Juché sur un mur, un gros ours en peluche surplombe une borne Internet tandis qu'un peu plus loin les jouets de l'espace d'éveil côtoient les écrans de télévision et la petite vidéothèque. Aire de jeux pour les petits et tables « bistrot » pour les pauses café des adultes, mininursery et bibliothèque, lieu réservé aux conférences et animations..., tout, dans ce vaste patio intérieur entouré de grandes baies vitrées, rappelle la vocation plurielle de l'« Espace parents » (1), créé depuis deux ans, en partenariat aves la caisse d'allocations familiales, par la ville de Blois (Loir-et-Cher).
Le projet est né à la suite de la fermeture du relais assistantes maternelles et des difficultés du service municipal à faire fonctionner le guichet unique, qui centralise les demandes de places en crèches ou en haltes-garderies. S'appuyant sur le décret du 1er août 2000 rénovant les conditions d'accueil des enfants de moins de 6 ans (2), la municipalité a alors décidé d'acheter un ancien bâtiment au coeur historique de la ville pour créer une structure dédiée à la relation parents-enfants. Un lieu qualifié par certains d'« auberge espagnole de la parentalité » ou d'« office du tourisme de la petite enfance ».
De fait, l'« Espace parents » est à la fois un guichet unique offrant des démarches administratives simplifiées (informations pratiques sur les différents modes de garde, démarches d'inscriptions, etc.), un relais assistantes maternelles, une halte-garderie, un espace d'échanges et d'animations autour des questions de la parentalité. Il vise à apporter en un même lieu des réponses adaptées aux attentes des parents d'enfants de 0 à 6 ans. « Avant l'ouverture en mai 2005, on avait constaté que de nombreux jeunes ou futurs parents étaient dans une situation de vulnérabilité, soit parce qu'ils étaient éloignés de leurs proches après une mutation professionnelle, soit parce qu'ils étaient issus de l'immigration ou de familles éclatées, explique Laurence Foucault, directrice de l'« Espace parents » et assistante sociale de formation. A cela s' ajoute le fait que bon nombre de parents se sentent isolés parce qu'ils ne disposent plus de l'étayage apporté autrefois par la transmission par les mères ou les grands-mères de modèles d'éducation. »
L'équipe, composée de trois personnes à temps plein (une responsable, une éducatrice de jeunes enfants et une hôtesse d'accueil) et d'une psychomotricienne intervenant le mercredi, utilise l'entrée offerte par le guichet unique pour aller plus loin dans le soutien proposé aux parents. Ainsi lorsqu'une mère ou un père pousse la porte pour inscrire son enfant dans un établissement de la ville, l'hôtesse d'accueil lui fait découvrir les autres ressources de la structure. « Il s'agit de transformer une demande de place d'accueil en une fréquentation plus large de l'espace, sans pour cela agripper les personnes », souligne Marie-Laure Planté, responsable du service municipal petite enfance. Le lieu se veut avant tout confortable, moderne et chaleureux pour des parents, parfois en grande difficulté dans leur relation avec leur enfant. Certaines mères viennent simplement pour souffler un peu et feuilleter un livre ou boire un café pendant que leur enfant joue à l'espace d'éveil, tandis que d'autres viennent chercher une écoute dénuée de tout jugement.
Car s'il est un principe essentiel au fonctionnement de ce lieu, ouvert gratuitement à tous les parents, sans distinction d'âge ou de milieu, c'est la neutralité. A cet égard, l'équipe revendique sa fonction de « contenance » vis-à-vis de personnes souvent désemparées et démunies : « Il peut y avoir une vraie souffrance de sentir qu'on est seule face à cet enfant qu'on découvre, à ce statut de mère. Quand on n'en peut plus et qu'on en vient à se demander pourquoi on a fait un enfant, c'est difficile de n'avoir personne à ses côtés », constate Laurence Foucault. Il s'agit donc d'accueillir une parole sans stigmatisation, ni prosélytisme. Pas question en effet de prôner l'allaitement plutôt que le biberon, ni d'émettre un avis critique parce qu'un enfant ne dort pas et que sa maman ne sait pas quoi faire face à ses pleurs répétés.
Au-delà de cette écoute, les personnes peuvent également échanger sur leur expérience de parent avec d'autres, sans crainte d'être jugées. « Un des aspects les plus importants de cet endroit, c'est sa convivialité. Les familles s'épaulent les unes les autres, partagent, en toute liberté et à travers des temps informels, des commentaires sur leur situation respective, sur leur enfant », insiste Sophie Delauné, la psychomotricienne. Les responsables estiment d'ailleurs que l'une des grandes réussites du projet est d'avoir su développer un lieu de mixité sociale et générationnelle où les barrières tombent face aux difficultés et aux questionnements partagés. Ils évoquent notamment ces mères originaires des quartiers populaires et résidentiels, qui se mettent spontanément à échanger sur leurs bébés qui ne dorment pas.
Pour ceux qui désirent des informations pratiques ou plus théoriques touchant à la parentalité, l'espace constitue un lieu-ressources. Les mères et pères (qui représentent moins d'un tiers du public) peuvent se renseigner sur les sorties et les activités à faire avec leurs enfants, emprunter des livres à la bibliothèque, ou encore chercher des informations pratiques sur Internet.
