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Droit opposable à l'hébergement et au logement : dans l'attente d'un changement radical...

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Inutile de « rafistoler » le dispositif d'accueil, d'hébergement et d'insertion, inefficace et obsolète. Il convient plutôt d'inventer des solutions respectueuses des attentes et des besoins des usagers, explique Jean-Jacques Deluchey, directeur adjoint d'un CHRS dans la Seine-Saint-Denis. De son côté, Philippe Ropers, directeur du pôle « enfance familles » de l'association Sauvegarde 71, réagissant à une récente tribune (1), estime que l'instauration du droit opposable à l'hébergement et au logement ne remet pas en question les fondements de l'accompagnement social.
« Faciliter l'accès direct au logement et limiter strictement le recours à l'hébergement social »

Jean-Jacques Deluchey Directeur adjoint d'un CHRS dans la Seine-Saint-Denis

« Le dispositif d'accueil, d'hébergement et d'insertion - dit «dispositif AHI» - constitue la pièce maîtresse de la lutte contre le sans-abrisme. Selon le référentiel national publié par la direction générale de l'action sociale en mars 2005 (2), ses composantes devraient être en mesure de proposer un soutien immédiat et adapté. Le récent mouvement en faveur des sans-abri a cependant rappelé l'écart abyssal existant entre la réalité et la théorie officielle.

Les mesures annoncées dans le cadre du plan d'action renforcé destiné aux sans-abri (PARSA), définies dans la précipitation, ainsi que certaines dispositions de la loi relative au droit au logement opposable auraient dû apporter quelques améliorations. Cependant, les promesses - augmentation du nombre de places d'hébergement, création de 12 000 places en maison-relais, facilitation de l'accès au logement - n'ont pas été tenues et la situation reste très problématique, en particulier en région parisienne [sur le premier bilan du PARSA dressé par la FNARS, voir ce numéro, page 52].

La crise actuelle, pourtant, ne présente pas de caractère inéluctable. Dans l'objectif de remédier aux dysfonctionnements constatés, plusieurs orientations sont envisageables et il reste à définir la plus pertinente.

Elaboré sur le modèle hospitalier, le dispositif AHI comprend des structures d'urgence chargées d'assurer un premier accueil immédiat et inconditionnel. Les centres d'hébergement d'urgence sont l'élément essentiel de cette première strate. En seconde ligne, les hébergements d'insertion, de stabilisation et les différentes formes de logement temporaire ont pour mission de proposer une prise en charge de moyen terme. Limités dans le temps, l'accueil et l'accompagnement doivent rechercher le retour des usagers à l'autonomie et au droit commun, en particulier en matière d'habitat.

Au cours des 20 dernières années, le dispositif AHI a été sollicité par une demande sans cesse croissante, liée à la précarisation grandissante d'une partie de la population conjuguée aux difficultés de logement des ménages les plus modestes. Submergé par cette vague de demandes, il s'est révélé incapable d'apporter des réponses adaptées. Faute de places d'hébergement disponibles, les 115, les lieux d'accueil de jour ou les services d'accueil et d'orientation se trouvent dans l'impossibilité de donner une suite favorable aux sollicitations des ménages sans-abri. Les personnes et les familles hébergées dans les centres d'urgence attendent de plus en plus longtemps une proposition d'orientation appropriée.

La tendance est d'autant plus marquée depuis l'entrée en vigueur de l'article 4 de la loi relative au droit au logement opposable, qui instaure le principe de la continuité de l'accueil. Avant l'adoption de ce texte, la discontinuité des prises en charge engendrait une fluidité apparente et provoquait une certaine déperdition de la demande. Epuisés par les incohérences du système, les ménages les moins tenaces abandonnaient le circuit de l'urgence et recouraient à la «débrouille».

Paralysie du système

Le maintien de l'hébergement d'urgence dans l'attente d'une proposition plus adaptée, imposé par l'article 4 de la loi, met en évidence l'absence de fluidité réelle entre les différentes strates d'hébergement. Faute d'offre d'orientation en aval, et notamment dans le parc social, les personnes et les familles restent parquées durablement dans des structures qui n'ont pas été conçues à cet effet. Les durées de séjour dans les CHRS, les hébergements de stabilisation et les logements transitoires tendent à s'allonger dans l'hypothétique attente d'accéder à une solution de droit commun. Et il est à craindre que cette paralysie provoque de multiples problèmes de cohabitation entre les usagers et de relation avec les équipes animant les établissements d'urgence.

