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Placement familial : une rencontre sous haute tension

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Centré sur la protection de l'enfant, le placement familial permet à ce dernier de grandir auprès d'adultes assumant les fonctions que ses parents ne sont pas en mesure de remplir. Cette prise en charge individualisée, effectuée dans un cadre sécurisant et contenant, offre une réponse riche et complexe. Elle n'est pourtant pas sans risques pour la famille d'accueil, qui est mise à rude épreuve.

Il est indispensable qu'un lien se noue entre l'enfant et ses accueillants pour qu'un échange, qui va l'aider à se construire, puisse avoir lieu. Néanmoins, s'attacher à d'autres adultes que ceux de sa famille expose l'intéressé à un conflit de loyauté. « Soit l'enfant conserve le souvenir de ses autres liens et il n'arrive pas à s'intégrer dans sa famille d'accueil. Soit il joue la carte de l'intégration d'une manière consciemment sincère, et il se trouve en difficulté par rapport à la famille qu'il a quittée », explique Hana Rottman, pédopsychiatre et psychanalyste (1). Cette culpa-bilité empêche certains enfants de profiter de tout ce que leur amène une famille d'accueil - voire les conduit à voler celle-ci pour pouvoir donner quelque chose à leur famille d'origine. D'autres, pour arriver à vivre avec cette double relation, érigent « une sorte de couture profonde, un clivage entre les deux univers », ajoute la pédopsychiatre : ils donnent l'impression d'être contents d'être dans leur famille d'accueil, et de ne plus avoir d'intérêt pour leur famille d'origine ; mais, quand le moment vient de rencontrer leurs parents, ils basculent dans un autre monde et oublient ce qui se passait dans la famille d'accueil. « Au point que lorsqu'on va les rechercher, ils se cachent sous le lit, ne veulent pas rentrer chez tata - et, éventuellement, accusent celle-ci de les frapper. » Il s'agit là, précise Hana Rottman, d'une défense de l'enfant, qui « retourne contre la famille d'accueil ce qu'il ressent vis-à-vis de ses parents » et l'incrimine de tous les mauvais traitements subis du fait de ces derniers.

La famille d'accueil est mise à rude épreuve. « Iné-vitablement, dans la mesure où on est attaché à cet enfant et où on essaie de le guérir de ses sentiments de perte, d'abandon, de dépression, on se trouve contaminé par sa souffrance », analyse la pédopsychiatre. Aussi, paradoxalement, « lorsque la famille d'accueil commence à aller mal, cela montre que le placement va bien, que l'enfant vient d'établir un lien avec elle ».

Si l'écho que suscitent les troubles de l'enfant chez les accueillants témoigne d'un début de réussite de l'accueil, a contrario faut-il se méfier de l'eau qui dort. « Les crises parfois se déplacent, et ce qui ne se joue pas dans la famille d'accueil se produira ailleurs (clash avec le juge des enfants, conflit dans l'institution...) », met en garde Jean-Louis Nouvel, pédopsychiatre, responsable de l'accueil familial thérapeutique du Centre hospitalier Henri-Laborit à Poitiers (Vienne), et président du Réseau d'intervenants en accueil familial d'enfants à but thérapeutique (2). « Il serait assez grave que tout tourne rond, alors qu'on a affaire à un corps étranger dans une institution, qui vient mettre la pagaille pour donner à parler de sa cause - et conduire les gens qui l'entourent à se remettre en cause », commente Hervé Jaoui, psychiatre et psychanalyste.

Une répétition sous contrôle

Pourtant, on aurait pu penser que, dans une famille qui « fonctionne bien », c'est-à-dire qui ne lui impose pas de carences graves, de promiscuité ou de maltraitance, l'enfant se saisirait avec enthousiasme de tout ce qui lui est proposé. Mais force est de constater souvent que « cet enfant ne sait pas accepter ce qui lui vient de différent, même si ce dont il avait l'habitude était mauvais pour lui. C'est comme cela qu'il sait entrer en relation avec les autres », reprend Hana Rottman. Ainsi peut-il provoquer sa famille d'accueil à toutes sortes de passages à l'acte, par sa propension à remettre en scène les dysfonctionnements familiaux, qui sont précisément à l'origine de la séparation. Cette dernière constitue une nouvelle expérience traumatique, « une répétition sous haute surveillance et contrôle institutionnel », dans laquelle chacun joue son propre rôle sur un scénario imposé par l'enfant, afin de l'aider à sortir du traumatisme initial ayant imposé de le placer. « C'est comme s'il s'agissait de mettre en place un processus artificiel de resymbolisation, une fiction vraisemblable, c'est-à-dire qu'on va jouer à faire de la famille, alors qu'il n'y en a pas, mais en espérant que ça en devienne », analyse Hervé Jaoui. Le pari est donc d'associer, dans un même creuset, un enfant et des parents, étrangers les uns aux autres, dans l'objectif qu'ils adhèrent à cette fiction et la rendent un jour opérante.

