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Droits de l'enfant : privilégier la cohérence des textes

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L'inflation récente des lois ayant un impact sur les droits des enfants brouille les cartes en matière de compétences et de responsabilités des différentes institutions, et la conformité de ces textes avec la Convention internationale des droits de l'enfant pose question, explique Barbara Walter, docteur en sciences de l'éducation, chercheure à la Société lyonnaise pour l'enfance et l'adolescence et présidente du Conseil français des associations pour les droits de l'enfant (Cofrade) (1).

« A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la protection de l'enfance était caractérisée par une gestion répressive des enfants et de leur famille : séparation souvent définitive entre les enfants et leurs parents déchus de leurs droits, mineurs - souvent très jeunes - déportés dans les bagnes d'enfants...

Faisant suite à la loi de 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée, l'ordonnance de février 1945 est venue instaurer une distinction entre la justice des mineurs, éducative, et celle des adultes, plus répressive. L'évolution s'est donc faite dans le sens d'une foi en l'éducabilité des enfants, même délinquants.

La montée du libéralisme et certains courants psychanalytiques (Sigmund Freud, Mélanie Klein, Françoise Dolto...) ont amené une meilleure compréhension des situations problématiques et ont modifié les approches et les méthodes du travail social. Le placement a alors été, dans la mesure du possible, complété, voire remplacé, par un accompagnement de la famille. S'y est ajoutée une volonté de segmenter les publics afin de leur offrir une aide plus efficace parce que spécifique.

La loi 2002-2 rénovant l'action sociale et médico-sociale a placé l'enfant et ses parents au coeur du dispositif en leur attribuant un rôle d'acteurs dans la construction de leur parcours. Mais on voit aussi monter des courants pédiatriques, voire pharmaceutiques, qui tentent de répondre à des déficits d'éducation par des médicaments.

Le cycle, à présent, revient à son point de départ, avec l'instauration de dispositifs plus répressifs qui envisagent la possibilité d'écarter l'excuse de minorité pour des mineurs délinquants et de sanctionner les parents dont les enfants ont des comportements déviants.

Aujourd'hui, un faisceau de lois tente de répondre à des situations de danger, de maltraitance, de délinquance, de discrimination : les lois sur la protection de l'enfance et sur la prévention de la délinquance notamment. Il n'est pas sûr que cette quantité de textes garantisse la qualité d'une vie sociale égalitaire, sécurisée et sereine. A les lire, il nous vient un sentiment étourdissant qui empêche de voir clairement la contribution des différentes institutions, le partage des compétences et si les usagers peuvent réellement être aidés plutôt que jugés. De plus, il n'est pas sûr que leur contenu soit toujours pensé en adéquation avec les articles de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), adoptée par l'ONU en 1989 et ratifiée par la France l'année suivante.

Confusion des responsabilités

Les lois sur la prévention de la délinquance et sur la protection de l'enfance, promulguées en mars 2007, font écho au préambule de la Convention internationale des droits de l'enfant qui affirme sa conviction «que la famille doit recevoir la protection et l'assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer pleinement son rôle dans la communauté». Ces textes se rejoignent ainsi sur le volet important de l'aide à la parentalité. Au conseil général la possibilité de mettre en place un contrat de responsabilité éducative, à la commune celle de proposer un accompagnement parental par le biais du conseil pour les droits et devoirs des familles. Les deux autorités ont donc tout avantage à coopérer dans le cadre de l'action sociale à destination des familles afin de rendre cohérents l'aide et l'accompagnement qu'elles proposent et garantir au mieux le respect de l'article 2 de la CIDE, qui stipule que les Etats doivent accorder l'aide appropriée aux parents dans l'exercice de la responsabilité qui leur incombe d'élever l'enfant. Mais sauront-elles le faire ?

En outre, les deux autorités peuvent saisir la justice en cas de refus ou de manquement des parents dans l'exercice de leur rôle ou de situation préoccupante non maîtrisable par leurs instances. Le juge intervient donc essentiellement lorsqu'une situation de danger ou de risque de danger ne peut être résolue ni par le conseil général ni par la commune.

Même si la plupart des institutions travaillent en bonne intelligence, il est à craindre des interprétations divergentes des lois et des prises de responsabilités non concertées. Les familles prises dans l'engrenage de dispositifs différents ou multiples auront du mal à répondre aux attentes, non pas à cause de leur mauvaise volonté mais parce que le système leur paraîtra illisible. Du fait de cette incompréhension, la situation risque alors d'être considérée comme dangereuse et traitée dans une logique de sanction des parents.

