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Un tremplin pour rebondir vers le milieu ordinaire

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Depuis plus de 15 ans, l'établissement et service d'aide par le travail Isatis, dans l'Isère, accueille de jeunes adultes déficients intellectuels pour une durée de deux ans. Un temps limité destiné à mobiliser leur énergie autour d'un parcours personnalisé d'intégration afin de les préparer à la vie active.

Pour Morgane Goncalvez, 19 ans, plus tard ce sera la restauration. Nadia Jendoubi aimerait travailler auprès des animaux et faire du toilettage. Amandine Piolat est en train de passer son permis de conduire et veut se diriger vers la floriculture... Comme la cinquantaine d'autres jeunes déficients intellectuels légers ou moyens accueillis à Isatis (Inter-structure d'aide au travail et à l'intégration sociale) (1), ces jeunes filles savent qu'elles ont deux ans pour tenter de réussir leur insertion dans un milieu de travail ordinaire.

Eviter la sédentarisation

Créé à Villefontaine (Isère) en 1992, cet établissement et service d'aide par le travail (ESAT), situé entre Grenoble et Lyon, fonctionne comme un tremplin permettant aux personnes de rebondir vers le milieu ordinaire. « Le fondateur d'Isatis avait estimé à l'époque que deux années constituaient une durée suffisante pour apporter davantage de maturité aux jeunes et les habituer aux réalités du milieu ordinaire de travail, tout en évitant les travers d'une sédentarisation au niveau de l'ESAT. Lorsque le séjour dans l'établissement dure trop longtemps, les personnes ont tendance à s'installer dans des habitudes et l'insertion dans l'entreprise devient difficile », explique Sophie Moulin, chargée d'insertion à Isatis.

L'équipe de professionnels, qu'ils soient chargés de la formation, de la production en atelier, de l'insertion ou de l'hébergement en foyer, table donc sur cette limitation dans le temps et sur l'énergie d'un public dont la moyenne d'âge ne dépasse pas 23 ans pour le préparer au mieux à affronter les exigences de la vie professionnelle et sociale. « On entend parfois dire que tel ou tel jeune handicapé est incapable de s'insérer. Ce n'est pas vrai, en réalité on les a habitués à être pris en charge. Ici, nous sommes toujours dans l'expérience et l'accompagnement personnalisé », assure François Galatioto, directeur d'Isatis. Orientés par la maison départementale des personnes handicapées, les jeunes adultes passent un entretien d'admission avant d'entamer un parcours assez intensif destiné à les orienter vers la vie active. Compte tenu du délai de deux ans, le travail en atelier a été organisé autour d'activités plus rapides à assimiler, comme la manutention, l'entretien ou la restauration collective, et qui permettent par la suite de développer des compétences transversales. « L'objectif n'est pas de les former à un métier, mais de leur donner des habitudes de travail et de la maturité pour pouvoir les envoyer en entreprise », explique Sophie Moulin. Seule exception, l'apprentissage des métiers liés aux espaces verts pour lequel les quelques jeunes adultes concernés disposent de trois ans.

Parallèlement à cette activité en atelier, un important travail de formation est engagé durant la première année pour combler les manques, tant dans le domaine du savoir-faire que dans celui du savoir-être, et préparer la phase suivante d'insertion. Depuis 2000, la formatrice, Christine Roccy, élabore avec chacun des usagers un programme personnalisé de formation d'environ 200 heures. Sont abordées les questions touchant à l'insertion professionnelle, avec des modules sur la connaissance de l'entreprise et des comportements professionnels, les techniques liées au projet professionnel (faire un CV, passer un entretien d'embauche, etc.) ou encore sur l'acquisition de l'autonomie, pour pouvoir se déplacer en transport en commun, par exemple. Il s'agit aussi de revoir les acquis scolaires, de favoriser l'intégration sociale (règles d'hygiène, codes sociaux...) et de développer l'aisance personnelle de chacun à travers des modules de communication orale et écrite ou des connaissances culturelles et artistiques.

