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Logement et hébergement : les pièges de l'urgence

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Les réponses apportées dans l'urgence pour le logement et l'hébergement des personnes sans domicile sont contre-productives dans la mesure où elles ne prennent pas en compte la complexité des situations et des parcours de ces publics. C'est cette lacune que dénoncent Elsa Cacesres, Françoise Corneau, Céline Rousseau, Christiane Saliba Sfeir, Geneviève Samson, toutes assistantes de service social et membres du Collectif des travailleurs sociaux au service des usagers de drogues (Collectif TSUD), créé en 1999 à Paris (1).

« Notre cri de colère, en tant que Collectif TSUD, part de notre sentiment de déception et de frustration professionnelle face aux réponses politiques qui ignorent la réalité des besoins des personnes vivant dans la rue. La misère peut, certes, entraîner une urgence vitale, mais malheureusement les réponses apportées dans la précipitation ne sont que médiatiques, élaborées sans concertation avec les professionnels qui interviennent auprès de cette population depuis des années. Elles conduisent ainsi à des solutions inadaptées, voire violentes pour les publics comme pour les travailleurs sociaux.

L'action de ces derniers, qui vise le «mieux vivre ensemble», est à la charnière de deux logiques : l'application des politiques sociales et la réponse aux demandes et aux besoins des personnes et de l'environnement (2). Le travailleur social confronte donc la problématique du logement aux différentes composantes de la trajectoire de vie de l'usager. Il joue le rôle d'interface entre les divers partenaires de l'action sociale et politique, entre les usagers et les institutions dans un esprit empreint d'éthique et d'équité sociale.

Or l'agitation médiatique dont les personnes sans domicile fixe sont soudainement devenues les vedettes cet hiver a fonctionné comme un piège : il fallait d'urgence apporter une réponse sociale. Tous les efforts de régulation jusqu'alors faits par les professionnels ont été déstabilisés par le fait que l'obtention rapide d'un logement ait été présentée comme compatible avec les différents profils des populations sans abri, sans que leur souffrance et leurs limites soient respectées.

A Paris, par exemple, les populations de jeunes (18-24 ans) ayant quitté le dispositif de l'aide sociale à l'enfance ou en rupture familiale, et notamment les filles (18 % des populations hébergées en Ile-de-France), augmentent. Une enquête menée par la direction régionale des affaires sanitaires et sociales auprès des centres parisiens d'hébergement d'urgence montre que 44 % des SDF parisiens ont perdu leur logement depuis plus d'un an ; de 20 à 30 % d'entre eux sont jugés en «très mauvais état de santé» et la tuberculose présente une prévalence 100 fois plus élevée parmi eux que dans la population générale. L'observatoire du SAMU social a montré dans ses travaux que cette population se caractérise par une forte consommation de tabac, d'alcool et de drogue. L'ensemble des structures constate une hausse importante du nombre des personnes à la rue présentant des troubles psychiatriques sévères. Par ailleurs, un tiers des sans domicile fixe bénéficie d'allocations diverses (revenu minimum d'insertion, allocation aux adultes handicapés, prestations familiales...), et le nombre de diplômés et de travailleurs pauvres parmi eux augmente.

Pression des pouvoirs publics

Les réponses à apporter aux besoins de ces populations en situation de «non-logement» sont donc aussi variées que leurs profils et leurs configurations familiales. Impossible, par conséquent, de les faire accéder au logement sans donner les moyens aux acteurs de terrain de préparer leur autonomie progressive. Autrement, c'est une sorte de violence qui s'exerce à leur égard.

Malheureusement, le piège de l'urgence se referme également sur les associations et les acteurs de terrain, du fait de la pression des pouvoirs publics qui leur imposent l'accueil de publics très difficiles dans un dispositif inadapté ou en superposant des montages complexes. A la suite de l'action des Enfants de Don Quichotte, on n'a fait que changer les modalités de mise à disposition des professionnels de ce qui existe déjà. Précisément, dans le secteur de la toxicomanie, des places en logement transitoire (maisons-relais, logements d'insertion, résidences sociales) ou autonome, mais aussi en accueil d'urgence (lits infirmiers et places d'hébergement du SAMU social) ont été réquisitionnées pour les Enfants de Don Quichotte.

La pénurie des solutions et des moyens est régulièrement dénoncée par l'ensemble des professionnels. Or la réalité sociale exige de nouvelles réponses adaptées à la population et le renforcement de celles qui existent - telles les pensions de famille -, la baisse du seuil d'exigence de l'admis-sibilité au SAMU social, la création de places supplémentaires individuelles en hébergement transitoire avec un accompagnement professionnel et parfois pluridisciplinaire qui réponde à la situation sociale et sanitaire des usagers.

Nous ne nions pas l'intérêt et l'importance de la mise en place du «droit opposable au logement» mais nous regrettons que les moyens déjà existants soient simplement réorganisés et que la complexité des situations et la précarité des populations de la rue ne soient pas assez prises en considération. En ce qui concerne les usagers de drogue et les personnes souffrant de pathologies psychiatriques, nous estimons qu'un accompagnement médico-psychologique et socio-éducatif est indispensable pour les aider à se familiariser avec un «corps», une «estime de soi» et «un toit». L'investissement d'un «dedans» est le fruit d'un travail de maturation qui nécessite temps et accompagnement. Quant au logement, il est indispensable sous sa forme «très sociale» pour une bonne partie de cette population, et les études ont démontré qu'un accompagnement social incite les bailleurs sociaux à oser s'aventurer dans le relogement de ces publics.

Chaque jour, les professionnels de terrain que nous sommes se retrouvent face à des impasses : insuffisance de places en «hôtels SAMU» pour les personnes incapables de supporter la collectivité des centres d'urgence du fait de leur histoire de vie, insuffisance des places associatives en hôtel au mois à un coût abordable pour permettre une autonomisation progressive des usagers désinsérés... Notre cri n'est nullement une critique dans l'immobilisme. Il se conjugue à notre volonté de réfléchir ensemble, avec les pouvoirs publics, à ce qui est équitable, dans le respect du citoyen à la rue. »

Notes

(1) Ce collectif rassemble des intervenants sociaux souvent isolés dans des structures à dominante médicale et psychologique, et spécialisés dans l'accompagnement de proximité de personnes sans domicile fixe à problématiques multiples, notamment d'addiction.

(2) Voir entre autres l'ouvrage de Brigitte Bouquet et Christine Garcette : Assistante sociale aujourd'hui - Editions Maloine, 2002.

TRIBUNE LIBRE

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