L'enfermement des mineurs en question

La prison, dans sa réalité et ses effets, a quant à elle été dénoncée dès le début du XIXe siècle et les critiques à son encontre sont encore valables aujourd'hui : les prisons ne diminuent pas le taux de criminalité, elles fabriquent des délinquants, la détention provoque la récidive.

L'objectif de la peine d'emprisonnement demeure flou. S'agit-il de protéger la société des éléments délinquants ou d'amener un individu, par le biais de l'enfermement, à modifier son comportement et son rapport à la loi ? La difficulté est de ne privilégier aucun des deux objectifs au détriment de l'autre. La dimension éducative du temps d'incarcération, nécessaire pour tous les individus, est primordiale pour l'enfant, c'est-à-dire pour toute personne de moins de 18 ans comme le prévoit la CIDE, qui reconnaît par ailleurs à tous les enfants le droit à l'éducation. C'est aussi cette primauté de l'éducation sur la répression que vient garantir l'ordonnance de 1945.

La loi sur la prévention de la délinquance ainsi que le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive élargissent la possibilité d'écarter l'excuse de minorité et de juger l'enfant comme un adulte, ce qui interroge la conformité entre la loi française et la CIDE. Certes, dans certains cas, l'enfant doit être arrêté et contenu physiquement pour accéder à l'éducation. En revanche, il ne doit pas perdre sa particularité d'enfant pour être jugé comme un adulte, voire incarcéré dans le monde des adultes, ce qui bafouerait également l'article 37 de la CIDE qui préconise que «tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes».

Les établissements spécifiques pour mineurs avec un volet éducatif prioritaire, comme c'est le cas de ceux de Meyzieu (Rhône) et de Lavaur (Tarn) qui viennent d'ouvrir, peuvent être une solution pour des adolescents délinquants. D'autres structures comme les centres éducatifs fermés ne sont pas à négliger non plus. Mais nous devons veiller à ce que l'enfermement ne soit pas synonyme de mise à l'écart définitive mais soit pensé dans une logique de «ré»-éducation pour un retour progressif dans le milieu social ordinaire. L'article 40 de la CIDE l'affirme haut et fort en mentionnant la nécessité de faciliter la réintégration du jeune dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci.

Sauvegarder le droit à l'enfance et le principe de minorité, défendre le droit à l'éducation même dans ses formes les plus contraignantes, respecter le droit des parents à être soutenus et aidés, permettre à chacun de trouver sa place dans la société... Il s'agit là d'autant de principes qui pourront garantir que les objectifs définis par l'article 29 de la CIDE soient atteints : favoriser l'épanouissement de la personnalité, inculquer le respect de ses parents, préparer l'enfant à assumer les responsabilités de la vie...

Les textes, cependant, ne tendraient-ils pas à perdre de vue ces objectifs ? Dans un souci de cohérence, ne serait-il pas plus judicieux d'en réduire le nombre ? Il nous faut sortir de l'effet mille-feuille des lois qui s'additionnent, se superposent et se complètent rarement.

Appuyé par de nombreuses associations, le Conseil français des associations pour les droits de l'enfant (Cofrade) réclame depuis 2005 des états généraux de l'enfance où seraient abordées l'éducation, la famille, la justice, la protection et la santé dans une approche généraliste et au regard des besoins de l'enfant et de son évolution vers l'âge adulte. Il demande également un ministère de l'Enfance qui aurait en charge la politique globale de l'enfance en référence à la Convention internationale des droits de l'enfant.

Est-ce utopique de croire que l'intérêt supérieur de l'enfant tel qu'il est défini dans l'article 3 de la CIDE peut, au même titre que l'économie, devenir le véritable moteur d'une nation ? »

Notes

(1) Créé en 1989 à l'initiative du Bureau international catholique de l'enfance, de l'Institut de l'enfance et de la famille (aujourd'hui disparu) et de l'Unicef, le Cofrade regroupe actuellement 80 associations et syndicats français, parmi lesquels les CEMEA, le Secours populaire, le SNUAS-FP-FSU, l'UNAF, l'Unapei... Il a pour mission de veiller au respect et à la diffusion en France de la Convention internationale des droits de l'enfant et cherche à promouvoir les adaptations législatives et institutionnelles nécessaires à la mise en conformité du droit français avec les engagements internationaux de l'Hexagone.

TRIBUNE LIBRE

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