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« Ne baissons pas les bras »

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Si les travailleurs sociaux craignent que certaines mesures annoncées par le gouvernement ne viennent remettre en cause la solidarité nationale, ils ne doivent pas pour autant se sentir impuissants : de nouvelles formes d'engagement restent à explorer ou à développer, estime Didier Dubasque, secrétaire national de l'Association nationale des assistants de service social (ANAS).

« La question sociale a été au coeur de la campagne électorale sans que les professionnels du travail social prennent la parole. Et il faut dire que la prendre pouvait être un exercice périlleux. Face aux idées reçues, aux recettes simplistes énoncées de façon péremptoire, comment pouvait-on faire entendre une autre voix ? Réduit à la portion congrue, le travail social n'a trouvé place en tant que tel dans aucun programme. Sa nécessité a été furtivement abordée lors du débat entre Ségolène Royal et François Bayrou. Et suite à l'élection de Nicolas Sarkozy, il y a fort à parier que d'ici quelques mois, les nerfs des travailleurs sociaux seront une nouvelle fois mis à rude épreuve.

Le candidat de l'UMP a annoncé lors de la campagne qu'il comptait une nouvelle fois réformer l'ordonnance de 1945 (1). Convaincu encore et toujours que «la meilleure des préventions est la répression». Les mineurs récidivistes ayant commis des actes violents devraient être considérés comme pénalement majeurs dès l'âge de 16 ans. Du côté de la couverture sociale des plus démunis, il y a aussi de quoi être inquiet. Un projet de franchise sur les soins et frais médicaux risque de créer un nouveau frein pour l'accès aux soins des plus fragiles et notamment des salariés pauvres. Les étrangers sans papiers et leurs enfants pourront-ils continuer à être soignés ? Là aussi la question est posée.

Au regard de ce qui s'est dit au cours de cette campagne électorale, il ne faut pas s'étonner que de nombreux bénéficiaires des services sociaux expriment leur inquiétude. «Vous croyez que je vais pouvoir garder mon RMI ?», «Je suis seule avec mes trois enfants. Mais comment je vais faire si on m'oblige à travailler loin de chez moi ? En plus je n'ai pas de voiture !» Ces quelques propos entendus dans une permanence d'assistante sociale nous montrent que le message de culpabilisation en direction de ceux qui sont sans emploi a bien été entendu. La réhabilitation de la valeur travail appliquée à ceux qui en sont le plus exclus produit une nouvelle forme de violence sociale. A la honte d'avoir à demander, souvent exprimée lors des entretiens, s'ajoute celle d'être assimilés à des profiteurs. Les études d'opinion sont sans appel : 72 % des personnes interrogées se disent plutôt favorables à la suppression des allocations chômage pour les chômeurs qui, au bout d'un certain nombre de mois, refusent un emploi moins qualifié ou moins rémunéré que celui qu'ils cherchent. Une très large majorité (81 %) est «plutôt d'accord» avec l'idée qu'il est parfois plus avantageux de percevoir des minima sociaux que de travailler avec un bas salaire, et 70 % avec l'affirmation selon laquelle «si la plupart des chômeurs le voulaient vraiment, beaucoup pourraient retrouver un emploi» (2).

Prendre la parole

Ce durcissement de l'opinion des Français à l'égard des demandeurs d'emploi repose-t-il sur des faits avérés ou est-il la conséquence d'un message qui se répand via les médias (3) ? Les personnes pauvres exclues du travail vont-elles devenir les boucs émissaires désignés à la vindicte de ceux qui travaillent, et qui, au nom des valeurs de l'effort, remettent en cause les fondements mêmes de la solidarité ? Il y a là un enjeu essentiel et il est temps que les travailleurs sociaux prennent la parole et rappellent aux élus mais aussi à la population quelques évidences.

Car nous savons bien que le monde binaire qui nous est aujourd'hui présenté n'est pas le reflet de la réalité. Les faits sont têtus. Opposer des catégories de population les unes aux autres ne peut faire une politique sociale. Les élus locaux ne sont pas dupes non plus. Ils savent bien qu'ils ont besoin des travailleurs sociaux, ces artisans du quotidien qui tentent de retisser les liens sociaux, de reconstruire des solidarités éclatées.

