La Fédération des employeurs est morte et bien morte. Intervenue le 13 juin (1), la dissolution de l'organisation qui rassemblait, côté patronal, les trois syndicats signataires de la convention collective du 15 mars 1966 - Fegapei, Snasea et SOP (2) - vient en effet « illustrer et traduire des désaccords anciens », estime Stéphane Racz, directeur général adjoint du Snasea. En ce sens, la récente proposition de la Fegapei de réorganiser le champ conventionnel par branches professionnelles homogènes - dont l'une serait centrée sur le handicap (3) - n'aurait été que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. « Il ne s'agit pas d'une crise, mais d'un aboutissement », confirme Jean-Luc Durnez, directeur général du SOP. En tout cas, ces deux partenaires qui ont mis fin à l'existence de la fédération ne nourrissent aucun remords. « La dissolution n'est pas une mesure de rétorsion, car nous aurions alors choisi la radiation, précise Stéphane Racz. C'est une décision symbolique et la conclusion logique du constat que la fédération ne jouait plus son rôle. Elle n'était plus qu'une simple cellule technique, pas un creuset d'où pouvaient sortir des propositions communes au collège des employeurs. Son existence avait même pour nous, SOP et Snasea qui «jouions le jeu», des effets pervers. En pensant que toutes les propositions devaient sortir de la fédération - alors que le troisième membre ne se privait pas de faire cavalier seul -, nous nous réduisions au silence, à l'invisibilité. » Même tonalité chez Jean-Luc Durnez : « Nous avons fait sauter un point de blocage. La dissolution nous rend notre liberté et va nous permettre d'être plus audacieux. »
Au contraire, la Fegapei « regrette » la dissolution, qu'elle juge « prématurée » et guère susceptible « d'arranger les choses ». « Certes, la fédération n'a pas été performante ces dernières années, précise Philippe Calmette, son directeur général, mais on ne détruit pas le seul outil dont on dispose avant d'avoir réorganisé le dispositif sur des bases claires. »
Dans les faits cependant, les trois organisations le reconnaissent, la dissolution de la fédération ne modifie pas grand chose. Selon ses statuts, les accords étaient signés par chacun des syndicats patronaux (les trois le plus souvent, deux parfois), pas par la fédération. Et comme les trois organisations sont décidées à se rendre à la séance de négociation de la CC 66 prévue le 10 juillet ( sur des points techniques) avec les syndicats de salariés, rien ne devrait changer, du moins dans l'immédiat.
« Nous pensons qu'il est nécessaire et possible de réformer cette convention et que ce souci est partagé par les organisations de salariés », professe Stéphane Racz. « La négociation va continuer, cette réunion est l'occasion de voir comment nous organiser, de définir les points à aborder et le calendrier », estime Jean-Luc Durnez.
Pour la Fegapei, il est urgent de réécrire une « convention à bout de souffle. Nos associations sont unanimes, explique Philippe Calmette : elles ne peuvent plus gérer les établissements avec un cadre aussi décalé par rapport à la réalité. Elles manquent de professionnels et, quand elles en trouvent, elles ne peuvent les recruter faute de pouvoir les payer... » La Fegapei dresse ainsi une longue liste, « non limitative », de sujets en souffrance : création d'un statut des délégués à la tutelle, évolution de celui des personnels des entreprises adaptées, amélio-ration des débuts de carrière (en réduisant le « poids énorme » de l'ancienneté), revalorisation de la rémunération des cadres dirigeants, évolution du métier des éducateurs spécialisés (avec un socle commun et des spécialisations), intégration des métiers médicaux, paramédicaux, de réadaptation, des handicaps sensoriels... Pour cela, l'organisation se déclare « bien décidée à jouer jusqu'au bout la carte de la rénovation de la CC 66 ». Elle se donne « cinq ou six mois pour voir », avec les autres syndicats d'employeurs mais aussi avec les organisations de salariés et les pouvoirs publics, si c'est possible.