Ce travail de formation permet également de maintenir la dynamique enclenchée lors de l'arrivée des jeunes. « Nous sommes là pour les amener à réfléchir à un projet et, dès la fin de la première année, on commence à travailler en lien avec le pôle chargé de l'insertion sur les départs en stage et la recherche d'emploi », souligne Christine Roccy. C'est alors au tour de la chargée d'insertion de prendre le relais et de commencer à définir avec les jeunes un projet en entreprise. Preuve de la priorité donnée à l'intégration des jeunes dans la vie active, l'établissement a intégré ce poste dès sa création, en 1992. « Lorsque je suis arrivée à Isatis, on m'a expliqué que le chargé d'insertion était à l'articulation des différents services, afin qu'il ne puisse se voir opposer les réticences des responsables d'atelier souvent peu enclins à laisser partir quelqu'un de performant. Ici, les exigences de productivité de l'ESAT cèdent le pas devant les objectifs de sortie des usagers en milieu ordinaire », insiste Sophie Moulin. Pour les jeunes qui remplissent les conditions, la seconde année est consacrée à cette préparation à l'emploi, via des stages en entreprise ou encore des détachements individuels.

Si les jeunes déficients intellectuels n'échappent pas aux difficultés liées au marché du travail (développement des emplois précaires et des temps partiels, demande de salariés de plus en plus mobiles, etc.), les chiffres sont là. Avec un taux moyen d'insertion en milieu ordinaire de travail de plus de 40 % depuis sa création, Isatis affiche des résultats très supérieurs à ceux généralement enregistrés dans les ESAT (dont la moyenne nationale de sortie est de 1 %). En outre, depuis 1992, environ 70 % des personnes intégrées en milieu ordinaire sont toujours en emploi. Pour autant, les responsables refusent de considérer les 60 % de réorientations restantes, pour la plupart vers d'autres établissements (des ESAT en majorité), comme des échecs. « Dès leur arrivée, je prépare les jeunes à cette éventualité. Mais je leur explique également qu'au-delà de cette intégration professionnelle, l'objectif principal de leur passage ici est de les aider à grandir, à découvrir ce dont ils sont capables pour pouvoir être là où ils se sentiront le mieux », précise François Galatioto. Grâce aux stages effectués, Amandine Piolat a ainsi réalisé que le rythme exigé en milieu ordinaire était trop rapide pour elle et a décidé d'aller dans un autre ESAT pour poursuivre sa formation en floriculture. Elle explique « être aujourd'hui beaucoup moins timide qu'avant » et s'apprête à louer un appartement.

Cette insertion sociale est préparée par l'équipe en charge du foyer avec le même esprit d'accompagnement dynamique et de confrontation aux réalités du milieu ordinaire. « On part de l'idée que l'insertion sociale est indissociable de l'insertion professionnelle. L'étude que nous avons réalisée en décembre 2004 a d'ailleurs montré que ceux qui tenaient le plus dans l'emploi étaient ceux qui étaient passés par le foyer », précise Olivier Bonte, chef du service éducatif et responsable du foyer. Au sein d'appartements traditionnels implantés dans le centre ville, 22 jeunes adultes suivent un parcours vers l'autonomie qui commence par un séjour de six mois dans un appartement collectif (appelé « unité d'accueil et d'apprentissage ») où ils bénéficient de la présence permanente d'un éducateur pour acquérir les bases de l'autonomie dans les actes de la vie quotidienne. Ils passent ensuite dans un nouvel appartement collectif (« unité d'accès à l'autonomie ») où l'éducateur est moins présent et l'apprentissage de l'autonomie élargi à d'autres problématiques telles que la gestion d'un budget ou les démarches administratives. La dernière étape, explique Olivier Bonte, consiste à intégrer un des quatre studios dans lesquels « les jeunes peuvent passer de l'autonomie, c'est-à-dire pouvoir se débrouiller seuls, à l'indépendance qui signifie pouvoir vivre seul ». Grâce aux changements successifs de lieux, d'adresses administratives et d'éducateurs, cet itinéraire prépare les jeunes adultes à mieux affronter les réalités d'un milieu non protégé. Aujourd'hui, affirment les responsables, 90 % des personnes qui achèvent ce parcours sont autonomes. Reste que le choix d'Isatis de ne pas fonctionner comme un foyer classique génère des surcoûts liés à la gestion d'appartements, au renouvellement du matériel et à l'entretien des lieux. Des surcoûts difficiles à faire reconnaître par le conseil général qui finance l'hébergement.