Pourtant, malgré ces difficultés, il ne faut pas se désespérer. Si la solidarité nationale est effectivement remise en cause à travers des textes de lois ou des projets qui vont tous aller dans le même sens, les solidarités locales sont loin d'avoir disparu. C'est peut-être aujourd'hui de nouvelles formes d'engagement qu'il nous faut explorer et mettre en oeuvre.

Les municipalités, les départements et les régions sont confrontés aux réalités de l'exclusion. Les élus n'apprécient guère les plans de délocalisation des entreprises qui laissent sur le carreau des milliers de salariés. D'autres s'insurgent face à la spéculation immobilière qui exclut les familles à faibles revenus des villes. Ils s'inquiètent aussi à juste titre de la montée des incivilités dans certains quartiers. Ils sont conscients de la nécessité de piloter des politiques sociales de proximité qui apportent à la population l'espoir d'une vie meilleure et aimeraient voir le retour de l'ascenseur social.

Nous savons bien que ce n'est pas en réunissant des acteurs autour d'une table et en devisant sur la situation de M. X ou du gamin de Mme Y que les problèmes seront résolus. Si les personnes concernées ne sont pas associées, si elles ne sont pas accompagnées, respectées en tant que personnes, nous n'allons qu'alimenter les tensions et les ressentiments.

Les services sociaux sont là face à un véritable défi. Plutôt que de baisser les bras, nous avons l'impérieuse nécessité d'ouvrir un dialogue constructif avec la population. De dépasser les trajectoires individuelles et de permettre que celles-ci s'inscrivent dans des démarches collectives. Il nous faut encourager et permettre le développement des solidarités existantes, favoriser les prises d'initiatives, mettre en oeuvre des projets qui associent dès le départ la population concernée... Le chantier est immense. Il nous faut pour cela accepter de prendre des risques mais aussi convaincre les décideurs de la nécessité d'expérimenter et d'explorer des voies nouvelles ou du moins des voies qui ont été insuffisamment mises en oeuvre par le passé.

Pourquoi ne pas proposer, par exemple dans un quartier réputé difficile, qu'une équipe de travailleurs sociaux motivée soit dégagée des contraintes administratives et soit entièrement centrée sur la reconstruction du lien social et du dialogue entre les générations ? Pourquoi ne pas accorder dans ce cadre une large autonomie aux professionnels qui ont été formés pour cela et qui enragent souvent d'être enfermés dans des dispositifs et une bureaucratie administrative qui épuisent leur énergie ?

Ne verra-t-on pas alors des résultats bien plus probants que les actions orientées vers la surveillance et le contrôle de la population ? C'est là le formidable défi qu'il nous faut relever. Nous avons encore à prouver que le travail social garde toute son efficience et ses capacités d'agir sur le lien social afin de produire du «mieux vivre ensemble» dans le respect des différences. Mettons en valeur nos réussites, regardons sans complaisance nos limites et essayons de les dépasser. Ne baissons pas les bras face à l'adversité. La richesse de nos professions et notre ancrage dans la réalité sociale sont des atouts très importants qui nous permettront d'élaborer des réponses portées par du sens. N'oublions pas notre légitimité et nos compétences. Développons enfin notre pouvoir d'agir avec les usagers. C'est la voie qu'il nous faut désormais explorer de toute urgence pour mieux répondre aux défis qui nous sont lancés. »

Notes

(1) Depuis 2002, quatre réformes ont été engagées par l'actuelle majorité.

(2) Etude du Crédoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) réalisée début 2005.

(3) Renvoyons par exemple à l'émission « Le droit de savoir » diffusée entre les deux tours de l'élection présidentielle à heure de grande écoute sur TF1 sur le thème : « Faux chômeurs, Rmistes fraudeurs et malades imaginaires : enquête sur la France qui triche ».

TRIBUNE LIBRE

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