« La question de la justice des mineurs mériterait, s'agissant d'un thème de société essentiel, un débat à la mesure de l'enjeu, accompagné d'une large concertation. » Et ce n'est pas, déplore l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), ce qui a présidé à l'élaboration du projet de loi « tendant à renforcer la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs », présenté en conseil des ministres le 13 juin dernier (1).
L'association regrette que, après la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, le droit applicable aux majeurs soit encore une fois transposé aux mineurs, contrairement aux engagements internationaux auxquels la France a souscrit. Or le statut spécifique des mineurs, rappelle l'AFMJF, est fondé sur un constat qui n'a pas varié avec l'évolution de la société : « Un adolescent, même âgé de 16 à 18 ans, demeure un individu en construction dont la personnalité est en cours de formation. » D'où la pertinence d'une procédure « souple et dérogatoire » instaurée par l'ordonnance du 2 février 1945.
Si la grande majorité des mineurs confrontés à la justice sont impliqués dans un délit ponctuel, ajoute l'association, « il n'est pas rare d'assister à une escalade des passages à l'acte pendant une période de crise, à laquelle succédera un apaisement aussi brusquement qu'était survenue la dégradation ». Une procédure trop rigide « au moindre faux pas » interdirait donc toute marge d'appréciation du juge, au détriment du jeune concerné et de l'intérêt général. Plutôt que de légiférer une énième foi sur la justice des mineurs, il serait plus urgent, estime-t-elle, d'allouer les moyens suffisants pour ordonner les mesures existantes et pour développer les expérimentations positives. De plus, « comment justifier une systématisation du recours à l'emprisonnement quand les effets criminogènes de la prison sont connus de tous ? »
Le Syndicat de la magistrature, comme l'Union syndicale des magistrats, dénonce lui aussi la « machine à créer de l'enfermement » que représente à ses yeux le projet de loi. Il regrette également que, « depuis de nombreuses années, les moyens donnés au secteur social et éducatif fondent comme neige au soleil, traduisant une volonté politique déterminée d'affecter tous les crédits au secteur carcéral ».
Ces critiques sont largement partagées par l'Observatoire international des prisons (OIP), qui rappelle que les travaux de chercheurs, en France comme en Europe, démontrent que le développement des alternatives à la détention et des aménagements de peine permettent « de meilleurs résultats en termes de lutte contre la récidive » et représentent « un moindre coût pour la collectivité ». Le durcissement de la politique pénale, craint-il, risque d'aggraver la situation déjà très dégradée des conditions de détention et d'inciter la prochaine législature à élargir un peu plus le parc pénitentiaire.
En interpellant ainsi le gouvernement sur les conséquences de son projet de loi, l'OIP relance le débat sur la nécessité d'une loi réformant le système carcéral. D'autant que l'ancien candidat Nicolas Sarkozy avait avancé des propositions en ce sens dans le cadre des « états généraux de la condition pénitentiaire », au début de l'année (2). « Une commission large et pluridisciplinaire peut procéder à la mise à plat des missions et du fonctionnement du système pénitentiaire », demande l'Union générale des syndicats pénitentiaires (UGSP)-CGT, désireuse elle aussi de rappeler au président de la République ses promesses.
Selon une interview accordée par la garde des Sceaux et parue dans Le Monde du 2 juin, le projet serait déjà bien avancé. Rachida Dati évoque un projet de loi pour l'automne, qui prévoirait également la création d'hôpitaux-prisons pour les détenus atteints de troubles psychiatriques. Une idée qui irrite l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP). Opposée aux « structures de relégation » telles que celles déjà suggérées dans le rapport de la commission Burgelin en 2005 (3) et celui de la commission des lois du Sénat en 2006 (4), elle défend une conception « intégrative du dispositif de soins en milieu pénitentiaire ». Un principe qui suppose le consentement du patient aux soins, la confidentialité des échanges et l'indépendance technique et statutaire des professionnels qui appartiennent au service public hospitalier. Encore faudrait-il que les moyens de la psychiatrie, en secteur comme en prison, soient à la hauteur des enjeux.