Actualités sociales hebdomadaires : Comment expliquez-vous le lien entre justice des mineurs et néolibéralisme ?
Francis Bailleau : Notre hypothèse de départ est que, en tant que construction sociale, le champ pénal et, en particulier, les politiques socio-judiciaires à l'égard de la jeunesse n'échappent pas à l'influence des mutations sociales plus larges affectant les sociétés contemporaines. La justice des mineurs ne peut être considérée comme une île à part, elle fait - ou faisait - partie intégrante des politiques sociales. Nous avons donc voulu savoir si, dès lors que, sous l'influence des forces économiques, s'installe en Europe un modèle néolibéral, les politiques judiciaires en direction des mineurs suivaient le même chemin. En Europe, ce modèle se caractérise, dans le champ qui nous occupe, par l'accent mis sur la liberté individuelle pour « conduire sa vie » et le poids de la responsabilité personnelle dans tous les actes sociaux. L'homme néolibéral est un homme responsable de sa propre trajectoire, et qui doit l'assumer seul. Dans cette vision, les situations sociales individuelles ne comptent pas et il n'y a pas de mutualisation du risque. D'où notre choix de faire de l'interprétation de la notion de responsabilité l'analyseur central pour tester le virage néolibéral.
Qu'ont en commun les systèmes de justice des mineurs en Europe ?
- Lors d'un travail précédent mené dans neuf pays d'Europe occidentale (2), nous avons constaté la généralisation du modèle de justice pénale des mineurs classique de Welfare, c'est-à-dire « protectionnel », paternaliste, et perçu des signes de sa remise en cause. Durant tout le XXe siècle, on a assisté dans les régimes dits démocratiques ou « sous-régimes Etat social », pour reprendre l'expression du sociologue Robert Castel, à une unification d'un modèle de justice à vocation préventive et éducative, organisé autour d'un personnage central, le juge des enfants, chargé de mettre en oeuvre et de réguler une dialectique entre responsabilité individuelle et responsabilité collective. Le principe de responsabilité partagée pouvait donner lieu à différentes modalités d'application dans les pays, mais on le retrouvait toujours, et de fait, la distribution des mesures, les modes de fonctionnement étaient voisins. Nous sommes donc partis de cette convergence pour étudier l'inflexion néolibérale, qui se traduit par l'abandon de la responsabilité partagée, et nous avons soumis à tous les chercheurs une même grille d'indicateurs afin d'analyser les évolutions en cours.
Ce deuxième programme a été mené dans des Etats d'Europe de l'Ouest ayant connu durablement un système démocratique comme dans des pays ayant subi un système autoritaire (régime communiste jusque dans les années 90 ou longue dictature militaire d'extrême- droite) (3). L'hypothèse d'un virage néolibéral se vérifie-t-elle dans tous les cas ?
- S'il existe, bien sûr, des différences, des degrés, le mouvement observé est globalement semblable. Ce n'est pas un hasard : nous sommes dans une phase de mondialisation. De ce fait, est en train de se constituer, autour de cette seule notion de responsabilité individuelle comme de la crainte des jeunes, une sorte de corpus, partagé par l'ensemble des pays. On retrouve ainsi une convergence forte entre les Etats d'Europe occidentale, à l'exception de la Norvège, dont le modèle était proche du système soviétique - notamment, il n'y a pas de juge des enfants (4) - ou encore de l'Italie, et une construction tendant à s'en rapprocher dans les pays d'Europe de l'Est (voir encadré, page 34).
Comment s'est construite la dialectique de la responsabilité en France et comment a-t-elle évolué ?
- C'est l'ordonnance du 2 février 1945 qui a marqué la rupture en remplaçant le principe de « discernement », lié à la notion de responsabilité individuelle, par celui « d'éducabilité » des mineurs coupables. La dialectique entre responsabilité individuelle et responsabilité collective a alors pu se nouer. Face à un mineur délinquant, le juge des enfants est en effet obligé de faire la liaison entre l'acte posé - qui réfère, comme pour les adultes, à un code d'incriminations, à un système de sanctions - et les conditions de vie du jeune. Le jugement, les mesures, doivent tenir compte de cette responsabilité partagée. Dans cette optique, les jeunes sont perçus comme les « produits » de dysfonctionnements sociaux et leurs comportements comme découlant d'inégalités structurelles qu'il s'agit de compenser, pour éviter l'ancrage dans une délinquance répétitive. Le système « protectionnel » a fonctionné jusqu'au milieu des années 80. La justice des mineurs avait alors un rôle expérimental ; vue comme le fer de lance de l'humanisation de la justice, elle devait inspirer celle des majeurs. En 1985, avec l'arrivée du travail d'intérêt général, un basculement s'est opéré : les nouvelles mesures ont commencé à venir de la justice des adultes. La notion de réparation suppose bien que le mineur assume et reconnaisse sa seule responsabilité. L'ordonnance de 1945 n'a cessé depuis d'être modifiée. En 2002, une seule chose importante demeurait : le préambule, où était affirmé le principe d'éducabilité. La loi Perben I l'a supprimé.
