer entre les différents acteurs des politiques publiques. C'est le cas de la mairie de Bordeaux, qui a créé le conseil de développement social. Cette structure, qui réunit la ville, le conseil général de la Gironde, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, la caisse d'allocations familiales ainsi que des représentants d'associations et d'usagers, permet de débattre du fonctionnement global du dispositif d'action sociale et de remédier à ses carences. L'ensemble, explique Véronique Fayet, repose sur une grande confiance entre les partenaires, dépassant les clivages politiques. « Il devient possible de travailler sur les interstices laissés par les systèmes d'action sociale très codifiés, qui négligent un certain nombre de questions, voire induisent des effets pervers. »
C'est aussi dans la voie du partenariat que s'est engagé le CCAS de Marseille. Il développe avec sept caisses de retraite complémentaire des procédures de repérage des personnes âgées isolées et fragilisées. Avantage : cette action volontariste est tournée vers la prévention, et les aides sur mesure sont extralégales et échappent aux rigidités que connaissent l'APA et la PCH. Autre piste, celle du conseil général du Haut-Rhin, qui va expérimenter une gestion au cas par cas des personnes âgées dépendantes afin de sécuriser leur accompagnement sanitaire et administratif : chacune d'elles sera suivie individuellement par un « gestionnaire de cas » situé dans un bassin de vie.
Autant d'expériences sur lesquelles il convient de s'appuyer, estime Régis Devoldère : « Il faut que nous essayions ensemble de relever les raisons de ces succès afin de tirer vers l'avant l'ensemble du dispositif social et médico-social et que s'instaure une égalité de traitement des usagers. »
La gestion des différentes aides sociales met en évidence, selon l'ODAS, le manque de cohérence du dispositif de solidarité après les actes I et II de la décentralisation.
Sur les quatre principaux minima sociaux destinés aux personnes d'âge actif - revenu minimum d'insertion (RMI), allocation de parent isolé (API), allocation aux adultes handicapés (AAH), allocation de solidarité spécifique (ASS) -, seul le revenu minimum d'insertion a été confié aux départements, tandis que l'API, l'AAH et l'ASS sont restées gérées au niveau national. « Chacun de ces minima sociaux a, de plus, conservé son instruction et sa définition spécifiques », observe Claudine Padieu, directrice scientifique de l'ODAS.
L'API est ainsi considérée comme un revenu familial, l'AAH comme un revenu individuel, l'ASS conjugue les deux niveaux puisqu'il s'agit d'un revenu individuel dans lequel les revenus de la famille interviennent. En outre, « on note d'importantes différences dans le calcul des ressources, la définition de la famille, l'accès aux formations ou aux contrats aidés ».
Même absence de logique au niveau des aides à l'autonomie. Si l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH) combinent toutes les deux analyse des besoins de la personne, prestation et organisation de la réponse sociale et médico-sociale, en revanche, les deux autres allocations de soutien à l'autonomie - l'allocation compensatrice pour tierce personne (payée par le département) et la majoration
pour tierce personne (payée par la sécurité sociale) - ne comportent ni évaluation globale des besoins du demandeur, ni justification de l'effectivité de la dépense. « Si bien que des personnes relativement autonomes ont intérêt à les conserver plutôt que d'accepter les contraintes de l'APA ou de la PCH », souligne encore Claudine Padieu.
A la nécessité de simplifier l'ensemble du système (6) s'ajoute celle d'une remise à plat de son financement, compte tenu de la montée en puissance inévitable de l'APA et de la PCH. Ainsi, l'étude conduite par Dexia-Crédit Local montre qu'avec plus de un million de bénéficiaires pour 4,3 milliards d'euros de dépenses, la part prise par les collectivités dans le financement de l'APA est passée depuis 2002 de 56 % à 67 %. Quant au RMI, son transfert en 2004 s'est fait sur la base des budgets versés par l'Etat à l'époque, soit 5,2 milliards d'euros financés pour l'essentiel par la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP). « Or la dépense a augmenté sous la poussée du nombre de bénéficiaires pour atteindre 5,7 milliards d'euros en 2006, tandis que la TIPP restait stable », pointe cette étude. D'où la création d'un déficit qui se creuse un peu plus chaque année.
Mais pour Michel Dinet, président de l'ODAS, le problème dépasse les seules questions de la gestion et du financement des prestations. Tout se passe comme si deux types de solidarité se mettaient à cohabiter. « A l'Etat le rôle d'organiser de nouvelles solidarités professionnelles sur la base d'un financement stable, assuré par les cotisations sociales, et petit à petit aux collectivités locales le rôle d'assumer l'ensemble des prestations non fondées sur des droits acquis par le versement de cotisations. »
(1) Les 5 et 6 juillet 2007, à Marseille, sur le thème « Cohésion sociale et décentralisation : clarifier les rôles pour mieux agir ensemble » - ODAS : 250 bis, boulevard Saint-Germain - 75007 Paris - Tél. 01 44 07 02 52.
(2) Sur le détail de la dépense, voir ce numéro, p. 35.
(3) In « Développement social local : Les voies de l'action au service du changement » - Jean-Louis Sanchez, Marion Laumain, Hélène Besseau - Les Cahiers de l'ODAS - Juin 2007 -
(4) Dans le cadre du plan solidarité grand âge - Cette estimation a été présentée le 3 juillet dernier au conseil de direction de la CNSA.
(5) Celle-ci a d'ailleurs été chargée par le gouvernement précédent de réfléchir aux modalités de création d'un cinquième risque. Elle devrait donner ses orientations dans le rapport annuel au Parlement et au gouvernement qu'elle doit remettre le 16 octobre.
(6) L'ODAS reprend notamment l'idée d'un revenu familial unique regroupant RMI, API et ASS, et pose la question de la transformation de l'AAH, de l'ACTP et de la MTP.