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Le droit des usagers, frein ou moteur pour l'innovation ?

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Face au droit des usagers, qui s'est affirmé au travers des dernières lois sociales, les professionnels hésitent à prendre les risques nécessaires à toute action d'accompagnement de publics en difficulté. Pourtant, ces nouvelles dispositions, sous réserve qu'on en ait une bonne connaissance, peuvent constituer non pas une menace, mais un repère pour l'action.

Quoi de commun entre le responsable d'une association caritative du XIXe siècle et celui d'un service social ou médico-social contemporain ? Techniquement et professionnellement, très peu de chose. Plus d'un siècle d'évolution des représentations, et donc du droit, les séparent. Autant dire un abysse. L'environnement professionnel du social s'est progressivement imprégné de nouvelles obligations : hygiène, sécurité, normes architecturales, gestion financière et administrative, mise en place du contrat de séjour, évaluation, prévention des risques, etc.

Quel est le moteur de cette nouvelle législation sociale ? La reconnaissance du droit des usagers, affirme sans hésitation Alain Verdebout, juriste et directeur du centre d'accueil et de soins Dessaignes (Loir-et-Cher). « Aujourd'hui, on est client-consommateur et on attend un certain nombre de prestations. Les personnes en difficulté sociale attendent de la même façon des services adéquats à leurs problèmes. Le droit des usagers vient concrétiser toute une évolution sociale, qui prend ses racines à la fois dans le renforcement démocratique et dans la consommation. Désormais, les usagers des institutions sociales ou médico-sociales ne sont plus seulement dans l'attente et la soumission, mais dans l'exigence. »

La mutation a été très rapide. Après quelques pré-requis inscrits dans la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, comme la participation des personnes accueillies au fonctionnement de l'établissement, ce droit des usagers a été consacré par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, puis décliné dans le droit à compensation instauré par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. La personne accueillie dans un dispositif se voit reconnaître des droits identiques à ceux de tout membre du corps social : « Le droit de l'usager devient par conséquent le droit du citoyen en institution », résume Alain Verdebout.

Pur débat théorique ? Nullement. Le retournement du regard est radical. « Auparavant, l'usager était sous la dépendance des aidants. Désormais ce sont les aidants qui sont sous la dépendance du choix des usagers. Avec la reconnaissance juridique du droit des usagers, on passe du respect bienveillant et altruiste que la société accorde à des personnes fragilisées à un droit opposable, explique ce directeur. La manifestation de la volonté d'un usager, fût-elle altérée, c'est celle d'un citoyen à part entière susceptible d'engager des recours. Le droit de l'usager se transforme en pilier de la législation. »

L'impact sur le fonctionnement de l'établissement est considérable. « Les changements de postures professionnelles sont parfois difficiles, car le temps de l'action sociale charitable n'est pas toujours loin. Il est encore souvent plus facile de penser pour les personnes que de les laisser penser par elles-mêmes. Désormais, il nous faut envisager la nature contractuelle du rapport avec l'usager, ce qui rend nécessaire de trouver des compromis acceptables », affirme Jean Briens, président du GEPSo (Groupe national des établissements et services publics sociaux et médico-sociaux) (1).

Autonomie et sécurité

Ces compromis ne sont pas toujours aisés à établir car les droits des usagers et des professionnels peuvent entrer en opposition. En outre, explique Denis Burel, directeur du Carrefour d'accompagnement public social de Rosière-aux-Salines (Meurthe-et-Moselle), les intervenants travaillent auprès de personnes en difficulté, « exclues elles-mêmes de ces droits hors de l'institution », et s'exposent par les risques qu'ils doivent prendre au quotidien. Il leur faut sans cesse « inventer de nouvelles formes d'accompagnement pour répondre aux besoins toujours nouveaux, complexes et multiformes des publics en voie d'exclusion ». Comment alors l'institution va-t-elle pouvoir « laisser la place à l'usager pour qu'il puisse exprimer ce qu'il ne peut exprimer à l'extérieur, tout en tenant compte des normes et des obligations qui encadrent l'accompagnement des personnes » ?