Alors, quelles alternatives possibles ?

Afin de remédier aux principales déficiences de la politique de lutte contre le sans-abrisme, plusieurs perspectives sont envisageables. La première consisterait à augmenter significativement et régulièrement les capacités d'hébergement d'insertion, de stabilisation et de logement transitoire. La création de ces nouvelles places permettrait de proposer dans des délais raisonnables une orientation aux ménages à la rue ou accueillis dans les structures d'urgence. L'option paraît cependant un peu courte. Outre son coût élevé, elle n'apporterait aucune réponse satisfaisante en matière de retour à l'autonomie et d'accès au logement des usagers hébergés.

Maintenir le dispositif en place et renforcer de manière effective et rapide le relogement des ménages estimés éligibles à l'habitat social - soit plus d'un tiers des personnes hébergées (3) - constituerait une voie médiane plus cohérente. Cette orientation aurait l'avantage de réinstaurer une fluidité relative au sein du dispositif AHI. Elle se heurte cependant à l'insuffisance actuelle de l'offre de logements à loyer modéré.

Ces deux propositions apportent des améliorations au dispositif en place. Plus ambitieuse, une troisième voie engagerait à reconsidérer la pertinence du schéma d'organisation des politiques en vigueur.

Depuis plus de 50 ans, la lutte contre le sans-abrisme s'est appuyée sur l'hébergement social, qui n'est rien d'autre qu'une forme d'habitat extrêmement précaire en décalage notoire avec les attentes des usagers, l'état du droit et les nécessités afférentes à l'épanouissement de la personne. Les mouvements de sans-logis ont maintes fois rappelé que les personnes à la rue aspirent à accéder non pas à un hébergement de médiocre facture mais à un logement décent et adapté à leurs besoins. Par ailleurs, tant en matière d'action sociale que d'habitat, le législateur a mis l'accent sur le respect des droits des personnes et l'adaptation de l'offre de services. Au regard de la législation en vigueur, proposer un hébergement à des personnes souhaitant disposer d'un habitat autonome relève d'un déni de droit (4). Enfin, comme le rappellent Michel Chauvière, Jean-Michel Belorgey et Jacques Ladsous (5), nul ne conteste aujourd'hui que l'accès à un logement digne constitue un préalable nécessaire au développement personnel et social de l'individu.

Ces considérations inciteraient à limiter au strict nécessaire le recours à l'hébergement social et à faciliter, autant que faire se peut, un accès direct au logement. Ce changement radical requiert l'existence d'une offre suffisante d'habitat à loyer modéré, l'aménagement de mesures d'accompagnement social destinées à soutenir les personnes fragilisées ainsi que la revalorisation significative des revenus les plus modestes.

« S'il y a une volonté politique... »

Les capacités de construction actuelles autorisent sans aucun doute, s'il y a une volonté politique, une production suffisante de logements sociaux dans un délai raisonnable. L'effort financier conséquent se situe dans les possibilités de la cinquième puissance économique mondiale. Dans l'attente, la réquisition des logements vacants et la location par la puissance publique de logements du parc privé compenseraient utilement le déficit actuel de l'offre.

Diverses formes d'intervention sociale au domicile existent (services de suite, mesures d'accompagnement social lié au logement, services d'accompagnement à la vie sociale, etc.) et ont démontré toute leur efficacité. Si nécessaire, ces mesures pourraient être mobilisées et développées afin de soutenir les ménages les plus vulnérables.

En amont de ces dispositions, il semblerait souhaitable de mettre fin aux expulsions locatives. Le nombre de procédures engagées va croissant depuis de nombreuses années. Bien que toutes ne soient pas exécutées, ces décisions participent à l'augmentation du nombre de sans-logis.

