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Droit au logement opposable : « ne jouons pas aux apprentis sorciers »

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Le principe de continuité de la prise en charge des personnes sans abri, instauré par la loi sur le droit au logement opposable et précisé dans la foulée par une circulaire, apporte aux fondements du travail social des modifications dont l'ampleur n'a pas été mesurée. C'est la conviction de Stéphane Rullac (1), éducateur spécialisé, docteur en anthropologie et responsable de projet au centre de formation Buc Ressources, dans les Yvelines.

« Le 19 mars dernier, une circulaire de Catherine Vautrin, alors ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, a précisé le principe de continuité dans la prise en charge des personnes sans abri (2). Toutes les institutions du travail social qui assurent un hébergement à visée d'insertion (centre d'hébergement d'urgence ou centre d'hébergement et de réinsertion sociale [CHRS]) doivent proposer une prise en charge à durée indéterminée : désormais, il faut que «cesse toute notion de durée maximale de séjour dans les structures d'hébergement d'urgence, qu'il s'agisse de places dédiées dans des centres conventionnés ou de places dédiées dans des CHRS». La sortie du dispositif doit dorénavant, pour tous les usagers, être assortie de la proposition d'une solution de logement ou, à la rigueur, d'un hébergement à long terme, comme celui offert par les centres de stabilisation («Tant que cette orientation n'a pas eu lieu, la personne concernée doit pouvoir rester hébergée dans le même centre d'accueil, dans le même lit»). Sauf en cas de manquement de l'individu pris en charge («La structure n'est affranchie de cette exigence que si la personne décide de son plein gré de [la] quitter ou ne s'y présente pas pendant une période fixée par [son] règlement intérieur, refuse l'entretien, adopte des comportements dangereux envers les personnes accueillies ou le personnel»).

Cette nouvelle donne est étroitement liée à l'adoption de la loi du 5 mars dernier instituant le droit au logement opposable (3), qui consacre la possibilité pour une personne mal logée de se tourner vers l'Etat pour obtenir un logement si elle n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir. Ce droit s'exercera dans cinq ans par un recours amiable devant une commission de médiation puis, le cas échéant, par un recours contentieux devant une juridiction administrative. Le principe de continuité s'inscrit directement dans cette logique qui dessine le nouveau parcours d'insertion par le logement garanti par la puissance publique : sans-abrisme, hébergement, logement. Le droit au logement étant reconnu, il serait effectivement aberrant que toute prise en charge d'hébergement subventionnée par les pouvoirs publics ne soit pas l'antichambre d'une solution de logement pérenne. Autrement dit, si le droit au logement est reconnu, le droit à l'hébergement doit l'être également, selon le principe « qui peut le plus peut le moins ». L'article 4 de la loi du 5 mars reconnaît d'ailleurs ce droit au maintien dans une structure d'hébergement d'urgence.

L'effacement progressif du mérite individuel

La reconnaissance du droit au logement marque la complète rupture avec le contrat social rousseauiste qui soumet la satisfaction des besoins fondamentaux au mérite individuel. Cette logique sociétale plus que bicentenaire repose sur la manifestation d'un mérite individuel préalable qui autorise ultérieurement la protection collective. Le corps social a entrepris récemment de couper progressivement les fils de ce modèle de référence en ne soumettant plus au mérite deux éléments du triptyque des besoins fondamentaux : le revenu (depuis l'instauration du revenu minimum d'insertion en 1988) et le soin (depuis celle de la couverture maladie universelle en 1999).

Le travail social, surtout dans sa composante d'insertion sociale, est l'un des rouages centraux du processus de socialisation de ceux qui ont refusé le jeu du contrat social rousseauiste ou échoué à y participer. Ce secteur professionnel est mandaté collectivement pour intégrer symboliquement ces «exclus» au corps social. L'objectif est de sortir les personnes prises en charge de leur extériorité à la norme du mérite. Le succès actuel de la notion d'exclusion marque la stigmatisation de cette déviance spécifique. Pour assumer leur fonction sociale, les travailleurs sociaux fondent leurs «suivis éducatifs» sur le modèle rousseauiste. Le principe de limitation dans le temps des prises en charge en est le principal outil. La prise en charge relevant de l'initiative de l'institution, l'usager doit se soumettre à l'effort pour recevoir une assistance. En rompant avec la limitation temporelle des suivis sociaux, c'est la fonction du travail social que l'on modifie. Si l'on octroie de droit un hébergement, la fonction éducative n'a plus pour objectif la transmission des règles de socialisation mais la mise en oeuvre inconditionnelle d'un droit.

Cette brève mise en perspective entre deux logi-ques sociétales éclaire les enjeux fondamentaux de l'accès à l'hébergement ou au logement. En la matière, une grande prudence et la consultation du corps social sont nécessaires. Il est tout à fait dommage que de telles évolutions se décident sous le coup d'une pression compassionnelle, comme en témoigne la mobilisation des Don Quichotte qui ont directement pesé sur ces récents bouleversements. La reconnaissance de ce droit correspond-elle à la réalité de notre fonctionnement social contemporain ou reflète-t-elle le besoin d'affirmer un principe de modernité sans qu'on se sente tenu de l'appliquer. Autrement dit, le modèle de la socialisation au mérite est-il effectivement dépassé ? La question est fondamentale.

En attendant de répondre à cette interrogation, il est irresponsable de jouer aux apprentis sorciers en modifiant les règles du travail social sans aucune précaution, consultation ou explication. »

Notes

(1) Il est l'auteur de L'urgence de la misère : SDF et SAMU social , Les quatre chemins, 2004 et de Critique de l'urgence sociale : et si les SDF n'étaient pas des exclus ? , Vuibert, 2006.

(2) Voir ASH n° 2500-2501 du 30-03-07, p. 5.

(3) Voir ASH n° 2496 du 2-03-07, p. 21.

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