On estime qu'au cours de ces 20 dernières années, environ un millier de textes sont venus codifier ces obligations. Rien que depuis 2002, six nouvelles lois fondamentales se sont succédé. L'articulation de cette législation sociale, en perpétuelle construction, avec les missions d'accompagnement des professionnels tient de l'ajustement permanent. « Nous sommes engagés dans un processus dangereux. Notre secteur avait sans doute besoin d'évoluer, mais nous voilà pris dans une escalade visant à produire toujours plus de droit au détriment de la relation entre usagers et professionnels », s'alarme Jean-Pierre Rault, directeur du Centre départemental de l'enfance d'Ille-et-Vilaine. Premier effet : comme cela s'était déjà produit dans le secteur sanitaire, le spectre d'une judiciarisation de la séculaire relation usager-professionnel s'est mis à planer sur l'ensemble du champ social et médico-social. « Le déploiement d'un droit à trop forte propension répressive constitue une menace empêchant les nécessaires prises de risques et les évolutions au profit de positions de retrait conservatrices. Nous courons le risque de devenir un guichet souvent unique, voire totalitaire, de délivrance de droits, certes opposables, mais souvent stéréotypés, s'alarme Jean-Pierre Rault. Pour continuer à faire notre métier, peut-être faudra-t-il demain non pas courir après le droit, mais apprendre à résister à l'excès de droit. »

Cette pression ressentie par les professionnels prend un relief particulier dans le secteur de la protection de l'enfance, qui a été réformé par la loi du 5 mars 2007. Si ce texte vise à prévenir les situations à risque, explique Jean-Marie Muller, président de la Fédération nationale des associations départementales d'entraide des personnes accueillies à la protection de l'enfance (Adepape), il s'applique dans un contexte général d'amalgame entre protection de l'enfance et prévention de la délinquance. En outre, il ne dissocie pas la protection de l'enfance de l'aide à la parentalité, « ce qui plonge les équipes accompagnantes dans des enjeux insurmontables de choix entre l'intérêt de la famille et celui de la protection de l'enfant en danger ». Aussi assiste-t-on, déplore Jean-Marie Muller, à « la multiplication des directives concernant ce qu'on nomme la bien-traitance et la prolifération de guides qui viennent donner caution à une loi qui n'a rien tranché ». Et de s'interroger : « Cet arsenal de textes ne vient-il pas anesthésier les pratiques spontanées, les relations humanisées entre professionnels et usagers, et interdire l'apparition pour les enfants délaissés de véritables figures de résilience ? »

D'autant que si les contraintes s'ampli-fient, les vides laissés par l'agencement des lois contribuent à instaurer un climat d'insécurité générale. « Dans le champ du handicap, après la loi du 2 janvier 2002 qui a commencé à refonder tout le dispositif, on est parvenu avec la loi du 11 février 2005 à la définition de la personne handicapée. Cette loi est d'une telle ampleur qu'elle pourrait apparaître comme une avancée permettant encore d'aller plus loin. Elle est pourtant au quotidien, en tout cas dans cette phase encore incertaine, génératrice de difficultés innombrables », observe Jean-Marie Schleret, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). D'où la nécessité, selon ui, de bien étudier les textes encore à venir et d'avoir « le courage » de revenir sur certains d'entre eux, qui, à l'expérience, s'avèrent insuffisants (2).

Parmi les difficultés d'application de la loi, Jean-Marie Schléret cite notamment la mise en place chaotique des maisons départementales des personnes handicapées, la tendance des commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) « à perpétuer les anciens fonctionnements » ou encore l'incapacité de la prestation de compensation du handicap à répondre aux attentes des personnes les plus lourdement handicapées et sa « totale inadéquation » à celles qui sont moins dépendantes. « L'insatisfaction générale prévaut, estime le président du CNCPH, et les professionnels se retrouvent dans une position fâcheuse. »

Conséquence : un nombre grandissant de responsables cherchent à se protéger en s'abritant eux-mêmes derrière le droit. Exemple, ce directeur d'une maison d'accueil spécialisée qui, faute de pouvoir recueillir l'assentiment du tuteur d'un de ses résidents nécessitant une hospitalisation d'urgence, et en l'absence du juge des tutelles, ne s'est résolu à signer l'hospitalisation de la personne que parce qu'il pouvait s'abriter derrière la notion d'assistance à personne en danger. Réaction symbolique de l'excès de précaution. « Le droit peut aussi bien être un repère pour l'action qu'un refuge à l'inaction », observe Pierre Delor, juriste et directeur du service d'accompagnement à la vie autonome à l'EPDSAE (établissement public départemental de soins, d'adaptation et d'éducation) de Lille (Nord). Il est, pour lui, urgent que les établissements et services relativisent la toute-puissance du droit, s'ils veulent aller au bout de leurs missions humaines. Accompagnant et soutenant quelque 300 adultes handicapés mentaux ou psychiques vivant de façon autonome dans le département du Nord, ce service est amené à composer au quotidien avec toute la gradation des prises de risques, ces actions souvent à la limite du droit, qui ne peut tout cerner.