Sinon, elle proposera aux syndicats de salariés un nouveau cadre de négociation, dans l'objectif d'aboutir à la création d'une convention collective propre au secteur du handicap (ou, plus largement, de la dépendance). « Clairement, ce n'est pas notre premier choix », répète Philippe Calmette.
Mais alors, pourquoi ce qui serait possible aujourd'hui ne l'a-t-il pas été plus tôt ? Qu'est-ce qui a empêché de rénover la CC 66 ces dernières années ? Au Snasea, on parle de « problèmes de lisibilité et de communication ». Au SOP, Jean-Luc Durnez voit deux motifs à l'impasse des négociations : « l'absence de positions communes aux employeurs, qui n'ont jamais pu s'entendre que sur des propositions a minima, et le corset imposé aux politiques salariales par les pouvoirs publics qui conduit les syndicats de salariés à se bloquer sur les droits acquis ». Pour lui, la solution pourrait se dessiner avec la liberté de proposition retrouvée des organisations d'employeurs et la détermination préalable d'une enveloppe claire par les pouvoirs publics, au sein de laquelle les partenaires sociaux pourraient négocier.
La Fegapei développe une autre analyse et met d'abord en cause le côté trop « multisecteurs, multimétiers » de la convention. « Cette transversalité a peut-être été un atout dans les années 60, quand les métiers étaient encore assez simples et les financements homogènes, mais elle est devenue un frein au fil des années, juge Philippe Calmette. Quand nous formulons une proposition adaptée au secteur du handicap, un autre syndicat d'employeurs la bloque parce qu'elle ne convient pas au secteur de l'insertion par exemple ou qu'il n'aura pas les moyens de l'assumer financièrement. On en reste au plus petit dénominateur commun. » D'où sa proposition réitérée d'adopter « des périmètres homogènes de négociation, recouvrant des métiers comparables, des financements qui répondent aux mêmes logiques et des réglementations spécifiques ». Avec des accords qui pourraient faire l'objet « d'annexes » séparées à la convention collective de 1966.
Autant de propositions rejetées, on le sait, par les deux autres syndicats qui défendent au contraire la transversalité des conventions. Pour la Fegapei, « le bon niveau de transversalité, c'est l'Unifed » pour l'ensemble de la BASS (branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale). Cette « maison commune » garderait la responsabilité de la formation professionnelle « qu'elle assume fort bien », assurerait la représentation institutionnelle et devrait pourvoir à la cohérence entre les secteurs professionnels (par exemple avec des accords assurant entre eux la transférabilité des droits acquis).
Cette question a été à peine abordée lors du comité directeur de l'Unifed tenu le 14 juin. La prochaine rencontre est fixée au 12 juillet. D'ici là, il est convenu que le président de la Fegapei, Pierre Matt, rencontre chacun de ses homologues des cinq autres organisations membres.
Dernière précision : le Snaless (4), évoquant « la situation nouvelle » créée par la dissolution de la Fédération des employeurs, réaffirme son « droit d'être présent dans les négociations » de la CC 66 (où le SOP et le Snasea ont refusé de le voir siéger bien qu'il y ait adhéré). Il réclame aussi d'être « associé à l'ensemble des composantes représentant les employeurs », à l'Unifed en particulier.
(2) Fédération nationale des associations de parents et amis employeurs et gestionnaires d'établissements et services pour personnes handicapées mentales : 7/9, rue de la Boétie - 75008 Paris - Tél. 01 43 12 19 19 ; Syndicat national au service des associations du secteur social et médico-social : 47, rue Eugène-Oudiné - 75013 Paris cedex 11 - Tél. 01 43 14 89 00 ; Syndicat général des organismes privés sanitaires et sociaux à but non lucratif : 11 bis, rue Eugène-Varlin - CS 60111 - 75468 Paris cedex 10 - Tél. 01 55 26 88 88.
(4) Syndicat national des associations laïques employeurs du secteur sanitaire, social, médico-éducatif et médico-social : 80, boulevard de Reuilly - 75012 Paris - Tél. 01 40 47 77 77.