Mais transformer son espace privé en milieu professionnel et devenir son propre outil de travail en disposant de sa famille comme « équipe adjointe » ne va pas sans risques, précise Bénédicte Bataille, psychologue clinicienne, formatrice d'assistants familiaux. Quand, avec son conjoint et ses propres enfants, on devient « la famille supposée idéale », c'est « un saut dans l'incon-nu », témoigne Christiane Foulonneau, assistante fa-miliale à la Sauvegarde de l'enfance de Nantes (Loire-Atlantique). « Ces enfants qui viennent envahir notre quotidien, en amenant avec eux des tensions étrangères à nos vies », s'apparentent à des « pochettes-surprises ». De fait, les 20 années partagées par cette famille d'accueil avec deux petites filles en grande difficulté n'ont rien eu d'un long fleuve tranquille. « Nous avons souvent remis en question le bien-fondé de notre travail », raconte Christiane Foulonneau. Le plus dur, estime-t-elle, n'a pas été de devoir affronter les multiples tempêtes dues à la souffrance de ces enfants, mais de n'avoir pas bénéficié d'« un accompagnement digne de ce nom dans les moments douloureux ». En particulier, « il a manqué à nos enfants », âgés de 9 et 8 ans quand a débuté l'accueil en novembre 1987, « de pouvoir exprimer le mal-être provoqué par le déséquilibre familial à l'arrivée des fillettes, leur incompréhension face à certaines situations. Ils auraient souhaité une réponse apportée par le service, ce n'est pas le rôle de leur maman. »

Ces enfants venus d'ailleurs, que l'assistant familial introduit dans son foyer, amènent effectivement avec eux une manière d'être qui va perturber les rapports existant entre les membres de la famille d'accueil. Soudain élargie, en quelque sorte recomposée, celle-ci « vit la contradiction permanente d'être prise dans une relation d'attachement avec un enfant et d'être une famille professionnelle, investie d'une responsabilité institutionnelle dans la mise en oeuvre d'un projet de vie pour cet enfant », commente Jean-Louis Nouvel. Le métier d'assistant familial, qui exige de s'engager dans « le portage physique, psychique et affectif du jeune accueilli aussi longtemps que celui-ci en a besoin », sollicite l'intéressé à la frontière d'un dedans et d'un dehors. Au sein de sa propre famille, où « la vie commune devient l'intersection de deux histoires non partagées », l'assistant familial qui donne son affection - et son temps -, le fait sous le regard direct de son conjoint et de leurs enfants. D'où les sentiments de jalousie et de rivalité que ces derniers seront d'autant plus susceptibles d'éprouver s'ils ne comprennent pas le caractère professionnel du rôle de leur parent. C'est pourquoi, il est nécessaire que l'équipe du placement vienne leur signifier - et resignifier - la place particulière qui est désormais la sienne.

Car l'un des paradoxes de l'accueil familial tient à ce que le contrat passé avec le service n'est signé que par le seul assistant familial, alors que toute la famille est mise au travail. Offrir ainsi l'ensemble de sa vie et de sa culture intrafamiliale à la dimension professionnelle expose à un droit de regard sur son « intime tribal », explique la psychologue Hélène Olomucki, formatrice d'assistants familiaux. Or, explique-t-elle, il ne faut pas négliger le danger de déstabiliser la famille d'accueil par un point du vue exogène, voire critique, sur ce qui constitue un ordinaire des pratiques privées. Aussi les équipes du placement doivent-elles souvent relativiser leurs standards éducatifs, ou du moins ne pas les imposer aux accueillants sans réflexion. « Même si les habitudes de cette famille ne sont pas les nôtres, ce qui importe, c'est qu'elles respectent la personne de l'enfant », insiste Jean-Louis Nouvel.