C'est, raconte Pierre Delor, l'accompagnement d'un homme de 30 ans dont les troubles névrotiques l'amènent à démonter compulsivement tous les appareils électriques, télévision, radio, chauffe-eau, au risque de s'électrocuter. Ou encore l'admission au service des grands brûlés d'une personne handicapée psychique qui se plaignait de douleurs au ventre et aux cuisses, et révèle, à la stupéfaction de ses accompagnateurs, qu'elle s'était renversée sur le corps, une semaine auparavant, l'eau bouillante qui devait servir à confectionner son café. C'est encore le cas de cette jeune femme handicapée mentale dont le logement avait été confisqué par un squatter qui était allé jusqu'à changer la serrure de la porte d'entrée. Comme la police se déclarait incompétente et que les voies d'exécution forcées prévues par la loi s'avéraient trop longues, l'équipe du SAVA a pris alors la décision de chasser l'intrus manu militari. « L'action faite au nom des droits de la personne vulnérable exposait au risque de poursuites pénales pour violation de domicile et voies de fait », reconnaît Pierre Delor. Mais que faire d'autre ? Abandon-ner ? « Souvent, raconte-t-il, nous sommes tentés, devant un problème nouveau, de l'éluder en invoquant que les textes ne le prévoient pas. Pourtant, en examinant de plus près le droit, on peut trouver le moyen de lui faire exprimer toute sa quintessence. Qu'est-ce qui nous retient alors ? Principalement la crainte de voir notre responsabilité pénale engagée. Or celle-ci ne le serait qu'en cas de mise en danger de la sécurité des personnes que nous accompagnons, que ce soit volontairement, par négligence ou par l'ignorance des règles de sécurité. » Au juge pénal alors de vérifier si l'action a été réfléchie et si la prise de risque s'inscrit dans un projet de service ou d'établissement, voire, a contrario, s'il s'agissait simplement d'une négligence ou d'une incompétence professionnelle.

Les poursuites pénales : un fantasme ?

Les faits confirment cette analyse. A l'inverse des craintes exprimées sur le terrain, aucune juridiction pénale n'enregistre une envolée des condamnations des professionnels à la suite de contentieux portés par les usagers ou leurs représentants. « La prétendue multiplication des contrôles administratifs n'est pas plus observée », ajoute Michel Laforcade, directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de Dordogne : l'immense majorité des établissements n'a pas subi de contrôle approfondi depuis des années, voire parfois depuis des décennies. « Nous avons tendance à surreprésenter l'importance des interdictions. Cette inflation juridique manifeste, loin de signer un renforcement du carcan juridique, signifie peut-être au contraire une forme d'affaiblissement de la loi, suggère Michel Laforcade. S'il faut multiplier en permanence les textes, c'est qu'on est en grande partie incapable d'utiliser ceux qui existent déjà. »

Pour ce directeur, le « vrai changement » juridique de ces dernières années est à rechercher ailleurs, dans l'apparition du « principe de précaution » dans le champ social et médico-social. A l'instar du domaine sanitaire, où le retrait d'un médicament suspecté de toxicité peut être prononcé à titre préventif, ce principe de précaution exige des directions d'institutions sociales d'agir avec la même anticipation - par exemple en mettant à l'écart un collaborateur au comportement douteux jusqu'à la fin des investigations. Mais mal compris, il peut amener de nombreux professionnels à « censurer leurs actes dès qu'ils envisagent un risque ». En réalité, estime encore Michel Laforcade, la donne de l'accom-pagnement des personnes fragilisées « reste inchangée » en 2007. « Le fait de soigner ou d'éduquer a toujours partie mêlée avec celui de prendre des risques pour soi-même, mais en sachant que l'acte éducatif, par essence, doit permettre à l'autre de prendre des risques. Mais des risques accrédités, des risques encadrés, et en ayant bien à l'esprit ce principe de précaution. »

De fait, le renforcement de l'encadrement juridique et normatif du social peut être perçu sous des angles très différents. Chape pesant lourdement sur les pratiques professionnelles pour certains, ou, comme le rappelle Jean Briens, président du GEPSo, « incitation à nous dépasser, à sortir du cadre, et à prendre des risques calculés ». Jean-Marc Vernis, ancien directeur du foyer départemental de l'enfance (FDE) du Morbihan, va encore plus loin : « L'innovation est devenue un impératif catégorique pour l'ensemble du secteur social et médico-social dans la mesure où celui-ci a perdu de sa stabilité face aux mutations de la société. »

