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La clinique du travail social à l'épreuve de la diversité culturelle

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Comment les travailleurs sociaux peuvent-ils, dans leur accompagnement des enfants de migrants, éviter les malentendus nés de la rencontre entre la culture des familles et celle des intervenants et des institutions ? En inventant de nouveaux modes d'échanges et en réfléchissant à ce qu'est l'altérité.

Les pratiques des acteurs en protection de l'enfance s'inscrivent dans des systèmes de représentations sur l'enfant en danger, la maltraitance, les liens parents-enfants, le normal et l'anormal... Cependant, « les présupposés culturels des intervenants, différemment incarnés selon les institutions, peuvent rester implicites voire incompris pour les enfants aux histoires de vie spécifiques et nés dans des familles issues de l'immigration de cultures différentes », souligne Christine Chinosi, directrice du Derpad (Dispositif expert régional pour adolescents en difficulté) (1)

Peut alors sourdre un profond malentendu, porteur de violences potentielles. Chacun s'enferme dans sa propre logique, voire ses préjugés, et la rencontre devient improbable. Pour créer des ponts, plusieurs mécanismes sont à démonter, notamment celui de la disqualification que vivent en particulier les migrants, bien souvent le fruit des attitudes à leur égard.

Fait de déni et de perte, ce processus repose sur plusieurs ressorts. Le premier, estime Bernard Bier, chargé d'études à l'INJEP (Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire), « consiste à ne pas aborder l'autre comme un sujet dans une dynamique, une trajectoire ». La disqualification vient aussi du fait que le migrant, qui se retrouve dans un monde où les codes lui sont imposés, est en position de « minoritaire », de « dominé ». Position encore renforcée par sa situation sociale souvent peu valorisante. Par ailleurs, du fait de l'exil, le migrant fait l'expérience de la rupture, de la perte d'un statut, ce qui pèse sur l'estime qu'il a de lui, et sur l'image qu'il donne à ses enfants.

S'ajoutent à cela maints stéréotypes, les a priori racistes ainsi que « l'image, forte, y compris chez les enseignants ou les travailleurs sociaux, de l'immigré incompétent. Une image d'ailleurs souvent intériorisée par les migrants eux-mêmes, alors qu'ils ont accumulé des compétences liées à leur trajectoire et qu'ils sont souvent polyglottes », observe Bernard Bier.

Enfin d'autres éléments de la disqualification sont à prendre en compte : les comportements des institutions et des professionnels, qui catégorisent, enferment et déprécient. « C'est par exemple le mépris, le regard condescendant ou de compassion de certains travailleurs sociaux. Si ceux-ci sont mus par la volonté de bien faire, leur attitude renforce l'humiliation de ces gens et leur sentiment d'être dans la dépendance », poursuit le chargé d'études.

Face à la disqualification, les réactions sont diverses. Elles vont de la honte et de la négation de soi - parfois avec un souci d'assimilation à tout prix - à la tentation de surjouer le rôle auquel le migrant se voit assigné, voire parfois au renversement de son stigmate en fierté identitaire.

Second mécanisme à écarter pour faciliter la rencontre : la tentation du biais culturel. Or il faut se garder à la fois du comportement visant à balayer la dimension culturelle - ce qui peut troubler la compréhension de certains phénomènes - ou, à l'inverse, d'une attitude culturaliste, qui fige les individus dans une supposée culture d'origine, immobile et globale. Alors qu'il n'y a pas de rencontre, ni de « choc » des cultures, lesquelles sont toujours en évolution dans des sociétés elles-mêmes composites, défend Bernard Bier.

La rencontre se fait entre individus, entre groupes, porteurs de cultures et d'histoires symboliques. Plutôt que les positions extrêmistes visant à nier ou survaloriser la dimension culturelle, le chargé d'études propose de privilégier le principe d'identité, voire d'identification de l'individu, qui s'inscrit dans une trajectoire et une dynamique. En effet, « on peut être né dans un milieu social, religieux, professionnel, et choisir d'y adhérer, mais aussi recomposer cette origine ou encore aller ailleurs, souligne-t-il. Il est ainsi très intéressant de voir comment, quand des jeunes disent : «Je reviens à l'islam», ils inventent un autre islam qu'ils bricolent. Chaque génération s'approprie, en fonction de sa trajectoire, ce qu'on lui a légué. » Ce mouvement d'identification vient en outre s'inscrire dans une société individualiste, qui renvoie chacun à lui-même, et l'oblige à se prendre en main.