Le surinvestissement de la problématique sécuritaire, associée à la déviance des jeunes, est, selon vous, un autre indicateur essentiel du virage néolibéral...
- Les pays étudiés, en particulier d'Europe occidentale, se caractérisent par une transformation des systèmes sociaux et économiques, qui a provoqué la montée d'un sentiment d'insécurité. La France, où la rupture date des années 70-75, se démarque cependant par l'option socio-économique qu'elle a prise au niveau politique : faire supporter le poids des restructurations par l'âge. Il s'agit alors de retarder l'entrée des plus jeunes dans le monde du travail et d'accélérer la sortie des plus âgés. On continue d'ailleurs toujours à vivre sur ce choix - résultat d'un consensus entre les différentes forces politiques et sociales - de préserver un noyau d'adultes salariés et de faire endurer la précarité et le chômage aux autres. La destruction du schéma de l'intégration progressive des jeunes sur le marché du travail, et de là, sur le marché matrimonial et sur celui du logement, a induit une très forte insécurité sociale. Laquelle s'est focalisée sur la délinquance, en particulier des jeunes : c'étaient eux les plus fragilisés, eux qui avaient le plus fort temps d'inoccupation. Immédiatement s'est produite une déstabilisation du fonctionnement de la justice des mineurs.
S'agit-il cependant juste d'une focalisation ou la délinquance a-t-elle réellement augmenté ?
- Oui, la délinquance des jeunes s'est fortement accrue depuis 1972, mais elle s'est aussi beaucoup transformée. Jusque dans les années 85-90, la délinquance dite « pour les biens » domine largement. Ensuite, celle « contre les biens et contre les personnes » augmente nettement. En 2000, elle dépasse même la première. Mais cette inversion de courbe est entièrement due à de nouveaux délits, en particulier ceux liés aux rapports « agressifs » police-jeunes - ce qui est une spécificité française. On y trouve, en effet, beaucoup d'outrages et de violences contre les dépositaires d'une autorité, des dégradations de biens publics ou privés lors d'affrontements avec la police... En parallèle, un autre type de délit spécifique s'est développé : la possession, la consommation ou le « petit » trafic de drogue. Quasi inexistantes en 1972, ces deux catégories de délits ont décuplé en 30 ans.
Que déduire de ces tendances ?
- Que l'on se trouve dans une spirale et que les politiques publiques renforcent l'insécurité. Au nom de l'augmentation de l'insécurité des Français, les politiques justifient le durcissement des textes de loi et des comportements policiers, alors que ces derniers alimentent la croissance des chiffres de la délinquance des mineurs. On multiplie les nouveaux délits, les contrôles dans les banlieues, on cerne divers espaces... Si l'on enlève des statistiques ce qui a trait aux relations jeunes-police, il n'y a plus d'augmentation « catastrophique » de la délinquance. On est en fait dans un système d'auto-alimentation. Certes, la délinquance croît, mais elle est surtout la preuve d'une forte déstabilisation sociale et de rapports très tendus dans notre société. Cela découle directement du consensus politique dont je parlais précédemment. Et dont les moins formés ont particulièrement fait les frais.
Dans ce contexte, comment a évolué le rôle du juge des enfants ?
- Quand le système fonctionnait à peu près bien, que lui demandait-on ? En gros, d'accompagner un jeune entre 15 et 18 ans pour qu'il acquière un statut d'adulte et fasse moins de bêtises pendant la période de flottement entre sa sortie de la scolarité et le service militaire (puisque, à 90 %, la délinquance est masculine). Sa mission se terminait en général positivement car, après le passage dans l'armée, le jeune s'intégrait sur les trois marchés : travail, mariage, logement, et le problème était réglé. Avec l'évolution profonde des conditions de l'intégration sociale et économique, le juge des enfants s'est retrouvé, et c'est là où l'insécurité sociale a pu s'ancrer, à ne plus pouvoir proposer aux mineurs qu'un apprentissage prolongé d'un temps d'inactivité. Cette absence de perspectives explique d'ailleurs l'explosion des prises en charge, des placements... La justice a alors été perçue comme inefficace. Les réponses politiques données à cette situation socio-économique nouvelle, avec l'émergence au début des années 80 des politiques de prévention de la délinquance, d'insertion des jeunes et de rénovation urbaine, ont, elles aussi, fragilisé la position du magistrat de la jeunesse et celle des professionnels exerçant dans son sillage. Les autorités politiques locales se sont ainsi de plus en plus chargées de la fonction normative et régulatrice assignée au juge des enfants, et s'est développée une gestion locale des risques sociaux.
Parallèlement, le parquet a pris une place croissante dans la réponse à la délinquance juvénile, avec l'essor des mesures dites « de troisième voie », qui s'appuient sur des objectifs de traitement « en temps réel » et de « tolérance zéro ». Comment cela se traduit-il ?