Les ménages à la rue disposent généralement de revenus modestes. Une partie des personnes et des familles, en particulier les jeunes âgés de moins de 25 ans, ne bénéficie d'aucunes ressources. Trop souvent, la faiblesse ou l'absence de revenus provoque la perte de l'habitat et empêche le relogement. Aussi, envisager de favoriser l'accès au logement des publics sans-abri amène à prévoir une augmentation des bas revenus, et en particulier des minima sociaux. En la matière, la puissance publique a, là encore, de sérieuses obligations. Les articles 25 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, 11 du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels et 30 de la Charte sociale européenne révisée précisent que les Etats signataires sont tenus de prendre les mesures nécessaires à l'accès à l'emploi et au maintien d'un niveau de revenus suffisants.

En droit interne, l'article 5 du préambule de la Constitution de 1946 affirme le droit de chacun à obtenir un emploi. Les articles 10 et 11 disposent que la nation «assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement» et «garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence.» De toute évidence, l'Etat a négligé ces dispositions.

Le retour au plein emploi, l'éradication du travail précaire et l'augmentation des bas salaires amélioreraient sans aucun doute les conditions de vie des ménages modestes. Complexes, ces questions mériteraient un développement particulier. Soulignons simplement que la revalorisation des minima sociaux, vivement souhaitée par les mouvements de chômeurs et les associations de personnes handicapées, paraît incontournable. Toutes inférieures au seuil de pauvreté, les allocations versées ne permettent pas de vivre décemment, et encore moins de régler un loyer et les charges afférentes. Au mieux, elles autorisent une pauvre survie. Jacques Rigaudiat, de son côté (6), suggère la création d'un «revenu d'attente». Destiné à tous ceux qui se trouvent dans une situation de transition, y compris les jeunes en primo insertion, il garantirait un revenu décent fixé en référence à une «norme d'emploi» et au moins égal au seuil de pauvreté. Pierre Concialdi considère quant à lui (7) qu'il est urgent de consolider les protections de base, notamment le SMIC et les minima sociaux, et d'indexer leur progression en fonction de l'évolution de la richesse nationale. La Fondation Copernic propose une unification des minima sociaux et leur revalorisation à hauteur de 1 200 € (8).

Privilégier l'accès au logement du plus grand nombre n'exclut pas pour autant l'instauration d'un droit à un hébergement de qualité et à un accompagnement social personnalisé qui pourrait être garanti par la loi aux personnes se trouvant dans l'incapacité manifeste de vivre en toute autonomie dans un logement de droit commun. Confronté à des difficultés sévères d'ordre psychosocial, un nombre limité de ménages à la rue se trouve probablement dans cette situation. Pour ces publics, un accueil temporaire dans une structure appropriée paraît indiqué. Il convient cependant de faire preuve d'une certaine prudence à l'égard de nos certitudes de sens commun. En effet, des initiatives originales autorisent à penser que l'accès au logement de ces personnes est non seulement possible mais aussi pleinement satisfaisant à la condition qu'un soutien adapté et concerté entre les différents acteurs médicaux, médico-sociaux et sociaux de proximité accompagne cette démarche.

La mobilisation est nécessaire

Plutôt que de rafistoler de nouveau un dispositif inefficace et anachronique, il apparaît donc plus judicieux d'élaborer des propositions respectueuses des attentes et des droits des personnes directement concernées. Faciliter l'accès direct au logement des ménages sans-abri et limiter strictement le recours à l'hébergement social s'inscrit dans cette perspective pragmatique. Outre l'adaptation de l'offre de logements, cette option nécessite probablement des mesures concomitantes, et notamment l'aménagement de différentes formes d'accompagnement social au domicile ainsi que la revalorisation des revenus les plus bas, et en tout premier lieu des minima sociaux. A court terme, ce projet est parfaitement réalisable. Cepen-dant, il est peu probable que la puissance publique retienne spontanément cette orientation. Aussi, il appartient aux acteurs mobilisés d'opérer des choix et de les faire valoir auprès des autorités compétentes. »

Contact : jjdeluchey@wanadoo.fr.

« Le travail social cherche à promouvoir des droits incompressibles »

Philippe Ropers Directeur du pôle « enfance familles » de l'association Sauvegarde 71

« Dans sa tribune libre du 15 juin 2007, «Droit au logement opposable : 'ne jouons pas aux apprentis sorciers'», Stéphane Rullac évoque l'apparition d'une logique supposée nouvelle avec l'instauration d'un droit au logement sans aucune condition d'effort en contrepartie. Le travail social n'aurait alors plus de moteur pour faire évoluer les usagers dans une perspective d'intégration. On peut se demander si cette logique est aussi neuve que cela et si elle a réellement des incidences sur la redéfinition des différentes missions de l'action sociale.