Le migrant va donc s'approprier à sa façon l'héritage culturel qui lui a été transmis, et récréer sa propre culture. Sachant que « la situation d'altérité, le fait d'être vu comme autre et traité comme différent dans les populations minorisées, a aussi des effets culturels, observe Françoise Lorcerie, chargée de recherche au CNRS. Cela produit de la réaction culturelle, de la construction de culture. Et de nouvelles cultures émergent. »

Dans un tel contexte, quel est le vécu des enfants d'immigrés aux prises avec les difficultés d'installation des parents ? Et de quelles ressources disposent-ils pour faire face aux tensions auxquelles ils sont soumis ? Telles sont les questions qu'a examinées Geneviève Vinsonneau, directrice d'études et de recherches en psychologie interculturelle à l'université de Paris-V. Et pour laquelle « l'univers subjectif de ces enfants est le théâtre d'un brouillage de repères culturels sur fond d'une personnalité en cours de constitution ».

Ces jeunes sont très sensibles à l'attraction qu'exercent les sociétés d'installation. « Dès le départ, leur vie sociale procède de séquences institutionnalisées pour leur développement et leur formation. Une opération qui se déroule notamment à l'école, où il est question d'acquérir et de parfaire le maniement de la langue. L'école et la langue étant deux puissants instruments de formatage culturel. » Mais en même temps, les parents cherchent à transmettre à leurs enfants leur « culture dite «d'origine» », en réalité « un produit transformé en raison de la distance dans le temps et l'espace », analyse Geneviève Vinsonneau. En outre, inconsciemment, « ils bricolent les codes culturels afin de réduire leur anxiété de s'adapter au monde où ils se trouvent, et ils se livrent à des manipulations symboliques. Cela touche en particulier les valeurs familiales et religieuses. Les jeunes vont donc appréhender leur culture d'origine de façon défectueuse. »

S'ils ne perçoivent pas forcément les attitudes des parents comme des tentatives désespérées de résistance, ces jeunes ressentent cependant les incohérences et contradictions existantes. D'autant plus d'ailleurs qu'ils ont acquis à l'école les outils de distanciation aptes à neutraliser l'influence familiale. « Ils vont être capables de former certains jugements, de comparer des traits de culture. Ils vont avoir des attitudes d'acteurs, commencer à choisir et à critiquer », remarque l'intervenante. Ce qui peut les amener, au final, à avoir des réactions de rébellion et de rejet.

A partir de ces analyses, comment les travailleurs sociaux peuvent-ils, dans le cadre des prises en charge, prendre en compte les spécificités des enfants de migrants, dont la proportion est forte au sein de leurs publics ? Comment éviter les malentendus, nés de la rencontre entre la culture des familles et celle individuelle et institutionnelle des intervenants, et les processus de normalisation, avec leurs violences potentielles ? En imaginant des passerelles pour permettre la rencontre et en se gardant de toute tentation de réduire le migrant à un rôle donné et à une culture supposée, insiste Edwige Rude-Antoine, juriste, sociologue et psychanalyste chargée de recherches au CNRS. « Si à un moment, un jeune ou ses parents se réfèrent à des signifiants en lien avec ce qu'ils pensent être leur culture d'origine, il faut pouvoir l'entendre, pour les aider. Néanmoins, nous ne devons pas pour autant les enfermer dans nos propres représentations de ce que serait leur culture. »

Pas question non plus pour Bernard Bier de se crisper sur les origines. Et le chargé d'études d'évoquer la « pédagogie couscous », très en vogue à une époque. Elle consistait à demander, par exemple, aux mères d'apporter des plats cuisinés typiques à l'école, dans une volonté d'intégration des jeunes ou des parents. Ce « qui les soumettait à une injonction de parler de leurs origines, ce dont elles n'avaient pas forcément envie ». Pour Bernard Bier, cette « approche folklorisante » n'est ni plus, ni moins que « la négation de l'altérité ». Et, se situant à un niveau politique, il s'interroge : « quelle capacité ont la société française, les professionnels, à laisser la place à ceux qui arrivent, pour qu'ensemble, on puisse construire quelque chose ? » Une capacité qui passe, selon lui, par la création d'« espaces transitoires », sur le modèle par exemple des expériences d'accueil de primo-arrivants par leurs pairs mises en place en Belgique et en Grande-Bretagne ; des initiatives pourtant difficiles à reproduire en France en raison de sa conception républicaine de l'intégration.

