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« La lutte contre la criminalité devient le théâtre de l'indignation permanente »

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En profitant de l'émotion médiatique pour durcir la loi pénale à l'égard des détenus dangereux (voir ci-contre et page 21), le président de la République prend le parti des victimes. Ce qui occulte la dimension éducative et soignante de la sanction, défend le magistrat et chercheur Denis Salas (1).
Comment réagissez-vous aux annonces de Nicolas Sarkozy de renforcer encore la lutte contre la récidive et de récuser les non-lieux pour irresponsabilité pénale ?

Ces annonces surviennent alors que la loi du 10 août dernier sur la récidive vient à peine d'être votée. C'est inquiétant de voir combien le discours politique suit les réactions de l'opinion publique. Le temps législatif colle au temps médiatique sans aucune distance. La lutte contre la criminalité devient le théâtre de l'indignation permanente, ce qui frappe de paralysie toute action de prévention. Imaginez par exemple ce que serait la situation des travailleurs sociaux si les procureurs de la République ou les juges des enfants, à chaque situation de danger pour l'enfant ou de récidive d'un délinquant, alertaient les médias. Les professionnels devraient travailler dans la précipitation en ayant sans cesse peur de mal faire. C'est pourtant le scénario imposé par le président de la République, qui multiplie l'annonce de nouvelles réformes avec l'insécurité que cela comporte pour notre droit.

Cette réactivité s'appuie pourtant sur des failles du système judiciaire et, dans le cas de l'irresponsabilité pénale, sur la frustration des familles privées de procès...

Les victimes aujourd'hui se font entendre - ce qui est une bonne chose - et demandent, même en cas d'irresponsabilité pénale, le récit de ce qui s'est passé. Elles considèrent que la société a une dette à leur égard. Pour autant, plutôt qu'un procès, on peut recourir à l'explication systématique du juge aux victimes des raisons de la décision de non-lieu psychiatrique. Par ailleurs, le suivi socio-judiciaire des délinquants sexuels a du mal à se mettre en place parce que l'alliance des logiques médicale et judiciaire, qui ne répondent pas à la même éthique professionnelle, ne va pas de soi - ce type de dysfonctionnement ne s'étant d'ailleurs pas produit dans l'affaire Evrard. Quoi qu'il en soit, l'indignation ne suffit pas. Surtout lorsque depuis dix ans tous les moyens vont au milieu fermé et qu'on ne compte, en milieu ouvert, qu'un travailleur social pour 120 détenus et 250 juges de l'application des peines pour 200 000 dossiers ! On donne à ce secteur de lourdes responsabilités sans aucune politique criminelle. A moins, et il faut l'espérer, que la loi pénitentiaire promise pour novembre prochain ne vienne remettre à plat la question des moyens du milieu ouvert.

Comment expliquer le silence autour de ces carences, pourtant largement dénoncées ?

A partir du moment où la restauration du milieu ouvert n'est pas rentable, parce qu'invisible pour l'opinion publique, on ne s'indigne pas. Or toute peine a deux moments : celui où la société punit le délinquant et celui où elle lui donne la chance de se réhabiliter. En concentrant les moyens sur le milieu fermé, on occulte le deuxième temps de la sanction.

Qu'en déduire sur l'évolution de notre système pénal ?

Les ambitions humanistes de la sanction, qui avaient prévalu dans l'après-guerre, sont remises en cause. Notre système pénal est en train d'évoluer vers le « populisme pénal » où la victime est au premier plan. Le président de la République reçoit ainsi systématiquement les victimes à l'Elysée. Il prend leur parti, ce qui pose problème du point de vue du droit des accusés et des droits de l'Homme. Pourtant, le « populisme pénal », apparu dans les années 80 aux Etats-Unis, a conduit dans ce pays au tout-carcéral, remis en cause aujourd'hui en raison du coût exorbitant de la prison.

Pourquoi un tel essor de l'idéologie victimaire ?

Elle s'inscrit dans l'évolution structurelle de nos sociétés gagnées par la démocratie d'opinion et compassionnelle. Le plus inquiétant dans ce modèle, c'est que les cliniques éducative et soignante du délinquant sexuel ne sont plus des catégories d'action pensées par le politique. Centré sur la réparation due à la victime et le principe de précaution, ce dernier ne les voit plus, ce qui entraîne un malentendu considérable autour de l'action judiciaire. L'idéologie victimaire est malheureusement redoutable en raison de l'efficacité de son discours sur l'imaginaire collectif. En désignant le délinquant sexuel comme bouc émissaire, on resserre le corps social. Le discours de Nicolas Sarkozy touche au sacré et à ce qui fait tenir la société.

Notes

(1) Auteur notamment de La volonté de punir - Essai sur le populisme pénal - Hachette Littératures, 2005.

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