Sortir des cadres administratifs

Ce responsable s'est ainsi retrouvé confronté vers la fin des années 1990 à l'arrivée d'un nouveau public de jeunes adolescents « borderline », fluctuant entre psychiatrie, secteur judiciaire, séquences de rue, et d'une violence telle qu'ils débordaient les méthodes des éducateurs et l'organisation du foyer, une structure éclatée en petites unités de type familial. Le directeur s'est alors rapproché de quelques figures locales, des personnages charismatiques ayant connu eux aussi un passé difficile mais qui s'étaient engagés ensuite avec énergie dans des actions militantes aux côtés, souvent, de jeunes en difficulté. « L'idée était de les recruter comme personnes ressources susceptibles de recevoir certains des mineurs chez qui l'image de l'adulte était la plus cassée. La proximité faisait que nous pouvions garder un contact avec les jeunes, tout en déléguant la pédagogie », explique Jean-Marc Vernis. La solution sort tellement des cadres administratifs habituels qu'elle reçoit l'appellation de « lieux de vie atypiques » et réussit à convaincre les juges des enfants et le conseil général, qui acceptent de délivrer un agrément annuel pour l'accueil individuel des jeunes.

Lancés en 2002, les « lieux de vie atypiques » représentent pour la FDE du Morbihan un outil ponctuel utilisé sur saisine de la justice, avec des résultats jugés « très positifs ». Si Jean-Marc Vernis reconnaît que cette expérience comporte des limites pour « l'institution respectueuse des réglementations » et qu'elle représente « un exercice extrêmement difficile au niveau du droit et de la sécurité », il rejette néanmoins toute idée de prise de risques : « Dès l'origine, ces risques étaient partagés par l'ensemble des partenaires. »

En matière de sécurité, Marie-Jo Montoya, directrice au Carrefour d'accom-pagnement public social (CAPS) de Meurthe-et-Moselle, une structure gérant plusieurs institutions pour personnes handicapées, estime également que c'est « l'esprit de la loi » qu'il convient de rechercher, sans être forcément « prisonnier de la lettre ». « La loi nous donne des règles. A nous de trouver des espaces de liberté pour appliquer tout ce qu'elle ne dit pas », affirme-t-elle. Le CAPS a ainsi proposé de créer un établissement dont le projet social de favoriser l'autonomie et l'insertion sociale des usagers s'accompagnait de l'installation de cuisines familiales et de la suppression des couloirs. Initiative qui, pour voir le jour, a dû être négociée pas à pas avec les différentes instances du département. « Que veulent les services départementaux de sécurité, que la réglementation soit appliquée ?, s'interroge Marie-Jo Montoya. Nous le voulons aussi, mais nous voulons surtout que notre projet social soit respecté. A partir de là, quels sont les moyens de déroger ? Cela doit être étudié en amont en faisant valoir nos idées. Tout n'est pas possible, mais nous serons au plus proche. »

Parallèlement, la directrice insiste sur l'importance de diffuser « la culture de la sécurité » auprès des travailleurs sociaux, « pour qu'à partir de cette connaissance, ils puissent s'en dégager et se réinvestir sereinement dans l'accompagnement humain ». Et de citer un ensemble de mesures de bon sens associant les salariés de la structure : effectuer régulièrement des contrôles dans l'établissement, faire vivre le registre de sécurité, demander à chaque nouvel agent recruté de remplir un questionnaire de connaissances, etc. « Quand les professionnels connaissent la sécurité, ils sont sécurisés », affirme-t-elle.

Il reste que la question de la compatibilité du droit des usagers avec ceux des professionnels ressemble à bien des égards à un puits sans fond. D'année en année, fait remarquer Michel Dinet, président de l'ODAS (Obser-vatoire national de l'action sociale décentralisée), toutes les études montrent que l'action sociale a dû s'adapter à un contexte marqué par l'accroissement de la marginalité, l'enkystement d'une pauvreté devenue structurelle et une incompréhension et une insatisfaction sociales, qui atteignent la cohésion de la société toute entière. « Le cadre juridique doit donc traduire, dans la clarté, l'ambition politique consistant à construire un «vivre ensemble solidaire» et, pour cela, faire évoluer les solidarités et les pratiques sociales et politiques. »

Au premier rang des garanties attendues, la réaffirmation forte du principe d'expérimentation, inscrit dans la loi du 2 janvier 2002. Ce principe, précise Michel Dinet, par ailleurs président du conseil général de Meurthe-et-Moselle, « vise à l'émergence d'approches et de pratiques inédites au croisement des initiatives citoyennes, de l'action publique d'Etat et de celle des collectivités territoriales. Il témoigne d'une conception de l'action publique fondée sur la confiance qu'impose la prise de risque partagée. C'est une reconnaissance du droit à l'erreur et à la révision permanente des approches et des objectifs, mais selon des règles exigeantes qui limitent le risque lié à l'incertitude des résultats. C'est le socle de sérénité nécessaire à l'exploration. »

Un socle que le législateur, et avec lui les tutelles chargées de faire respecter les lois, devront protéger afin de prévenir chez les professionnels la tentation du risque zéro.

