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Créer un vrai « droit au relais »

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Une recherche-action sur l'accueil temporaire des personnes polyhandicapées souligne la surprenante ambivalence des acteurs et des usagers de cette forme de prise en charge. Cette attitude mêlant intérêt et résistance expliquerait les difficultés de son développement. Les chercheurs ouvrent des pistes pour mieux légitimer le dispositif.

L'accueil temporaire des personnes multihandicapées a-t-il vocation à soutenir les aidants familiaux, donc le maintien à domicile, ou bien constitue-t-il une antichambre à l'entrée en établissement permanent ? Dans la pratique, les deux réponses apparemment contradictoires cohabitent, comme le montre une recherche-action rendue publique le 24 mai (1), menée à la demande du centre de ressources multihandicap « Le Fontainier », interpellé par la diversité des pratiques.

Expérimenté depuis plus de 20 ans, légitimé par la loi 2002-2, réglementé par le décret du 17 mars 2004 (2), encouragé par les pouvoirs publics, l'accueil temporaire ne connaît cependant qu'un essor modeste (3), les places créées étant souvent grignotées au profit d'un accueil permanent toujours déficitaire. Mais autant que par cette pénurie, le développement de la formule semble entravé par la grande ambivalence des parties prenantes. C'est du moins ce qui ressort des analyses de Frédéric Blondel, sociologue, Sabine Delzescaux, psychosociologue et Lysette Boucher-Castel, économiste, menées avec la participation de quatre groupes de travail, constitués respectivement de représentants des familles, des professionnels, des directeurs et des administrateurs d'associations concernées.

« Est-ce qu'ils s'occuperont de mon enfant aussi bien que moi ? » C'est la première question de tous les parents confrontés à la perspective d'un accueil temporaire et cela, quel que soit l'âge de l'enfant, l'hypothèse étant d'ailleurs souvent envisagée pour des adolescents et des adultes plus que pour les petits. Dans cette question transparaissent « les craintes et les angoisses de la séparation », analyse Sabine Delzescaux, en même temps que les doutes sur la qualité de la prise en charge. S'y ajoute souvent un « sentiment de culpabilité », avec l'arrière-pensée d'une « assimilation possible du placement en institution à une forme d'abandon ». Ces inquiétudes sont d'autant plus vives quand l'enfant (ou l'adulte) n'est pas en mesure d'exprimer clairement son ressenti, ajoute-t-elle.

Malgré cette méfiance, la plupart des familles qui élèvent leur enfant à domicile espèrent pouvoir bénéficier pour lui de séjours en accueil temporaire. Mais viennent alors d'autres critiques sur la lourdeur des démarches à entreprendre (4), sur la « culture de la prévision » qu'elles supposent et encore sur l'éloignement des structures d'accueil.

Les réticences des professionnels ne sont pas moindres. Ils perçoivent fréquemment l'accueil temporaire comme une charge de travail supplémentaire dans une organisation centrée sur la prise en charge des résidents permanents. Ils se sentent aussi souvent démunis face à une tâche à laquelle ils n'ont pas été formés et qui ne laisse guère de temps d'adaptation. « L'accueil temporaire induit un rapport spécifique à la personne handicapée et aux familles, constate Frédéric Blondel. Dans l'accueil permanent, les professionnels sont les principaux responsables de l'organisation de la vie du résident et de l'élaboration de son projet. Pour un accueil temporaire, ce projet de vie est avant tout formulé par les familles. » C'est tout l'établissement d'ailleurs qui voit son rôle modifié et qui, de maître d'oeuvre d'un projet socio-médico-éducatif, se sent devenir un simple prestataire de service.

Devant la difficulté de nouer de vraies relations dans un temps réduit et « d'intégrer les résidents temporaires dans les routines instituées [...], la tentation est grande de limiter la prise en charge à une activité de garderie », remarquent les chercheurs. Au total, les professionnels qui pratiquent l'accueil temporaire n'y sont « pas opposés mais réservés », les réticences étant d'autant plus marquées que le nombre de places que l'établissement lui consacre est réduit et que ces places sont dispersées et non regroupées au sein d'une unité spécifique. Les résidents temporaires souffrant de troubles du comportement sont aussi particulièrement redoutés.

