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Sortir du prêt-à-porter pour accompagner sur mesure les personnes handicapées

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En plaçant la personne handicapée au centre des dispositifs, la loi du 11 février 2005 provoque une profonde modification du paysage du handicap. On assiste désormais à un vaste mouvement de décloisonnement entre institutions et domicile, dépassant souvent les frontières traditionnelles du social et du médico-social.

« La personne handicapée au centre du dispositif et actrice de son propre projet » : le leitmotiv de la loi « handicap » du 11 février 2005, et, avant elle, de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, n'est pas sans conséquence sur l'évolution des pratiques professionnelles. « Alors que dominait autrefois le modèle de la réadaptation qui avait introduit un clivage entre personnes valides et handicapées, milieu ordinaire et institutions, l'essor du modèle de la vie autonome dans une société accessible change profondément le regard sur le handicap. Ce dernier est dorénavant appréhendé comme une situation dépendant de facteurs individuels, techniques, institutionnels, culturels et environnementaux », explique Jésus Sanchez, directeur de recherche au CTNERHI (Centre technique national d'études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations) (1). Cette évolution dans la perception du handicap va de pair avec une conception différente de la vie en institution. Celle-ci ne peut plus être opposée à la vie en milieu ordinaire, ni dans le statut des personnes accueillies, ni dans les conditions de vie proposées. « La vie en institution doit répondre aux besoins de la personne tels qu'ils peuvent être appréhendés avec elle dans le cadre d'une évaluation individualisée et contextualisée dans le temps. Il peut s'agir, en effet, d'un choix à un moment donné qui peut être revu par la suite en fonction de l'évolution toujours possible d'une multiplicité de paramètres individuels, institutionnels et sociaux », souligne Jésus Sanchez.

Conséquence : dans une injonction générale à moduler les accompagnements en fonction de la trajectoire de vie d'une personne handicapée, les solutions du tout-établissement ou du tout-domicile apparaissent comme des stéréotypes inappropriés. « Nous devons au contraire aller vers un accompagnement personnalisé et équilibré, qui permette à la personne d'emprunter des passerelles entre vie en établissement et vie autonome », assure Joëlle Marzio, vice-présidente du conseil général de Saône-et-Loire chargée des personnes handicapées.

Preuve de la rapide évolution du débat, pour Pascal Sologny, directeur de la résidence Icare, à Chevigy-Saint-Sauveur (Côte-d'Or), un établissement spécialisé dans le handicap mental, il n'existe aucune « opposition » entre établissement spécialisé et maintien à domicile, mais plutôt une « dialectique » entre deux solutions complémentaires : « L'établissement spécialisé, c'est le risque de l'enfermement, c'est aussi la chance et l'opportunité d'un étayage psychique fondamental dans un cadre sécurisant. Le maintien en appartement, c'est la chance d'une vie libre et autonome, c'est aussi le risque d'une vie de solitude, de misère psychique et d'abandon. » Selon ce directeur, la notion nouvelle de projet de vie, dont se saisissent les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), doit être une opportunité pour considérer que le parcours n'est pas linéaire. Dans le cas des personnes handicapées mentales en particulier, des allers et retours doivent pouvoir exister entre les dispositifs institutionnels et une vie en appartement autonome. « S'impose alors, dans l'entre-deux et dans la durée, la nécessité du lien qui place les services d'accompagnement à la vie sociale en première ligne. Et là, il ne s'agit pas de raisonner en termes de «prestations», mais de relations humaines avec une aide à l'inscription sociale et culturelle de la personne dans la société. Ce qui renvoie à l'éthique du travail social », assure Pascal Sologny.

Une philosophie que traduit Emile Brunel, directeur général de l'association Les Papillons blancs du bassin minier de Blanzy (Saône-et-Loire), en invoquant la fin « du prêt-à-porter » éducatif et l'avènement de « l'ère du sur mesure ». « Il n'est pas indispensable d'avoir une autonomie totale dans tous les domaines pour vivre ou travailler ou aller à l'école en milieu ordinaire, mais simplement d'avoir les aides adaptées », explique-t-il. Fonctionnant selon une logique de création ou d'adaptation de ses structures au fur et à mesure de l'évolution des besoins des personnes handicapées, l'association Les Papillons blancs, dans les solutions qu'elle déploie, pose la personne comme « actrice de son propre projet » et vise sa sortie vers le milieu ordinaire, « chaque fois que possible et sans intégration sauvage ». Avec cette approche, qui rend nécessaires les complémentarités avec les secteurs psychiatrique ou pédopsychiatrique, l'Education nationale, l'aide sociale à l'enfance, les associations tutélaires et les familles, l'association a interrogé le modèle de l'institution fermée bien avant la loi du 11 février 2005. « Si le principe de l'établissement reste la bonne réponse pour bon nombre de personnes handicapées, il lui faut évoluer, certifie Emile Brunel. L'établissement doit devenir un véritable plateau technique, la base arrière du dispositif. Mais l'accompagnement individuel trouve ses réponses dans des structures et services alternatifs, au fonctionnement souple, adaptable, évolutif et aux actions sinon complémentaires, en tout cas convergentes. »

