Cinq ans après sa consécration par la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale (1), la résidence alternée est une pratique encore « limitée et contestée ». Pour autant, la législation la concernant « n'appelle pas de modification évidente ». Tel est le constat dressé par la commission des lois et celle des affaires sociales du Sénat, qui ont organisé conjointement, le 23 mai dernier, une journée d'auditions publiques pour dresser un bilan d'ensemble de sa mise en oeuvre. L'état des lieux établi complète utilement ceux déjà tirés en 2006 par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits des enfants (2) et la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (3), dont les champs d'investigation étaient toutefois plus larges.
La résidence alternée est « une pratique encore limitée », selon le rapport consignant les conclusions issues de cette journée (4). En témoigne la faible proportion des enfants faisant l'objet, par décision judiciaire, d'une résidence en alternance : selon les données du ministère de la Justice, environ 11 % en 2005, taux à peine supérieur à celui observé dans une enquête réalisée en 2003 (10 %). Mais la proportion des enfants vivant effectivement en résidence alternée est « sans doute plus importante », car le juge aux affaires familiales n'est saisi qu'en cas de divorce ou de litige.
La résidence en alternance reste par ailleurs marginale dans les toutes premières années de l'enfant. Et les trois quarts des enfants en résidence alternée ont moins de 10 ans, l'âge moyen étant de 7 ans.
D'autre part, le faible recours à l'aide juridictionnelle - une procédure sur cinq seulement - donne à penser que les parents qui demandent ce mode de résidence ont une situation financière relativement aisée, ce qui s'explique par les contraintes matérielles importantes qu'il comporte, en matière de logement notamment.
Il s'agit aussi d'un mode de résidence généralement décidé conjointement par les deux parents (80 % des cas, et 95 % de ces demandes sont acceptées par les juges). En cas de désaccord parental, la résidence alternée est retenue dans un quart des cas, et les magistrats ne l'imposent qu'après s'être entourés de nombreuses précautions : en 2005, ils ont eu recours dans 61 % des cas à une mesure d'investigation, le plus souvent une enquête sociale. Les décisions de rejet sont fondées sur plusieurs critères (mauvaises relations entre les parents, éloignement de leurs domiciles respectifs, âge des enfants, etc.).
La résidence alternée est également « une pratique contestée », les critiques portant désormais moins sur son principe même, qui semble accepté, que sur ses modalités de mise en oeuvre. En cause, tout d'abord : « l'absence d'étude fiable sur [ses] conséquences pour l'enfant ». Passé cet obstacle, il ressort du rapport que, « lorsqu'elle n'est pas adaptée à la situation familiale, [elle] entraîne chez l'enfant des troubles graves. Or la loi n'a prévu aucun garde-fou et les décisions de certains juges relèvent d'une prise de position idéologique »... Auditionnée par les sénateurs, Mireille Lasbats, psychologue clinicienne et expert près la cour administrative d'appel de Douai, estime que quatre critères devraient être pris en compte par le juge : l'âge de l'enfant, la proximité géographique de l'école et des domiciles des parents, l'entente de ces derniers sur les principes éducatifs et une bonne organisation pratique. Les associations sont par ailleurs divisées sur la résidence alternée : ainsi, alors que certaines considèrent qu'elle doit être soutenue, car « elle permet de préserver la coparentalité et les liens de l'enfant avec son père et sa mère », d'autres stigmatisent ses risques potentiels, soulignant qu'elle « ne peut être mise en place, sous peine de provoquer des troubles graves chez l'enfant, que sous certaines conditions précises (absence de conflit parental, prise en compte de la maturité et du souhait de l'enfant dans les rythmes d'alternance, respect de ses rituels et habitudes afin d'assurer une continuité psychologique) ». Reste le regard des avocats et des magistrats sur ce mode de résidence, qui inciterait plutôt à l'optimisme. Il a en effet été constaté « une acceptation sociale progressive de la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale et une plus grande sensibilité des parents à l'intérêt de leurs enfants », peut-on lire dans le rapport.
L'absence de position commune sur la pratique a logiquement conduit les différents intervenants à formuler des propositions de réforme législative (interdiction de la résidence alternée pour les jeunes enfants, présence des avocats rendue obligatoire lors des enquêtes sociales...). Elles se sont avérées « peu consensuelles », et il est ressorti des auditions menées qu'« il n'est pas indispensable de modifier une législation récente et finalement équilibrée », concluent les sénateurs.
(4) La résidence alternée : une journée d'auditions publiques pour évaluer la loi du 4 mars 2002 - Rapport d'information n° 349 - Disp. sur