Pour leur part, les directeurs expriment clairement le double rôle que peut jouer l'accueil temporaire. Ils y voient un outil de soutien au maintien à domicile et de prévention de la maltraitance, en offrant « un répit aux aidants familiaux avant que la situation ne devienne insupportable ». Mais ils le perçoivent aussi, et plus souvent, comme la meilleure préparation à un accueil de longue durée, susceptible de faciliter la transition en particulier lors du vieillissement ou de la disparition des aidants familiaux.

Le rôle dévolu à l'accueil temporaire n'est évidemment pas le même selon qu'il prend la forme d'un accueil séquentiel et récurrent, généralement à des périodes fixes et déterminées à l'avance, ou bien de séjours de rupture (en situation de crise) ou encore d'un accueil d'urgence, pour faire face à une subite indisponibilité des aidants (hospitalisation, décès). L'accueil programmé à l'avance est de loin le plus utilisé - le renouvellement des publics n'excède pas 30 % dans la majorité des établissements analysés -, là encore pour des motifs qui peuvent sembler très divers, sinon opposés. Il s'agit parfois d'offrir réellement un temps de répit à la famille afin qu'elle garde son enfant dans la durée, parfois de « gérer la file d'attente » des établissements (5), parfois de prendre le relais d'une autre structure pendant sa fermeture annuelle. Plus prosaïquement, il peut s'agir aussi de préserver l'équilibre du budget de la structure d'accueil, celle-ci étant tenue par l'autorité de tutelle à un minimum de remplissage (en moyenne autour de 85 %), plus facile à atteindre quand l'accueil temporaire est planifié que lorsqu'il reste disponible pour les « coups durs ».

Un risque d'instrumentalisation

Tous ces objectifs peuvent finalement sembler légitimes. Mais les chercheurs suggèrent que le trouble des parents risque d'être aggravé quand l'alternative n'est pas tranchée entre un accueil temporaire visant à favoriser la garde de l'enfant à domicile... ou à mieux s'en séparer. S'agit-il d'aider, comme dans certains pays, à la désinstitutionnalisation des personnes handicapées ou au contraire, selon la vieille tradition, de mieux finir par les institutionnaliser ? La réponse n'est d'ailleurs pas univoque. « A trop vouloir «libérer» la personne multihandicapée de l'enfermement et du placement en institution [...], le risque n'est-il pas d'accentuer la pression sur les aidants ? » Puisqu'ils peuvent « bénéficier » de l'accueil temporaire, le maintien à domicile ne peut-il leur être imposé plus facilement ?

Bien des responsables associatifs, par ailleurs favorables à la formule, dénoncent ce risque d'instrumentalisation de l'accueil temporaire au détriment de l'amélioration des capacités d'accueil permanent. Avouée ou non, la tentation est présente du côté des pouvoirs publics. Pour leur part, certains porteurs de projet en jouent et glissent quelques places d'accueil temporaire dans leur dossier afin de mieux le faire passer... Certains avouent même compter sur le fait que ces places ne seront pas occupées à 100 % pour améliorer l'ordinaire de la prise en charge des résidents permanents... en reconnaissant qu'il s'agit d'un dévoiement.

Frédéric Blondel débusque enfin une faille originelle dans l'esprit même des militants de l'accueil temporaire et dans celui du législateur. Il relève dans les textes un souci gestionnaire doublé d'une « approche morale » qui conçoit l'accueil temporaire comme un « répit » venant au secours d'une famille épuisée. Le droit à cet accueil temporaire ne peut alors être justifié que par une souffrance, et n'être accordé qu'avec parcimonie afin de pourvoir au nécessaire, pas au superflu. Bref, il relève de l'exception plus que du droit commun. Comme si une mère de famille qui met ses enfants « ordinaires » au centre de loisirs le mercredi devait justifier d'une souffrance...