Qualifiées de « théoriciennes du quotidien » par Jean-Claude Cébula, psychologue clinicien, directeur de l'Institut de formation, de recherche et d'évaluation des pratiques médico-sociales (IFREP), les familles d'accueil développent un savoir « être avec » l'enfant, émaillé de doutes et de trouvailles, qui est loin de se réduire à une multiplicité de tâches parcellisées, ou de techniques à appliquer. Mais, pour faire vivre et évoluer ce lien délicat, encore faut-il qu'elles soient suffisamment soutenues - et reconnues - par l'équipe du placement. « Aucun problème n'est soluble dans la relation duelle », résume Christian Allard, responsable d'une structure de placement familial du Val-de-Marne (3). « Pour prévenir les risques du métier de famille d'accueil, l'équipe a un rôle fondamental de tiers symbolique à tenir, qui ne peut l'être par le père d'accueil, pris, au même titre que sa femme, dans le jeu relationnel affectif avec l'enfant », précise Hana Rottman. Autrement dit, ajoute-t-elle, dans cette expérience singulière que constitue l'accueil familial, il y a un premier de cordée, la famille d'accueil, et une corde qui assure derrière, l'équipe.

« Des failles institutionnelles »

De fait, « l'accueil familial sans équipe est bien souvent dramatique », affirme Christian Allard. « C'est peut-être d'abord cela, le travail de l'équipe : éviter le drame dans la famille », avance-t-il, déplorant que si peu de départements aient spécialisé une équipe pluridisciplinaire pour accompagner leurs familles d'accueil (comme le conseil général du Pas-de-Calais, voir encadré page 23). Les accueillants, confirme Bénédicte Bataille, regrettent d'être trop souvent isolés quand ça va bien, et suspectés dès qu'il y a un problème, alors que le travail commence justement avec les difficultés. Malgré la professionnalisation des assistantes familiales, qui a obligé les services de l'aide sociale à l'enfance à réfléchir à leurs méthodes de travail en équipe, la liste des « failles de l'institution » que dresse Jean-Claude Cébula demeure très longue. Manque de personnel, turn-over des travailleurs sociaux, insuffisante proximité professionnelle avec la famille d'accueil, faible organisation des services, défaut de vision de la place de chacun, incessante réorganisation des dispositifs..., constituent autant d'« écueils de l'accueil », pointe-t-il. « Il n'y a pas de mauvaise famille d'accueil, il n'y a que de mauvais suivis », affirmait d'ailleurs Myriam David (1917-2004), qui a fait oeuvre pionnière en matière de placement familial (4).

Dans le Pas-de-Calais, les assistantes familiales soutenues par leurs pairs

Pour écouter et conseiller les familles d'accueil, le conseil général a mis en place des assistantes familiales-ressources dans le cadre d'un service d'appui spécifique.

Humainement très « impliquant », le métier d'assistant familial s'apparente souvent à un sauvetage psychique des enfants confiés. Pour proposer un cadre sécurisant à ces enfants, c'est-à-dire être en mesure de percevoir leurs difficultés particulières, les familles d'accueil doivent être bien épaulées. Tel est l'objectif du Service accueil familial enfance (SAFE), créé au sein de la direction de l'enfance et de la famille du conseil général du Pas-de-Calais, auquel sont rattachées les 1 900 assistantes familiales du département (5). La mise en place, début 2002, de ce dispositif à l'acronyme bien trouvé - « SAFE » signifiant en anglais « en sécurité » - est issue de la négociation du protocole d'accord sur la réduction du temps de travail. Au cours de celle-ci, les assistantes familiales avaient fait part de leurs besoins d'écoute, de soutien et de reconnaissance. Elles avaient aussi fait remonter de nombreux dysfonctionnements des services chargés du suivi des enfants placés (disparité des pratiques en fonction des référents, abus de pouvoir...), et leurs hésitations à signaler les problèmes par crainte de conséquences négatives sur leur emploi.

Un nouveau métier ?

Pour éviter l'arbitraire dans la gestion des carrières des intéressées, c'est désormais le SAFE qui traite l'ensemble de l'offre d'accueil et propose aux secteurs demandeurs les professionnelles correspondant à leurs attentes. Mais son rôle d'interlocuteur privilégié des assistantes familiales va bien au-delà. En effet, le SAFE vise aussi et surtout à rompre leur isolement. Organisé de façon déconcentrée, ce service est notamment composé d'un psychologue, de dix responsables locales de l'accueil familial enfance (travailleurs sociaux de formation) et de 45 assistantes familiales-ressources (AFR). Pivots de l'accompagnement de leurs collègues, ces dernières exercent une fonction inédite, qu'elles cumulent avec leur emploi principal d'assistante familiale. Il s'agit d'un travail à temps partiel, évalué à 36 heures par mois (6), qui requiert d'avoir suivi la formation initiale obligatoire d'assistant familial et d'être doté d'une expérience professionnelle minimale de cinq ans. « L'objectif de ce nouveau métier, unique en France, est de structurer le groupe professionnel des assistantes familiales hors de toute hiérarchie », explique Dany Marcy, responsable du SAFE.

