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Protection de l'enfance : « commencer par le respect »

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Les familles ne sont pas suffisamment associées aux décisions prises par les institutions sociales et judiciaires en matière de protection de l'enfance, ni assez accompagnées dans leur mise en oeuvre. C'est ce que déplore, rebondissant sur un fait divers récent, Pierre Verdier, avocat au barreau de Paris, ancien directeur de DDASS, ancien directeur général d'une fondation de protection de l'enfance et parrain de l'association Le fil d'Ariane-France (1).

« Personne ne saurait justifier le geste de la mère de famille qui a poignardé le 5 juin dernier un juge des enfants à Metz. Nous sommes tous solidaires de ce magistrat. Et personne n'est à l'abri de telles violences. Mais il faut cependant comprendre cet acte. Si on s'interdit de le faire, on se condamne à le voir se renouveler.

Alors pourquoi ? Le geste de cette mère est un acte désespéré. Non seulement meurtrier, mais suicidaire. Il ne lui rendra pas son fils. C'est une réponse inadaptée à trop de souffrance et à la violence exercée par l'institution sociale et judiciaire. Le retrait d'enfant est une violence insupportable. Violence justifiée parfois, mais qui doit être strictement proportionnée au danger présenté par la situation. Voir son enfant retiré à la maternité dès la naissance ou emmené par la police à la sortie de l'école, sans savoir pourquoi, vers où et jusqu'à quand, est une violence. Et cela existe encore. Le début de la morale, c'est voir l'autre comme un autre soi-même et ne pas accepter pour autrui ce qu'on n'accepterait pas pour soi.

Et pourtant les violences des familles sont, heureusement, rares. Ou alors retournées contre soi, dans le suicide, l'abandon, la dépression ou l'alcool, ce qui fait dire après coup qu'on avait bien raison de retirer cet enfant à de tels parents.

Que faire ?

Commencer par respecter les enfants et les familles. Croire en leurs potentialités. Ne pas les disqualifier.

Chacun va dire : «c'est évident !» Et pourtant, ne considère-t-on pas facilement les familles comme de «mauvais parents» ? Pourquoi ne les consulte-t-on pas pour élaborer un schéma départemental de protection de l'enfance ? On pense que ce n'est pas possible, qu'ils ne savent pas s'exprimer, qu'ils sont incapables. Autrefois, on disait «déchus».

Les récentes lois développent la méfiance, les contrôles, la surveillance, le dépistage. Même le contrat de responsabilité parentale est analysé comme «un élément supplémentaire permettant à nos services de 'rentrer' dans les familles» (2).

Beaucoup de familles nous disent combien le jugement leur paraît inégalitaire. Elles peuvent dire n'importe quoi chez le juge, leur parole n'a aucun poids au regard des rapports sociaux. Il arrive que le juge reçoive le travailleur social dans son bureau avant de recevoir la famille, au mépris de tout contradictoire. Qu'on ne me dise pas que c'est faux : je l'ai vu.

Pas de justice sans débat contradictoire (3)

Voyage en protection de l'enfance(4)«dans les pays comme l'Italie ou la France l'intervention de la justice est avant tout conçue comme un moyen de rendre possible l'action des professionnels auprès de la famille et de l'enfant lorsque les parents s'y opposent. En France, par exemple, les travailleurs sociaux considèrent souvent le recours au judiciaire comme un appui dans leur travail.»

Or il n'y a pas de justice sans débat contradictoire. Cela suppose non seulement un accès au dossier, possible - avec des restrictions - depuis 2002, mais aussi la communication. Le principe du débat contradictoire voudrait, et nous le demandons, que les rapports sociaux soient envoyés aux familles au moins 15 jours avant l'audience. Cela leur permettrait de lire et de relire, de mieux comprendre, de prendre conseil et d'apporter leurs arguments. Cela entraînerait aussi un effort de clarté et d'objectivité dans l'écriture : on ne pourrait plus écrire n'importe quoi ! On ne pourrait plus se contenter de termes incantatoires et flous du style «amour fusionnel», «mère dans le déni», «dysfonctionnement parental»... Le nouveau code de procédure civile devrait être modifié en ce sens. Et cela mettrait la France en accord avec les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Les parents disqualifés

Ce qui conduit à des actes insensés, c'est l'absence d'espoir. Si retrait d'enfant il doit y avoir, ce que nous ne nions pas, cela doit s'inscrire dans un projet. Le rôle des avocats et des associations de parents, c'est de dire : «Voilà, votre enfant vous est retiré, mais on va faire en sorte que le plus vite possible vous soyez en mesure de le reprendre. Pour cela, vous allez suivre une thérapie, faire une cure de désintoxication, chercher un logement...» Or, le plus souvent, lorsque les enfants sont placés, les parents se retrouvent seuls, laissés de côté. Disqualifiés par rapport à leur entourage et abandonnés, sinon rejetés.

Ils ne bénéficient plus de soutien alors qu'il faudrait leur apporter une aide encore plus importante puisqu'ils sont en difficulté. La travailleuse familiale, par exemple, ne vient plus car les enfants sont placés. Comment imaginer un retour possible de l'enfant si aucune aide n'est apportée aux parents, si aucun travail n'est fait avec eux pour que la situation familiale évolue ? Cette situation ne tient pas seulement au manque de moyens, mais aussi et surtout au regard porté sur les parents. L'obligation faite au service d'aide sociale à l'enfance par la loi du 5 mars 2007 de construire systématiquement un «projet pour l'enfant» peut être un instrument utile à cet égard.

Certains services sociaux disent : «On fait tout ce qu'on peut pour mobiliser les parents, mais ils ne viennent pas !» Mais c'est celui qui a le pouvoir qui doit faire le premier pas vers celui qui est en difficulté. Ce n'est pas celui qui est dans l'humiliation et la honte qui peut le faire. C'est la condition pour travailler ensemble. Faire alliance.

Les portiques de sécurité aux entrées des tribunaux sont bien sûr nécessaires. Mais ils n'empêchent pas la souffrance, ils n'évitent pas le désespoir et donc n'arrêtent pas la possible violence. Ce qui est urgent, c'est une plus grande attention portée à l'autre et un plus grand respect de sa personne. »

Notes

(1) Qui rassemble des parents d'enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance.

(2) Louis de Broissia - « La réforme de la protection de l'enfance » - Actualité Juri-dique Famille n° 2/2007 - Février 2007.

(3) Voir ASH n° 2502 du 6-04-07, p. 21 et n° 2505 du 27-04-07, p. 17.

(4) Ed. CNFE-PJJ - Avril 2001 - Voir ASH n° 2231 du 5-10-01, p. 41.

TRIBUNE LIBRE

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