Face à ce jeu permanent entre l'accélérateur et le frein, les chercheurs se sont employés à préciser « les enjeux » de l'accueil temporaire, et d'abord en écoutant les attentes des familles. Celles-ci veulent des établissements en nombre suffisant, situés à proximité du domicile et, éventuellement, de leur lieu de vacances. Avec des locaux esthétiques, fonctionnels et conviviaux. Qui accueil-lent de jour comme de nuit, et sur des durées d'au moins une semaine, ménageant un vrai repos. Elles souhaitent aussi un respect des tranches d'âge et une certaine homogénéité des types de handicap accueillis. Elles rêvent d'activités novatrices par rapport à ce qu'elles peuvent organiser elles-mêmes, de sorte que le séjour corresponde à un temps de socialisation et d'épanouissement personnel pour la personne multihandicapée. « La dimension ludique est jugée primordiale », insiste Sabine Delzescaux. L'idéal serait aussi que les activités puissent, le cas échéant, inclure la fratrie.

Les parents souhaitent encore pouvoir communiquer pendant le séjour avec leur enfant, ou avec les professionnels qui l'accompagnent, et sont prêts à la réciprocité. Ils aimeraient pouvoir visiter les lieux au préalable, rencontrer les intervenants (pas seulement le décideur de l'admission), tester leur capacité d'écoute, bref entrer dans un climat de confiance avec les professionnels dont « le savoir-être est jugé aussi important que le savoir-faire ». Rêve ultime : l'accueil temporaire devrait jouer un rôle intégrateur au monde ordinaire aux yeux de familles qui évoluent toujours dans un monde « à côté ». « L'écart reste important entre ces rêves et la réalité », notent sobrement les chercheurs.

Pour les professionnels, l'enjeu principal est sans doute celui de la formation à un type d'intervention différent, où « tout est accueil » et où, peut-être plus encore que dans l'hébergement permanent, l'accompagnement personnalisé s'impose. Moins fusionnel, plus réactif, plus souple, plus inventif : les intervenants pourraient alors percevoir l'accueil temporaire comme facteur de dynamisation de l'ensemble des modes de prise en charge.

Quant aux établissements, ils doivent accepter de pratiquer un partenariat plus intense avec des familles souvent plus exigeantes et de ne plus être « propriétaires de la vie des personnes polyhandicapées », mais seulement « actionnaires minoritaires » dans leur projet. L'expé-rience prouve que leur volonté d'assurer un accueil temporaire est plus durable lorsque cette ambition est mûrie et inscrite dans le projet d'établissement plutôt que greffée en cours de route, et qu'ils y consacrent au moins cinq places.

L'accueil temporaire participe aussi à la réflexion sur le mode de financement, relèvent les chercheurs. Celui-ci doit-il continuer d'aller à la structure qui « recrute » ses résidents ou à la personne qui choisit d'y aller un temps ? La réglementation de l'accueil temporaire gagnerait aussi à être moins décalquée de celle de l'accueil permanent et à fournir « plus de lisibilité et d'assurance aux institutions censées le développer ».

Au total, il importe de ne pas concevoir l'accueil temporaire comme « un dispositif de gestion des populations handicapées, qui viendrait, à terme ou momentanément, pallier la pénurie de places », résument les chercheurs, mais comme une offre « favorisant les transitions multiples », inscrite dans une large gamme de solutions, où quelques pionniers ajoutent un nouveau type d'intervention temporaire au domicile.

Le plein développement de l'accueil temporaire suppose aussi, suggère Frédéric Blondel, que l'Etat reconnaisse non plus un simple « droit au répit », au « soulagement par à-coups », mais un vrai « droit au relais », qu'aucune peine ne devrait venir justifier et qui serait l'expression d'une « solidarité en continu ».

Notes

(1) Accueil temporaire des personnes handicapées - Centre de ressources multihandicap Le Fontainier : 42, avenue de l'Observatoire - 75014 Paris - Tél. 01 53 10 37 37 - 20 € , port inclus.

(2) Voir ASH n° 2352 du 26-03-04, p. 5.

(3) Le GRATH (Groupe de recherche et réseau pour l'accueil temporaire des personnes handicapées) a repéré néanmoins 350 projets. Par ailleurs, son président, Jean-Jacques Olivin, salue cette recherche, dont il recommande la lecture à tous les porteurs de projet.

(4) La commission des droits et de l'autonomie doit être sollicitée au préalable pour obtenir une orientation et une prise en charge, sauf cas d'urgence où elle doit être saisie dans les 24 heures suivant l'entrée en établissement.

(5) Voir ASH n° 2470 du 22-09-06, p. 33.

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