Chapeautées par les responsables locales de l'accueil familial enfance et formées comme celles-ci à l'écoute, à l'animation de groupes de parole et à la conduite de réunions, les assistantes familiales-ressources jouent un rôle de conseil vis-à-vis de 40 à 50 assistantes familiales. Relais de l'information - descendante et ascendante - entre ces dernières et l'institution, chaque AFR anime au moins une fois par trimestre une réunion du SAFE organisée à l'intention des membres de son groupe, sur un ordre du jour précis : par exemple, l'actualité législative, des questions d'ordre statutaire, l'élaboration ou le bilan d'un nouveau dispositif, comme celui sur les conduites à tenir en cas d'urgence instauré en 2003. Les AFR, en outre, représentent leurs collègues dans toutes les instances de travail ayant un lien avec l'accueil familial. Leur expertise est également requise au niveau des commissions de pré-recrutement, dans les stages préparatoires à l'accueil et pour le tutorat des nouvelles professionnelles dans les équipes.

Les assistantes familiales-ressources ont avant tout une mission d'écoute et de soutien de leurs pairs. Que ce soit pour un problème administratif ou relatif à la situation d'un enfant confié, les assistantes familiales peuvent les contacter par téléphone, toute la semaine, week-ends et jours fériés compris. Les AFR assurent, chacune, deux heures de permanence hebdomadaires, deux à trois astreintes par an, les jours de congé. Il ne s'agit pas, pour elles, de donner des recettes à leurs consoeurs, ni de se substituer aux travailleurs sociaux référents, mais de permettre aux intéressées de s'ouvrir de tout sujet qui leur pose question, et de les orienter, si nécessaire, vers un interlocuteur. Même si, aujourd'hui, « les assistantes familiales, systématiquement invitées à toutes les synthèses et bilans du projet individualisé de l'enfant, sont bien intégrées dans les équipes pluridisciplinaires », explique Dany Marcy, certaines peuvent hésiter à faire part de leurs difficultés aux travailleurs sociaux. Ou bien ne pas trouver l'éclairage attendu auprès d'eux, surtout si ce sont de jeunes professionnels n'ayant aucune expérience du placement familial.

Des groupes de parole

Pour permettre aux assistantes familiales de prendre du recul par rapport à leur travail quotidien et d'élaborer une réflexion personnelle sur leur pratique, le SAFE, par ailleurs, leur propose des groupes mensuels de parole. Ceux-ci réunissent de 10 à 12 volontaires, qui s'inscrivent pour l'année, et sont co-animés par une assistante familiale-ressources et une responsable locale de l'accueil familial enfance - elles-mêmes supervisées, chaque mois, par un psychanalyste extérieur à l'institution. En 2006, 550 assistantes familiales ont participé à l'un des 56 groupes de parole. Depuis 2002, cela a été le cas au moins une fois pour plus de la moitié des 1 900 professionnelles du département. Outre leur indéniable valeur formative, ces sessions d'analyse de la pratique sont vécues par les intéressées comme « une soupape » permettant de « redémarrer plus sereines », voire « de ne pas démissionner ».

C. H.

Notes

(1) Lors de journées d'étude intitulées « Accueil familial des enfants : les risques du métier », organisées à Paris les 31 mai et 1er juin derniers par l'Institut de formation, de recherche et d'évaluation des pratiques médico-sociales. Rens. : Ifrep - BP 358 - 75626 Paris cedex 13 - Tél. 01 45 89 17 17.

(2) Le Réseau d'intervenants en accueil familial d'enfants à but thérapeutique (Riafet) ne regroupe pas seulement des acteurs de placements familiaux thérapeutiques, mais tous ceux qui travaillent autour du soin à l'enfant après la séparation - www.riafet.asso.fr.

(3) Dans son livre Pour réussir le placement familial - Ed. ESF, 2007.

(4) Citée par Hana Rottman dans sa contribution à l'ouvrage collectif sur La protection de l'enfance : maintien, rupture et soins des liens , publié sous la direction de Marceline Gabel, Martine Lamour et Michel Manciaux - Ed. Fleurus, 2005 - Voir ASH n° 2440 du 27-01-06, p. 41.

(5) Service accueil familial enfance - Conseil général du Pas-de-Calais : 14, place Jean-Moulin - 62018 Arras Cedex 9 - Tél. 03 21 21 64 72.

(6) Jusqu'ici payées 47,6 fois le SMIC horaire, les AFR devraient voir leur rémunération pour leur fonction « ressource » passer en 2008 à 70 fois ce taux, pour leur permettre de se décharger de l'accueil d'un enfant.

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