Pour réaliser le bilan qui doit être présenté au Parlement tous les deux ans sur l'application de la loi relative à la lutte contre les exclusions de 1998, la quatrième mission d'évaluation a décidé, cette fois, de braquer le phare sur les « angles morts » des précédentes analyses (1). C'est ainsi qu'elle s'est intéressée à l'éducation, à la lutte contre l'illettrisme ainsi qu'à l'accès à la culture, aux sports et aux loisirs - autant de domaines où les résultats « restent modestes » (2).
« Les efforts de l'Education nationale pour rompre les liens entre l'exclusion sociale et l'exclusion scolaire n'obtiennent pas encore des résultats suffisamment tangibles », juge ainsi le rapport. Les dispositions de la loi de 1998, pourtant « modestes » en la matière, n'ont été « que très partiellement appliquées [...] faute d'instructions précises et d'un pilotage approprié ». Il en va ainsi, par exemple, pour le principe de non-discrimination des élèves en fonction des ressources des parents pour les activités périscolaires et pour l'utilisation des fonds sociaux. Certes, l'Education nationale est censée se mobiliser contre l'exclusion au travers d'autres outils que ceux prévus dans cette loi, notamment les zones d'éducation prioritaire, mais « aucune évaluation n'a véritablement démontré l'éventuel lien entre les moyens octroyés et les résultats constatés ». Les dispositifs d'accompagnement sont insuffisants, divers et pas assez centrés sur le soutien aux apprentissages de base pour les élèves en difficulté. Enfin, on continue d'affecter les enseignants sans expérience (et parfois sans formation aucune) aux zones sensibles. Au total, « l'école continue de reproduire de l'inégalité sociale, voire de l'exclusion ».
Le rapport préconise donc une série de mesures pour accentuer le caractère discriminant de l'éducation prioritaire, redéfinir des priorités en matière d'accompagnement à la scolarité, mieux articuler les aides financières aux familles et réaffirmer le rôle des établissements scolaires dans la lutte contre l'exclusion.
« La lutte contre l'illettrisme n'est pas devenue une priorité nationale », déplore également la mission. Elle supposait, selon la loi, une mobilisation de tous les acteurs. Or elle est « essentiellement portée par l'Etat, avec une organisation très perfectible et une conviction encore insuffisante ». Avec une « équipe réduite » (de 12 personnes), l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI) a impulsé « une stratégie commune à toutes les administrations de l'Etat au plan national » mais n'a pas encore réussi à mobiliser les collectivités territoriales : seules cinq régions ont cosigné un plan d'action. Les actions recensées sont, pour l'essentiel, assurées par des organismes divers, souvent des associations, mais leur professionnalisation « est à peine amorcée ». Le partage des responsabilités entre l'Etat et les collectivités territoriales « est tout sauf clair ». L'effort de l'Etat lui-même n'est pas à la hauteur des enjeux : seules 60 000 personnes sont formées chaque année sur plus de trois millions d'adultes concernés (voir ci-contre). Il faut donc « changer d'échelle », et apporter une « réponse massive » à un « problème de grande ampleur ».
Les recommandations sont donc nombreuses. Les plans d'action régionaux doivent être généralisés et validés par l'ANLCI pour « garantir leur réalisme et leur professionnalisme ». Il faudrait créer des postes d'orthophonistes dans les services de protection maternelle et infantile et de santé scolaire, et installer des plateformes de bilan-diagnostic pour les adultes dans chaque région. La qualité de l'offre doit être améliorée avec un référentiel de formation commun, le réexamen « de la question de la rémunération des formations » et la relance de l'intervention des GRETA (groupements d'établissements de l'Education nationale pour la formation continue) dans les zones les plus touchées. Un plan volontariste de formations doit être lancé, avec une dotation supplémentaire de 30,8 millions d'euros. Enfin, les responsabilités doivent être « clarifiées ». La mission propose de maintenir à moyen terme (cinq ou six ans) la compétence de l'Etat et de dresser ensuite un bilan, quitte à opter alors pour une décentralisation de la lutte contre l'illettrisme aux régions.
Comme dans les précédents rapports, la mission appelle à un renforcement du pilotage par l'Etat. Celui-ci doit prendre appui sur une « démarche de performance », qui définit d'abord des objectifs à atteindre (baisse du taux d'illettrés) et en déduit les moyens à mettre en oeuvre et les indicateurs de suivi. Il doit aussi mieux associer les publics concernés, en allant vers eux, en appréciant mieux les obstacles à leur implication, en introduisant une clause de participation dans les conventions passées avec les intervenants subventionnés ou encore en faisant place aux associations dans les instances de concertation, sous réserve qu'elles-mêmes fassent participer à leurs travaux les personnes défavorisées.
(1) Trois enquêtes de l'inspection générale des affaires sociales ont été réalisées en 2000, 2002, 2004. Sur la dernière, voir ASH n° 2359 du 14-05-04, p. 5.
(2) Evaluation de l'application et de l'impact de la loi d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions - Rapport présenté par Danielle Vilchien et Cédric Puydebois, de l'inspection générale des affaires sociales, et par Gérard Lesage, de l'inspection générale de l'administration de l'Education nationale et de la recherche - A paraître sur les sites des deux ministères.