Par ailleurs, le système nécessite une bonne coordination entre les différents pôles : « Si la chargée d'insertion a une proposition de travail pour quelqu'un, on va faire en sorte que cela corresponde avec sa sortie du foyer. Il faudra peut-être accélérer son apprentissage de l'autonomie ou voir avec la responsable de la formation comment renforcer certains acquis », souligne Olivier Bonte. Afin de garantir la cohérence des parcours, les responsables ont institué une réunion bimensuelle regroupant les représentants des différents pôles, ainsi que la psychologue. Confrontés à un public de plus en plus jeune et immature, mais aussi à une forte augmentation des personnes souffrant de déficience psychique et présentant des troubles du comportement, les professionnels ont entrepris une formation pour revisiter leurs pratiques. Il s'agit notamment de doter les équipes d'un outil commun permettant de parler le même langage et de travailler sur les mêmes concepts pour pouvoir partager, par exemple, le processus de décision lors des procédures d'admission ou améliorer l'élaboration des diagnostics.

Mais ces perspectives ne doivent pas dissimuler les difficultés croissantes qu'éprouvent les responsables à faire prendre en compte la particularité de leur fonctionnement par les financeurs (voir encadré ci-contre) et leurs craintes d'une uniformisation de l'offre de prestation. Ainsi, déplore François Galatioto, en reconnaissant aux ESAT que la formation faisait partie intégrante de leurs missions, la loi « handicap » du 11 février 2005 remet en cause le financement du poste de formatrice. Cofinanceur de l'action de formation, avec la direction départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et le conseil régional, l'Agefiph a en effet décidé de se désengager. Elle a accepté de payer 50 % de sa contribution en 2006 mais ne finance plus la formation depuis janvier 2007. Sollicitée, la DDASS a refusé de pérenniser le poste de formation sur le budget prévisionnel 2007. Une solution pourrait être trouvée pour 2008 dans le cadre de la mise en place d'un contrat d'objectifs et de moyens pour les trois ESAT de l'association.

Une logique de résultats au détriment de la qualité ?

Le budget annuel de fonctionnement d'Isatis, qui emploie 27 salariés, s'élevait en 2006 à 1,2 million d'euros dont la plus grande part était consacrée à l'ESAT (590 000 € financés par la DDASS) et à l'hébergement (483 000 € à la charge du conseil général). Le pôle formation (financé en 2006 par l'Agefiph, la DDASS et le conseil régional) et le pôle insertion (pris en charge par l'Agefiph) disposaient chacun d'un budget de 66 000 € . Reste que l'Agefiph a revu ses modalités de financement des actions d'insertion. Depuis janvier 2006, elle n'accorde plus ses crédits sur la base du budget prévisionnel de fonctionnement présenté par l'ESAT, mais sur la base d'actions quantifiées : elle ne finance plus que l'accompagnement des détachements et des suivis en entreprise ou accorde une prime à l'insertion, après la signature des contrats en milieu ordinaire de travail. « Une logique de résultats qui peut prendre le dessus sur la qualité du placement si on n'y prend pas garde et met en danger le financement du poste de chargé d'insertion », regrette François Galatioto, directeur d'Isatis.

Notes

(1) Isatis : 6, avenue Benoît-Frachon - 38093 Villefontaine - Tél. 04 74 96 09 07.

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