Les logiques de partenariat qui se déploient entre des secteurs aussi divers que l'éducation, l'aide et l'accompagnement à domicile, voire le soin, posent cependant le problème de la complexité de la gestion et de la lisibilité des actions par-delà les cloisonnements. « Autrefois, une structure spécialisée pouvait fort bien assumer seule la «prise en charge globale» de ses usagers dans le respect de la réglementation. Désormais, les textes obligent les établissements à tisser des liens avec leur en-vironnement. C'en est bien fini des approches monolithiques », défend Bernard Galy, directeur de l'institut Eugène-Journet, à Buxy (Saône-et-Loire), un établissement regroupant un institut éducatif, thérapeutique et pédagogique (ITEP) et un institut médico-éducatif.

« Notre métier est de coordonner »

Le parcours de Clément, un enfant handicapé de 13 ans, pris en charge à l'ITEP Eugène-Journet, incarne cette nouvelle donne. Souffrant de troubles psychiques sévères, ce jeune est d'abord scolarisé en classe d'intégration scolaire, avant d'entrer à l'institut à l'âge de 12 ans. Un dispositif spécifique mis en place depuis 2006 lui permet d'être accompagné par une équipe d'éducateurs spécialisés dans son parcours de vie et sa scolarisation. Bénéficiant d'une prise en charge alternée entre le service de pédopsychiatrie d'un hôpital et l'institut Eugène-Journet, Clément effectue une partie de sa scolarité dans une classe de l'ITEP. Il se rend trois demi-journées par semaine dans l'unité pédagogique d'intégration ouverte au sein d'un collège voisin, avec la perspective d'incorporer une section d'enseignement général et professionnel adapté où ses études se poursuivront dans un contexte ordinaire. Lorsqu'il sera plus âgé, il pourra s'appuyer sur le pôle d'insertion local, qui suit les pensionnaires de l'ITEP, pour recevoir une formation professionnelle qualifiante. « L'objectif est de préparer ces jeunes à la sortie de l'établissement en travaillant avec eux sur l'amélioration de leurs relations aux autres et à l'environnement. Pour certains, la seule perspective était l'hôpital psychiatrique. C'est un grand progrès pour les familles de voir leurs enfants pris en charge en institution et guidés vers le monde extérieur », assure Rose-Marie Balmes, chef de service à l'ITEP. Bernard Galy est catégorique : « Notre métier est de coordonner tout cela. Ce sont les complémentarités entre tous les services qui permettent aux jeunes d'aller le plus loin possible en fonction de leurs propres possibilités. ». Même si ce directeur ne nie pas les difficultés qu'implique un tel travail de décloisonnement des pratiques.

De nombreux gestionnaires déclarent d'ailleurs se heurter à l'absence de cadre et de procédures clairement établies. D'autant que les réponses à destination des personnes handicapées se multiplient, initiées souvent par le secteur hospitalier ou l'Education nationale et sortant du périmètre social et médico-social contrôlé par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Dans quelle case du dispositif géré par les MDPH classer par exemple le réseau national Comète France, qui se préoccupe depuis une quinzaine d'années de la réinsertion dans l'emploi de personnes victimes de handicaps lourds à la suite d'accidents ? Dès leur hospitalisation, une équipe pluridisciplinaire - composée d'un médecin, d'une assistante sociale et d'un ergonome - intervient pour peaufiner avec les patients leur projet de vie post-hospitalisation. Elle étudie et coordonne les aménagement de logement, de transport, le retour à l'emploi avec les modifications de postes de travail nécessaires. Le suivi technique et social peut se prolonger au domicile de la personne pendant une année. Les résultats de cette « démarche précoce d'insertion » sont spectaculaires : sur les 4 000 personnes suivies chaque année par les 28 services de réadaptation membres du réseau Comète, 75 % retrouvent une activité professionnelle, contre 25 % dans les établissements ordinaires.