Il est en tout cas indispensable pour les professionnels de se remettre en question et de procéder à un décentrement, pour déconstruire une série de clichés. « Nous sommes imprégnés, malgré nous, de discours sur l'autre, les autres, l'autre différent, insiste Edwige Rude-Antoine. Il faut donc commencer, pour mieux être à l'écoute de l'autre, par travailler sur cette réalité et sur notre propre étrangeté ; car ce qui nous est renvoyé, c'est aussi la méconnaissance que nous avons de celle-ci. »

Tout un long cheminement, qui doit également permettre de sortir de la logique binaire « où il y aurait les méchantes institutions et les gentils arrivants », ajoute Bernard Bier. Il s'agit de parvenir, « puisque nous sommes tous générateurs de stéréotypes, à créer un cadre d'expériences où, en permanence, nous serions amenés à nous frotter les uns aux autres pour remettre nos a priori en question ». Soit, autrement dit, apprendre à réfléchir autrement.

C'est d'ailleurs ce que prône Martine Abdallah Pretceille, professeure des universités à Paris-III et Paris-VIII. Pour elle, face à la diversité croissante de nos sociétés, l'enjeu « fondamental » aujourd'hui est « d'apprendre à penser cette hétérogénéité ». En effet, estime-t-elle, « nous sommes à un tournant, presque à l'image de ce qui s'est passé au moment de la philosophie des Lumières. Nous changeons de paradigme, et c'est la diversité culturelle qui nous l'impose. »

D'un côté, nous assistons à des logiques de repli : intégrismes, communautarismes, nationalismes ; de l'autre, à des mouvements de mondialisation. Dans les deux cas, la « variable culture » est en jeu et cache la rencontre avec l'autre. « Dans le pluralisme, le multiculturalisme, le communautarisme, on est dans une gestion additive des différences, on fait cohabiter, coexister, des groupes. Malgré des discours de tolérance, cette juxtaposition n'empêche pas les exclusions, les rapports de pouvoir. Suivent des systèmes de quotas, de discriminations positives... », observe Martine Abdallah Pretceille, pour qui « penser la pluralité n'est pas penser le pluralisme ». Et de défendre : « Parler en termes de diversité et non de différences permet au contraire de donner à l'altérité sa place pleine et entière. »

Décoder les faits culturels

Estimant que le concept de culture ne permet pas de penser la diversité culturelle, l'universitaire souligne que l'important est de réussir à déchiffrer la manière dont les individus s'approprient les cultures. Il s'agit de réfléchir davantage en termes de stratégies, de contextes, de négociations, de processus que de caractéristiques, ce qui ne nie pas pour autant l'existence de variables culturelles. « La culture est un lieu de mise en scène de soi et des autres, avec des comportements, des discours, des actions. Il faut donc apprendre à décoder les faits culturels, comment ils sont utilisés, manipulés. Un foulard, un vêtement, un signe en lui-même ne signifient rien, il faut les faire parler dans un contexte, dans l'échange avec les autres. Pourquoi vais-je me présenter avec cette religion, pourquoi vais-je faire référence à mes origines ou, à l'inverse, les cacher ? C'est cela qu'il faut décrypter. »

Penser l'hétérogénéité suppose de parvenir à penser en même temps la singularité de chacun et l'universalité de tous, et implique de mener un véritable travail sur soi, avant de le faire sur autrui. « On a jusque-là pensé l'un ou l'autre séparément. Et c'est là que se situe le changement de paradigme », affirme Martine Abdallah Pretceille. Cela suppose aussi de dégager des valeurs communes, d'élaborer « un humanisme du divers », pour savoir ce que l'on souhaite construire et éviter des phénomènes de violences. « Il ne peut, en effet, y avoir de gestion sociale, éducative, de cette diversité, sans un accord sur les valeurs, une éthique commune. Laquelle doit à mon sens se fonder sur les droits de l'Homme, affirme Martine Abdallah Pretceille. Cela pose la question non de la cohésion sociale mais bien de la cohérence. »

Pères en exil, pères absents

Les jeunes issus de l'immigration doivent composer avec des pères qui vivent mal leur situation d'exil, et sont en retrait. La chercheure Edwige Rude-Antoine analyse le parcours d'adolescents pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse.

« Les pères en exil sont confrontés à des exigences sociales quant au rôle du père dans la société d'arrivée, qui ne correspondent pas toujours à celles ayant cours dans la société de départ », constate Edwige Rude-Antoine, juriste, sociologue et psychanalyste chargée de recherches au CNRS. Sollicitée par la protection judiciaire de la jeunesse pour analyser des parcours de jeunes en très grande difficulté, elle a tenté de décrypter l'incidence des facteurs culturels sur la construction identitaire de ceux issus de l'immigration et les processus de leur socialisation (2).