Sans doute peut-on rejoindre Stéphane Rullac sur l'idée que l'assistant social, l'éducateur et les autres professionnels chargés d'accompagner socialement les personnes évoluant à la marge, s'appuient sur l'effort et le développement d'une volonté de payer de sa personne pour parvenir à des effets positifs. L'usager est invité à considérer qu'il obtiendra, de la part de la société, une attention particulière à la condition qu'il s'engage concrètement dans la trajectoire qui est définie. C'est ce qu'il appelle le «mérite». On se situe effectivement dans une logique contractuelle.

Pour autant, le travail social, et à plus forte raison l'insertion, est également accusé, depuis toujours, de participer à la sphère de l'assistance au lieu de favoriser la prise d'une place réelle et productive dans un univers organique, au sens durkheimien (9). Reconnaissons que les services sociaux se sont toujours mobilisés pour l'exercice des droits existants. L'analyse critique de Stéphane Rullac passe donc sous silence ce que la société produit comme protection de garanties et de droits incompressibles, que le travail social cherche précisément à promouvoir.

Réellement opposables ?

En vérité, cette réflexion est à inscrire dans un univers plus large, celui de la défense des droits fondamentaux tels qu'ils apparaissent dans notre Constitution et tels qu'ils se sont développés dans le cadre de notre idéologie moderne, individualiste au sens de Louis Dumont (10). Faut-il déplorer cette évolution ? Elle ne remettra pas en question l'action sociale et ses fondements méthodologiques, mais permettra probablement d'accompagner dans un premier temps les personnes, appelées à évoluer du fait d'une aspiration au retour à une certaine normalité. Sous réserve, bien sûr, qu'elles ne s'inscrivent pas dans des stratégies de socialisation parallèle. Celles-ci existent indiscutablement, même si l'expérience de terrain montre que les profils sont pluriels.

Cela étant, sur le plan pratique, la question de l'opposabilité de telles lois reste évidemment posée. Sans doute faudra-t-il se battre longuement avant d'obtenir les moyens nécessaires pour mettre en place ce qu'elles prévoient... »

Contact : Service action éducative en milieu ouvert : 7, rue Bigonnet - 71000 Mâcon - Tél. 03 85 22 98 41 - E-mail : philippe.ropers@cegetel.net.

Philippe Ropers Directeur du pôle « enfance familles » de l'association Sauvegarde 71

Notes

(1) Voir ASH n° 2513 du 15-06-07, p. 21.

(2) Voir ASH n° 2406 du 6-05-05, p. 12.

(3) Un récent recensement réalisé par la DDASS de Seine-Saint-Denis auprès des centres d'hébergement implantés dans ce département a montré que plus de 35 % des places sont occupées par des ménages en attente d'une proposition de logement.

(4) En effet, l'article 31 de la Charte sociale européenne révisée consacre le droit au logement et donne obligation aux Etats signataires de mettre en oeuvre des politiques favorisant l'accès au logement en particulier des publics disposant de revenus modestes. Considérant que l'Etat français ne respectait pas ses obligations en ce domaine, la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (Feantsa) a récemment saisi le Conseil de l'Europe.

(5) Reconstruire l'action sociale - Ed. Dunod, 2006.

(6) Le nouvel ordre prolétaire - Ed. Autrement, 2007.

(7) Non à la précarité - Ed. Mango, 2007.

(8) « Emploi et niveau de vie » - Politiques alternatives doc. 1, 2007.

(9) Selon Durkheim ( De la division du travail social [1930], Presses Universitaires de France, 1994), la solidarité organique est caractéristique des sociétés modernes et se fonde sur le principe de différenciation sociale, c'est-à-dire sur la complémentarité des fonctions pour un bon fonctionnement social.

(10) Essais sur l'individualisme - Une perspective anthropologique sur l'idéologie moderne - Ed. du Seuil, 1983.

TRIBUNE LIBRE

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