L'arrêt rendu le 11 septembre par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) est-il le signal d'une évolution de la jurisprudence européenne sur l'octroi des prestations sociales non contributives ? Il donne en tout cas une nette inflexion à la lecture rigoureuse, qui prévalait jusque-là, du règlement européen n° 1408/71 du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté.
En l'espèce, un salarié handicapé néerlandais bénéficiait, pour compléter son salaire inférieur au revenu minimum légal, d'une prestation en espèces réservée aux jeunes travailleurs handicapés. Une prestation dont le versement a été suspendu après le déménagement de l'intéressé des Pays-Bas vers la Belgique, alors même qu'il continuait de travailler dans son pays d'origine.
Sans surprise, en application du règlement européen de « sécurité sociale », la Cour estime que la prestation doit être considérée comme une prestation spéciale à caractère non contributif. Elle n'est donc pas exportable dans un autre Etat membre. Toutefois, en se fondant sur le principe de libre circulation des travailleurs - inscrit à l'article 39 du traité des Communautés européennes -, la CJCE tempère cette solution, négative pour l'intéressé, en exigeant que le principe de proportionnalité soit respecté : « la condition de résidence pour le bénéfice de la prestation servie [...] ne peut être opposée à une personne se trouvant dans la situation du plaignant que si elle est objectivement justifiée et proportionnée à l'objectif poursuivi » par la loi nationale. La cour renvoie au juge national - qui doit donner à la loi nationale une interprétation compatible avec le droit communautaire - le soin « de tenir compte, notamment, du fait que le travailleur en cause a conservé l'ensemble de ses attaches économiques et sociales dans l'Etat membre d'origine ».
Cette solution constitue, sans nul doute, une brèche dans l'interprétation jurisprudentielle rigoureuse du principe de non-exportabilité des prestations spéciales à caractère non contributif, inscrit dans le règlement européen de sécurité sociale. Les organismes délivrant ce type de prestations devront ainsi tenir compte, dans leur analyse de la législation nationale, sous le contrôle des juridictions locales, d'une certaine équité envers les bénéficiaires.