Les jeunes en question, qui faisaient tous l'objet d'une mesure de protection de l'enfance à la suite d'un délit, se sont présentés comme étant les descendants d'un immigré venu apporter sa contribution à l'économie de la France. Qu'ils soient issus d'un village de Tunisie ou de Côte-d'Ivoire, ils font débuter le récit de leur histoire dans leur cité. Selon la chercheure, « ils appartiennent à des familles où les solidarités collectives ou communautaires ont été rompues. La cité est leur seul territoire comme principe structurant, leur seul groupe d'appartenance. » Lors de l'enquête, « leurs référents culturels ne sont pas apparus comme des facteurs prépondérants permettant de comprendre leurs comportements », rapporte la chercheure. En revanche, les relations avec leurs pères se sont le plus souvent révélées problématiques. Les travailleurs sociaux rencontrés parlaient d'ailleurs de « pères défaillants ».

Dans les sociétés d'origine, le père est souvent davantage un père groupal, d'un lignage, qu'un père individuel - comme dans les pays occidentaux, où il se trouve en général dans une proximité avec la femme et les enfants. En exil, une coupure s'opère donc avec la figure du père traditionnel. Les récits des jeunes manifestent en outre que ces derniers sont souvent dans l'incapacité de reconstituer l'ordre générationnel de leur famille. « Ils n'ont de souvenir, du côté de leur père, que de quelques signifiants organisateurs pouvant opérer comme un principe actif d'appartenance », observe la chercheure. Les jeunes expliquent cependant leurs tentatives pour que leur père se situe dans son histoire familiale et personnelle. Mais ils sont confrontés à son déni, du fait des difficultés qu'il rencontre à se remémorer sa vie passée au pays. « Acteur souvent de la rupture avec le groupe d'appartenance, ces pères montrent un certain fantasme d'illégitimité. Ils vivent leur exil comme une indignité, parfois comme une malédiction, voire comme une chute sans fin. De ce fait, les jeunes sont confrontés à un bloc imaginaire inconnu et à une brisure de la temporalité », analyse Edwige Rude-Antoine. Ils peinent donc à se situer dans une lignée.

En outre, l'enquête montre que les mères rencontrées ne font pas grand cas de la place symbolique du père. « Le père, dans leur langage, n'existe pas, elles n'en parlent pas, ce qui pose problème pour les enfants », affirme la psychanalyste. « Par ailleurs, ces pères n'ont souvent pas d'autre identité que celle que leur confère leur travail. » Or, fréquemment, ils sont au chômage. De fait, leur parole perd du poids. « Pour ces jeunes, le travail fonde la présence de leur père sur le territoire français et leur absence du pays de nulle part », décrypte la chercheure. Et d'ajouter : « Cette absence du père dans la sphère professionnelle, voire dans la sphère sociale, interroge sur le mode de présence autorisé à l'immigré, sur sa manière d'être absent et ses effets, sur le fait que les pères restent toujours des immigrés de quelque part ailleurs. »

Enfin, l'enquête montre que, du fait des mesures de protection de l'enfance et de leurs référents culturels différents de ceux des institutions, les pères ont le sentiment que leur enfant leur échappe. « Comment dès lors les institutions peuvent-elles aider ces pères marqués par la condition d'exilé ? », s'interroge Edwige Rude-Antoine, pour qui leur attitude de retrait, décrite par les jeunes, relève moins d'un choix délibéré que du sentiment qu'ils ne sont pas reconnus dans la société où ils résident. Et d'inciter les divers professionnels qui ont à suppléer les lacunes éducatives à « veiller à ce que les différents discours psychosociaux ne transposent pas les pères dans un univers trop abstrait où ils risquent le sens particulier de leur existence. Les interventions peuvent entraîner un émiettement de la fonction paternelle. Elles doivent pourtant faire en sorte que la rencontre avec l'autre puisse avoir lieu. »

F. R.

Des pratiques parfois empreintes de « relativisme »

Confrontés à un enfant de migrant en danger, les assistants de service social sont parfois tentés de comprendre les comportements parentaux en les replaçant dans leur contexte culturel. Un « relativisme » qui dépend lui-même de plusieurs facteurs, explique l'universitaire Delphine Serre.

Comment les assistants sociaux en viennent-ils à signaler des enfants en danger à la justice ? Telle était la question au coeur de la thèse de Delphine Serre, maître de conférences à l'université de Paris-I (3). Celle-ci a repéré sur le terrain des formes de relativisme, autrement dit des cas où des assistants de service social - de secteur ou de l'Education nationale - cherchent à comprendre les logiques de certaines pratiques transgressant les normes qu'elles promeuvent, sans pour autant les condamner.