Contrat de séjour : approximations et imprécisions...

Que vaut le contrat de séjour sur la plan juridique ? C'est la question que s'est posée Béatrice Dugravot, juriste et avocate au barreau de Nancy, en planchant sur le document présenté par la loi du 2 janvier 2002 comme le fondement de l'accueil d'un usager dans une institution sociale ou médico-sociale (3).

Passé son premier « étonnement » en constatant que « l'idée d'origine de ce contrat est de protéger l'usager contre la maltraitance », la juriste décrit une inquiétante série d'approximations. A commencer par la désignation des parties signataires. « Généralement dans un contrat, on parle de «co-contractant», avec le contrat de séjour on parle d'«usager». » Ce qui fait que le contrat, avant sa signature, s'accompagne pour l'établissement de la seule obligation « d'information » (charte des droits et liberté de l'usager, règlement de fonctionnement).

La juriste remarque également que le contrat de séjour « réclame la participation de l'usager », mais que cette participation est examinée sous deux aspects. Soit la personne signe le contrat de séjour « et nous entrons bien dans le cadre du contrat ». Soit la personne refuse de signer, et la loi stipule qu'à défaut un « document individuel » tient lieu alors de contrat. « Ce qui est un non-sens, dans la mesure où un contrat n'existe que s'il est signé par les deux parties. » D'autant, poursuit-elle, que la participation peut inclure le représentant légal de l'usager ou sa famille. « Mais quel droit juridique a une famille dans ce cadre, et qui va être la famille ? »

Aussi imprécise qu'elle soit, cette irruption de la responsabilité contractuelle dans les rapports entre l'usager et l'établissement n'est pas sans retombées. Alors que l'usager devait autrefois se fonder sur une faute avérée pour porter plainte, désormais « la simple non-exécution d'une clause du contrat de séjour » suffit pour entamer une procédure judiciaire.

Par ailleurs, que représente ce contrat quand il n'a pas été signé ? « Si un contrat signé conduit à une réciprocité des engagements des deux parties, le «document individuel» n'implique aucune responsabilité de l'usager. Si bien qu'on renverse les responsabilités et qu'au final le seul responsable ne peut être que l'établissement qui n'aura pas satisfait à une exigence, puisque l'autre partie ne se sera jamais engagée », analyse Béatrice Dugravot, qui doute que le législateur ait souhaité aboutir « à cette conception simpliste de la responsabilité ». Il est d'ailleurs probable que ce même législateur ait tenu à anticiper les éventuelles difficultés en prévoyant, en cas de conflit entre l'usager et son institution, l'intervention d'un médiateur désigné sur une liste établie conjointement par le préfet et le président du conseil général. « Mais avec quels pouvoirs ? Son rôle est de rapporter la situation aux autorités de tutelle. Ce n'est ni de la médiation, ni de la discussion. »

Seul aspect positif que la juriste entrevoit, « l'obligation du contrat de séjour aura fait comprendre que l'usager est une personne, qu'il a des droits, et qu'on doit discuter avec lui ». Pour le reste, « avoir donné une tonalité très contractuelle à ce document a surtout contribué à jeter une animosité qui ne se justifiait pas », condamnant de surcroît une majorité d'établissements à une rédaction « très évasive » des clauses du contrat. « Nous possédons un arsenal juridique suffisant. Mieux aurait valu faire confiance aux professionnels, et c'est la chose essentielle qu'on a oubliée. »

Notes

(1) Lors du colloque « Le droit dans le travail social », organisé les 7 et 8 juin 2007, à Nancy, par le GEPSo : 7, rue Mongenot - BP 21 - 94161 Saint-Mandé cedex - Tél. 01 53 66 16 50 - info@gepso.com.

(2) Le ministre de la Solidarité s'est engagé, à la suite du rapport du délégué interministériel aux personnes handicapées, à accélérer la mise en oeuvre de la loi « handicap » et à remédier à certains dysfonctionnements - Voir ASH n° 2520 du 31-08-07, p. 5.

(3) Voir ASH n° 2245 du 11-01-02, p. 20.

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