Le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, sur lequel l'urgence a été déclarée, devait être adopté par les députés le 20 septembre, au terme d'un débat houleux. En effet, avant même le début de sa discussion, le 18, deux amendements UMP sont venus renforcer la polémique sur un texte déjà très contesté.
Le premier, défendu par le député (UMP) Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois, visait à introduire dans le texte la possibilité pour les agents diplomatiques ou consulaires de proposer aux candidats au regroupement familial de recourir à un examen génétique pour prouver leur filiation. Arguant de fraudes récurrentes et de l'opportunité d'éviter ainsi un rejet systématique, le député du Vaucluse a jugé, « en cas de doute sérieux sur l'authenticité ou d'inexistence de l'acte civil », que le demandeur pourrait réaliser à ses frais un tel test.
Ce projet a suscité l'indignation générale des associations de défense des étrangers, des droits de l'Homme, des associations familiales et d'une grande partie des députés, jusque dans les rangs de la majorité. La défenseure des enfants, réagissant en urgence, a aussitôt publié un avis très critique sur ce projet. « Ces examens, en France, sont très soigneusement encadrés sur le plan juridique et ne peuvent être ordonnés que par un juge, rappelle-t-elle. Sortir de ce cadre au bénéfice des seules familles étrangères demandeuses du regroupement familial est tout à fait préoccupant à plusieurs points de vue » : n'y a-t-il pas en effet un risque de dérive ? d'inégalité compte tenu du coût de l'examen ? Comment seraient traités les enfants adoptés ? « Cet amendement interroge plus largement notre conception de la famille qui ne se limite pas uniquement aux liens du sang », pointe-t-elle.
Embarrassé par les obstacles juridiques et éthiques à la mise en oeuvre d'une telle mesure, le gouvernement a annoncé, le 18 septembre, qu'il serait prêt à soutenir l'amendement de Thierry Mariani, à trois conditions : que le texte insiste sur le caractère volontaire du recours au test génétique, que l'Etat rembourse les frais induits en cas de filiation établie et que la mesure soit mise en place à titre expérimental pendant deux ans et revue sous contrôle du Parlement.
Un autre amendement a monopolisé les débats : celui qui autorise le recueil des données faisant apparaître les origines raciales ou ethniques des personnes pour les besoins d'études « ayant pour finalités la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration ». Une disposition, argumentent les auteurs UMP du texte, qui permettrait de mettre en oeuvre les recommandations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Au terme d'un grand débat public, l'instance a, en mai dernier, rendu un avis dans lequel elle s'oppose à la création d'un référentiel national « ethno-racial », tout en se déclarant favorable à la conduite d'études sur les discriminations, sous réserve de précautions méthodologiques (1)). Détournement des moyens au profit d'intentions moins louables ? C'est en tout cas le sentiment de l'intersyndicale (CGT, CFDT, SUD) de l'INSEE, fermement opposée la réalisation de statistiques « ethno-raciales »(2). Contrairement à certaines organisations, comme le Conseil représentatif des associations noires, elle a aussitôt condamné ce projet : son inclusion « dans une loi destinée à durcir les conditions d'entrée des étrangers et à restreindre le regroupement familial ne laisse pas de doute sur l'objectif final de cet amendement », ont fustigé les organisations. Reste que l'amendement a reçu un net soutien de la CNIL. L'instance affirme que la proposition, qui vise à « faciliter les recherches en matière de mesure de la diversité des origines, de la discrimination et de l'intégration, tout en améliorant la protection des droits des personnes et le caractère scientifique des enquêtes », est la traduction fidèle de l'une de ses recommandations. « L'amendement n'a aucun lien avec la création d'un référentiel ethno-racial sur lequel la CNIL demeure très réservée », a-t-elle défendu.
Un autre amendement, adopté par la commission des lois sans, celui-là, faire grand bruit, a néanmoins fait réagir Amnesty International France et France terre d'asile. Alors que le délai dont disposent les demandeurs d'asile pour former un recours devant la commission des recours des réfugiés est actuellement de un mois, l'amendement le réduirait de moitié, soit à 15 jours. Une mesure en contradiction avec les promesses de Brice Hortefeux, ministre de l'Immigra-tion, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Co-développement, selon qui l'un des objectifs du projet de loi « est de conforter la procédure d'examen des demandes d'asile », estime Amnesty.
Reste que, outre ses amendements décriés, la philosophie même du projet de loi a suscité diverses manifestations d'opposition de la part des associations. Alors que le collectif Uni(e)s contre l'immigration jetable a organisé une manifestation le 18 septembre, Emmaüs a cherché à sensibiliser les députés en les invitant à débattre dans les groupes Emmaüs de leur circonscription. Plusieurs organisations, dont la Ligue des droits de l'Homme, le Réseau éducation sans frontières et la Cimade, ont adressé un courrier au président de la République, laissant de côté les arguments techniques et faisant simplement valoir « l'impératif moral de voir respecter la dignité et les droits élémentaires de toute personne vivant sur le territoire de la République ».
Un bras de fer soutenu, là aussi, par la défenseure des enfants. Saisie en juillet par le Groupe d'information et de soutien des immigrés et la Ligue des droits de l'Homme (3), Dominique Versini a publié le 17 septembre un avis très critique sur plusieurs mesures visant à restreindre le regroupement familial. La disposition « relative aux conditions de ressources pour obtenir le regroupement familial est contraire à la Convention internationale des droits de l'enfant, dans la mesure où elle ferait obstacle dans bon nombre de cas au «droit de l'enfant à ne pas être séparé de ses parents» », a-t-elle tranché.
La défenseure des enfants a également pris position sur le contrat d'accueil et d'intégration pour la famille, qui oblige les parents étrangers à suivre une formation sur « les droits et devoirs des parents en France », sous peine de sanctions prévues par le code de l'action sociale et des familles. Le fait que des parents ne suivent pas une telle formation « ne saurait en aucun cas être assimilé à une carence de l'autorité parentale », a-t-elle souligné. Elle estime enfin que l'obligation pour le mineur de 16 à 18 ans de justifier, préalablement au regroupement familial, d'une évaluation de la connaissance du français et des valeurs de la République, et le cas échéant d'une formation, n'est pas non plus conforme à la Convention internationale des droits de l'enfant. « Il serait plus adapté de prévoir une mise à niveau de la connaissance de la langue à l'arrivée sur le territoire français dans un environnement familial sécurisant. »