« Un certain discours tend à considérer que les pratiques éducatives familiales ne sont pas autonomes, ni prioritaires dans l'explication de certains écarts, mais qu'elles dépendent de conditions de vie ou d'habitudes culturelles. Cela entraîne des non-signalements », résume la sociologue. Mais si l'approche matérialiste qui met en jeu les conditions de vie est assez peu mobilisée, l'approche culturaliste, qui met l'accent sur des habitudes acquises dans différents contextes nationaux, elle, est bien plus fréquente.

« Familles maghrébines, africaines... »

La lecture culturaliste s'appuie tout d'abord sur une manière d'élaborer des groupes. « On va parler de «familles maghrébines», de «familles africaines», sans que les bases à partir desquelles on construit ce genre de groupes : origine géographique, apparence physique... soient très claires », estime Delphine Serre.

L'approche culturaliste peut ensuite se décomposer en trois temps, le premier ayant trait à la comparaison. Par exemple, « on dira «dans les familles africaines, on a la main leste, il y a souvent des coups de ceinture», mais on ajoutera «c'est comme si, nous, on se ramassait une gifle ou un coup de pied aux fesses» », remarque la sociologue, pour qui « le relativisme transparaît dans la mise en équivalence des pratiques ».

Dans un deuxième temps, cette vision est limitée par des critères de jugement auxquels font appel les assistants sociaux, tels que la fréquence des coups, la question de la gravité, le degré de coopération des parents, leur ouverture au dialogue. « Leur mise en scène conduit à casser l'idée de groupes totalement séparés. Le principe est qu'il y a des critères de jugement valables pour toutes les familles. On oscille en fait sans cesse entre la mise en équivalence et le rappel à des critères plus universels », observe la sociologue. Dans les discours ressort, en général, l'idée qu'il faut savoir marier exigences de l'intégration et respect de la différence.

Toutefois, un troisième temps peut se produire : au lieu de pencher vers une version plus universaliste, le relativisme culturaliste peut basculer vers un culturalisme très stigmatisant. Le trait culturel devient alors un obstacle, un problème, un facteur de danger. En particulier, c'est sur la question de la religion et sur celle de l'autonomie des femmes que le regard relativiste ou universaliste achoppe.

Pour la sociologue, « dans ces trois temps de l'approche culturaliste, on retrouve les trois moments historiques du discours public sur la différence culturelle ». Le premier date des années 80 et correspond à l'époque où l'interculturel était valorisé, où l'ethnopsychiatrie acommencé à avoir un écho chez les travailleurs sociaux, où politiquement on insistait sur le droit à la différence. Le deuxième, qui a suivi dans les années 90 « l'histoire du foulard », est celui de la politique d'intégration et du discours sur le rappel à la loi.

« Enfin, analyse Delphine Serre, l'accent mis aujourd'hui sur la question religieuse et sur celle de l'autonomie des femmes renvoie aussi aux discours publics. Dans un cas, on veut bien accepter les corrections parentales, car elles entrent dans une morale d'autorité que l'on veut promouvoir à l'heure où le sécuritaire occupe le devant de la scène. Mais à l'inverse certaines choses deviennent inacceptables dans un contexte où sont mis en avant les principes de laïcité et d'égalité hommes-femmes. »

Signalement inefficace ?

Le fait d'adhérer ou non au relativisme, pour les assistants sociaux rencontrés, puise ses sources dans deux registres : soit celui-ci est acquis au cours de leur socialisation primaire, c'est-à-dire familiale, soit il l'est lors de leur socialisation professionnelle. Dans ce dernier cas, sont souvent impliquées les formations continues que les professionnels ont pu suivre où l'on enseigne, globalement, que selon telle ou telle culture, on aura telle ou telle pratique. Des formations qui accréditent d'ailleurs contradictoirement, « le partage entre le «eux» et le «nous» et fige les identités », estime la sociologue. Autre élément : l'apprentissage découlant d'échecs connus avec certaines familles. Les assistants sociaux identifient alors des familles qu'il est inutile de signaler. « L'idée est que le signalement n'a plus d'effet. Il ne s'agit pas là d'un problème de légitimité à imposer certaines normes aux familles, mais du sentiment que cela se révèle inefficace. »

F. R.

Notes

(1) Le Derpad a proposé une réflexion à partir de ce thème en organisant à Paris, les 23 et 24 avril dernier, un colloque intitulé « Cultures des institutions, culture des familles : alliance ou malentendu ? » - Derpad : 75, rue de Turbigo - 75003 Paris - Tél. 01 53 42 36 15.

(2) Les jeune sissus de l'immigration pris en charge par la PJJ - Trajectoires individuelles et diversité culturelle - 1997 - Rapport non publié.

(3) Elle devrait être publiée fin 2007 aux éditions La Découverte.

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