Né du secteur sanitaire, Comète ne reçoit toujours pas de financement pérenne au bout de 15 années d'existence. Ses équipes sont financées à 55 % par la dotation globale des établissements hospitaliers dans lesquels elles interviennent, le reste se répartissant entre les fonds propres de l'Agefiph (10 %) et le Fonds social européen (35 %). Pourtant, Pascale Stephan, membre du comité technique national du réseau Comète et responsable d'un service de réadaptation et d'insertion sociale et professionnelle, l'affirme : « Toutes les évolutions médicales, techniques, d'action sociale, font que la maison départementale des personnes handicapées aura à se préoccuper de manière systématique de la question de l'emploi dans le projet de vie. »

A Grenoble (Isère), le lycée-collège à l'hôpital et à domicile (LCHD) réalise depuis 1991 une jonction hôpital-domicile-Education nationale. Partant du constat que le dispositif de scolarisation prévu à l'hôpital pour les enfants soignés en long séjour ne concerne que le primaire, le LCHD offre une prise en charge scolaire aux collégiens et lycéens en situation de handicap, très nombreux dans les services. Chaque élève bénéficie d'un programme personnalisé établi en fonction de son état, de son niveau, et de ses projets, selon un protocole mis en place par l'équipe médicale et par un professeur coordonnateur nommé par le recteur d'académie. A la sortie de l'hôpital, ce programme suit l'élève à domicile, mais peut aussi être dispensé dans une classe passerelle en milieu ordinaire. « Pour ces jeunes en situation de handicap, l'école représente l'avenir », défend Laurence Thabaret, professeure et fondatrice du LCHD. Néanmoins, dans les quatre hôpitaux partenaires du dispositif, la moitié des cours sont prodigués à des adolescents handicapés hospitalisés en psychiatrie, ce qui pose, dès leur retour chez eux, la question de la cohésion des aides au domicile. D'où l'espoir que Laurence Thabaret place dans la prestation de compensation du handicap (PCH) : « Dans la mesure où la réussite du projet tient à la bonne concertation de tous les acteurs, le plan qui accompa-gne la nouvelle prestation devrait permettre d'améliorer cette coordination hôpital-domicile, qui reste encore difficile. »

Reste à agglomérer ces dispositifs de provenance si différente, qui s'entrecroisent désormais autour de la personne handicapée. « La loi de 2005 a contribué à créer une dynamique d'évolution et de modification des représentations qui ne sera irréversible que dans la mesure où les moyens accompagneront la transformation sociétale initiée. Il y aura donc un décalage à combler entre les structures et les dispositifs existants et les réponses nouvelles aux besoins sociaux des personnes de l'enfance à l'âge adulte », reconnaît Jean-Michel Charles, représentant la Fédération des Pupilles de l'enseignement public au CNCPH (Comité national consultatif des personnes handicapées). Selon ce représentant, cette mise en cohérence passe par le respect d'un certain nombre d'impératifs. A commencer par « un pilotage fort de la part de l'Etat garantissant l'accès de tous aux droits fondamentaux ». Il juge également nécessaire de réaffirmer le rôle essentiel des MDPH dans « la prise en compte de proximité des besoins de la personne, dont le projet de vie est au centre de tout dispositif ». Enfin, le CNCPH souhaite avoir la « garantie » que l'accompagnement des personnes comme la gestion des services « ne saurait entrer » dans le secteur de l'économie concurrentielle à but lucratif. « Seules les associations se rattachant au secteur de l'économie sociale peuvent apporter une valeur ajoutée professionnelle et éthique », insiste Jean-Michel Charles.

Sans compter que le maintien d'une cohésion autour de la personne handicapée n'est pas seul en cause. La question de l'évaluation du coût de prestations de plus en plus complexes se pose elle aussi avec une grande acuité, tant en termes de dotation annuelle, de prix de journée, que d'actes (voir encadré ci-contre). « Nous sommes à l'aube d'une ère nouvelle, qui prendra du temps. En 2010, nous aurons à relever le défi de la suppression de la barrière des 60 ans, qui conditionne le financement des aides apportées aux personnes. Ce qui devrait conduire à une politique plus globale, plus cohérente, qui obligera à se pencher sur la convergence tarifaire », assure Jocelyne Wrobel, présidente de l'Uriopss Bourgogne.