Si une grande liberté est laissée dans l'utilisation du lieu, l'équipe propose également des rencontres collectives, via un programme mensuel d'animations. Les parents peuvent participer à des ateliers pour s'initier au massage de leur bébé avec une auxiliaire de puériculture, à des activités ludiques ou manuelles pour leurs tout-petits en compagnie de l'éducatrice de jeunes enfants, ou à des discussions et des débats animés par des professionnels. On y parle par exemple de l'alimentation des bébés ou de la manière d'annoncer la naissance d'un petit frère ou d'une petite soeur à un enfant. Une façon parfois de faire passer en douceur des messages de prévention. « J'ai vu des enfants très secoués par des parents qui jouaient à les faire sauter en l'air. C'est difficile de leur dire qu'il ne faut pas le faire, alors que personne ne leur a jamais dit comment s'occuper d'un bébé, souligne Laurence Foucault. Ici, on essaye d'aborder ce type de questions à travers des animations, comme des ateliers consacrés au portage. »
L'« Espace parents » remplit également une fonction de prévention au sein des familles. « En accueillant des mamans qui cherchent un mode de garde, d'autres qui s'interrogent sur leur devenir de parents ou qui passent spontanément prendre un café et discuter avec l'équipe, on peut voir en amont s'il y a des difficultés sociales ou des problèmes par rapport à l'enfant. Et leur proposer une orientation », explique Chérifa Adaissi, maire-adjointe chargée de la petite enfance. Mais pas question, ajoute-t-elle aussitôt, de faire de cet espace un lieu stigmatisant « où l'on passerait uniquement lorsqu'on rencontre des difficultés sociales ».
Si la structure joue donc un rôle en matière de prévention et d'éducation, elle le fait - et c'est tout l'intérêt du projet - dans le cadre d'une démarche participative visant l'autonomie des usagers. Un conseil d'animation se réunit tous les six mois avec le personnel, des partenaires des secteurs social, médico-social et associatif, et des parents volontaires - qui viennent régulièrement : y sont discutés les avancées et les dysfonctionnements, mais aussi proposés des projets d'animation. C'est dans ce cadre par exemple que plusieurs usagers ont suggéré d'organiser des débats sur la monoparentalité, et décidé ensuite de créer une association, « Parents seuls 41 ».
Ce conseil d'animation favorise par ailleurs les échanges avec les associations et services sociaux et médico-sociaux. Les centres de protection maternelle et infantile peuvent ainsi contacter l'équipe pour l'accueil immédiat d'un enfant dont la mère entre en formation. De leur côté, les professionnels de l'« Espace parents » n'hésitent pas à solliciter les ludothèques pour les familles modestes ou à adresser à la « Maison ouverte » de Blois des parents éprouvant le besoin d'être davantage aidés dans leur relation éducative. Quant aux directrices de crèches, elles dépannent de temps à autre des mères de famille envoyées par l'espace pour une prise en charge ponctuelle de leur enfant.
Reste que le principe de la participation des usagers s'inscrit dans le cadre de la relation d'aide, avec ses difficultés et ses limites. A quel moment sortir de la neutralité pour épauler des parents en difficulté et les orienter éventuellement vers d'autres partenaires ? Que faire face à une famille un peu trop brutale avec son enfant ? Jusqu'où faut-il aller pour accompagner cette jeune mère qui semble victime de violences conjugales ?
Pas de réponses toutes faites bien sûr, l'équipe détermine sa façon d'agir au cas par cas : « C'est pour cela qu'il est important de pouvoir en parler entre nous. Les parents viennent parfois déposer leurs angoisses et cela peut être très lourd à porter », explique Keltoum Hefied, l'hôtesse d'accueil. Des réunions hebdomadaires permettent ainsi aux professionnels de réfléchir ensemble sur les modalités d'action et d'échanger sur leurs expériences. Elles sont également l'occasion de revoir le fonctionnement de certains services, à l'instar de la borne Internet ou de la vidéothèque, sous-utilisées par un public plus en quête de contacts et d'ouverture. « Les professionnels se sont aussi demandé si ce n'était pas devenu un espace dont certaines familles se servaient juste pour occuper les enfants, sans y participer elles-mêmes », rapporte Marie-Laure Planté. Pour éviter que l'endroit ne se transforme en « espace enfants », les thèmes des animations et ateliers ont donc été réorientés dans le sens d'une plus grande implication des parents dans leurs relations avec leur enfant.
Incontestablement, ce lieu d'accueil dédié à la parentalité remplit aujourd'hui sa mission d'accompagnement et de soutien, comme le montre la centaine de passages recensée chaque semaine. Néan-moins son approche pluridimensionnelle ne lui permet pas d'avoir une image bien identifiée auprès du public. « Est-ce qu'on met l'accent sur le côté social de la structure en créant des permanences de service social ? Est-ce qu'on développe le côté petite enfance en donnant la part belle au relais assistantes maternelles ? », s'interroge Laurence Foucault. Il faudra pourtant faire un choix sur l'identité que l'on veut donner à la structure, défend-elle, au risque sinon que « sa richesse et sa pluridisciplinarité ne deviennent un handicap ».
Là ou d'autres initiatives du même genre, comme les « Maisons ouvertes » ou les écoles de parents, sont portées par des associations, l'« Espace parents » de Blois est un service municipal. Il est financé à ce titre par la ville (80 000 € de budget de fonctionnement annuel) et la caisse d'allocations familiales pour le relais assistantes maternelles et la halte-garderie. Il s'inscrit également dans une volonté de lutte contre le repli communautaire. « Dans la ZUP située dans les quartiers nord de Blois, il y a une sorte de contrôle de la communauté qui fait que certaines femmes n'osent pas aller au planning familial, observe Chérifa Adaissi, maire-adjointe chargée de la petite enfance. L'«Espace parents» a permis de faire sortir ces femmes du communautarisme dans lequel elles sont plongées. »
(1) Espace parents : square Clément-Lévy - 7, place Victor-Hugo - 41000 Blois - Tél. 02 54 46 54 66.
(2) Réformé depuis par le décret du 20 février 2007, voir ASH n° 2496 du 2-03-07, p. 9.