Pour l'heure, les besoins sont clairement identifiés. Parmi les propositions du CTNERHI pour favoriser les réponses aux exigences de la loi de 2005 : « faciliter sur le plan administratif le passage éventuel d'une structure à une autre et revoir le statut financier des personnes hébergées ». Ce que Daniel Revenu, responsable du pôle handicap à la Mutualité Française de Saône-et-Loire, résume autrement : « Les règles administratives sont encore très restrictives et la bonne volonté politique trop souvent barrée par des règlements nationaux, régionaux ou départementaux qui n'ont pas évolué en conséquence. »

Philippe Calmette : « La PCH en établissement doit couvrir les besoins des usagers »

« Un enjeu à relever pour chaque personne handicapée », c'est ainsi que pourrait se résumer la philosophie du traitement du handicap qui anime la loi du 11 février 2005. Aussi consensuel soit ce principe, il n'est pas sans poser la question de sa traduction concrète dans les établissements et services, notamment à travers la solvabilisation d'actions impliquant l'organisation de passerelles entre domicile et établissement, entre enfance et âge adulte, et plus globalement entre acteurs issus de secteurs très divers. D'où la croisade qu'entame la Fegapei (Fédération nationale des associations de parents et amis employeurs et gestionnaires d'établissements et services pour personnes handicapées mentales) pour faire reconnaître la nécessité d'un autre mode de financement du handicap en institution. « Aujourd'hui, rien n'est plus éloigné de la notion de projet de vie en établissement que l'organisation du financement des politiques du handicap », explique Philippe Calmette, son directeur général. Pour cette fédération, qui regroupe plus de 3 200 établissements, « le financement par dotation globale ou à la journée ne permet pas aux établissements ou aux services de prendre en compte les besoins d'accompagnement de chaque personne handicapée ». Cette situation conduit par exemple nombre de structures sous dotation globale à refuser d'accueillir des personnes trop lourdement handicapées, voire, pour celles financées à la journée, à garder le plus longtemps possible leurs usagers quand des solutions extérieures pourraient s'offrir

à elles. « Si la loi place la personne au centre du système, il convient maintenant de franchir le gué et d'accepter de financer les structures en fonction des actes qu'elles délivrent effectivement aux personnes accueillies », explique Philippe Calmette.

La solution préconisée par la Fegapei est une couverture des besoins des usagers des établissements par la prestation de compensation du handicap (PCH), « ce qui suppose que la nomenclature d'actes et de tarifs à domicile soit élargie aux prestations assurées dans les institutions » (2), explique Philippe Calmette. L'étape de l'évaluation sociale et médico-sociale de la personne permettrait alors d'identifier l'ensemble des réponses en termes de compensation du handicap supportées par la PCH, de la simple mise en place d'un accompagnement à l'emploi jusqu'à la prise en charge lourde d'un polyhandicapé.

Estimant ce processus « inéluctable », à l'image de la tarification à l'acte du sanitaire, la Fegapei qualifie de « juste » ce système, « tant pour la personne handicapée qui voit son accompagnement solvabilisé, que pour le gestionnaire qui l'accompagne »

Dans un rapport à paraître dans le courant du second semestre 2007, la Fegapei entend illustrer sa position. Elle dressera à cette occasion un bilan de l'application des droits d'une personne handicapée dépendante, « en fonction des étapes de la vie », et proposera des solutions pour permettre leur effectivité. 

Notes

(1) Lors du colloque « Les complémentarités domicile/établissements : quelles réponses au projet de vie des personnes en situation de handicap ? », organisé le 3 avril 2007 à Mâcon par le conseil général de Saône-et-Loire - Pôle personnes âgées/personnes handicapées : Espace Duhesme - 18, rue de Flacé - 71026 Mâcon cedex 9 - Tél. 03 85 39 57 36.

(2) Le décret du 5 février 2007 et les arrêtés du 19 février 2007 sur la PCH en établissement ne comportent pas d'extension de nomenclature. En terme d'actes, la PCH en établissement ne couvre en réalité que les frais nécessaires aux allers et retours de la personne handicapée entre son domicile et l'institution (transport, aides technique et humaines), ainsi que le coût des aides techniques non pris en charge par l'établissement - Voir ASH n° 2493 du 9-02-07, p. 7.

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