- Dans presque tous les pays étudiés se met en place un système d'évitement du magistrat de la jeunesse et des procédures longues - en France, via le parquet. Jusque-là, pour la très grande majorité des infractions signalées par la police, le traitement était un classement sans suite. En gros, 0,5 % d'une classe d'âge arrive au système judiciaire et 0,2 % a une mesure concrète, imposant un éducateur, un placement... Mais on est désormais dans une société de surveillance. Aussi, ceux qui, auparavant, bénéficiaient d'un classement sans suite sont enregistrés, ont une mesure « parquet », un dossier, une surveillance... et une autosurveillance. On est dans la société disciplinaire décrite par le philosophe Michel Foucault, où la matérialisation des normes ne se fait pas que via les murs des prisons, mais aussi à l'intérieur de chacun. L'action judiciaire s'élargit, non en termes de traitement mais de surveillance. Et cela interfère de plus en plus dans les politiques sociales, l'appareil scolaire... En parallèle, un tri s'opère au sein de cette surveillance, avec une focalisation des mesures judiciaires sur un petit noyau qui représenterait le potentiel de délinquance le plus fort. Sur quels critères ? La polémique suscitée par l'étude de l'Inserm (5) en est une illustration parfaite. On voit bien là la nécessité de constituer une base dure, qui bénéficiera d'un traitement. Ce dernier se fera en termes d'éloignement, d'enfermement, de surveillance constante de la part de l'appareil judiciaire. Les autres intégreront un réflexe d'autosurveillance, renforcé par la multiplication des systèmes techniques de suivi des populations.
Vous estimez que la justice des mineurs est entrée, en France, dans « une gestion sécuritaire des problèmes sociaux et des illégalismes »...
- En effet, l'objectif n'est plus la réintégration, l'éducation, mais la neutralisation. Le mode d'appréhension de la déviance sociale a changé. On est dans la même perspective qu'avec la réduction des risques qui s'est concrétisée lors de la jonction toxicomanie-sida. A partir du moment où les usagers de drogues n'ont plus été perçus uniquement comme des délinquants, mais aussi comme des gens potentiellement porteurs d'une épidémie dangereuse pour la population, les politiques publiques n'ont plus eu pour but de soigner le toxicomane, mais d'éviter que le virus se propage. Ont alors été mis à disposition des produits de substitution, des seringues, des centres bas seuil, etc. Pour les mineurs délinquants, c'est pareil. On estime qu'on n'arrivera pas à les éduquer, à les intégrer sur le marché du travail, aussi cherche-t-on davantage désormais à éviter, en particulier par une prévention situationnelle, qu'ils ne posent problème à la société. Il s'agit d'abord de gérer au mieux les risques collectifs induits par leurs conduites. Mais cela passe également par l'éloignement, l'enfermement pour une minorité... On a ainsi remis en cause les restrictions de l'usage de la détention provisoire pour le mineur, développé les mesures de contrôle judiciaire et, de fait, accru les possibilités de mise en détention, créé les centres éducatifs fermés ou encore multiplié les possibilités de poursuites judiciaires en inventant des délits liés aux comportements des jeunes, tels les regroupements dans les halls d'immeuble.
Autre évolution majeure récente : la montée en puissance de la figure de la victime. Est-ce également un signe de l'influence néolibérale ?
- Cette introduction des victimes change radicalement le rôle social de la procédure pénale. Par le procès, la sanction, on visait la matérialisation de normes et d'interdits collectifs. Aujourd'hui, chacun a, comme avant, son propre système normatif, mais celui-ci n'est plus forcément en cohérence avec la normativité collective, acceptée et partagée, en particulier au niveau de l'ordre public. Du fait de cette rupture, le procès pénal redevient de plus en plus un règlement de problèmes personnels, et les victimes en attendent une thérapie, tant sur le plan psychologique que matériel. On aboutit ainsi à une privatisation du règlement des conflits. Cela est lié à la montée de l'individualisme et à un Etat néolibéral. L'Etat ne régule plus, via la procédure pénale, des relations sociales, mais répare un ordre, perçu comme naturel, troublé par le comportement individuel de tel ou tel.
Sur le terrain, ce mouvement néolibéral rencontre-t-il tout de même des résistances ?
- La plupart des juges des enfants sont encore dans le modèle « protectionnel », même si cela commence à changer chez les plus jeunes. Dans un travail de pré-enquête conduit dans les tribunaux pour enfants de Paris et de Créteil, nous avons ainsi constaté que les juges rechignaient à appliquer les mesures conditionnelles. Cela est notamment dû au fait qu'ils travaillent avec des éducateurs. Ces professionnels forment ensemble un monde spécifique peu désireux de s'engager, en particulier, dans les nouveaux systèmes de sanctions, issus des différents textes qui ont modifié l'ordonnance de 1945 en 2002, en 2004 et en 2007 avec la loi relative à la prévention de la délinquance. Une résistance que l'on retrouve d'ailleurs très fortement en Allemagne (voir encadré ci-dessous).
Vous estimez cependant que le juge pour enfants pourrait disparaître...
- Aujourd'hui, si l'on raisonne techniquement, en ôtant toute dimension symbolique, l'existence du juge des enfants ne se justifie plus. Dès lors que le volet protection lui échappe de plus en plus dans le cadre du renforcement du rôle du département, le magistrat de la jeunesse est appelé à ne plus intervenir que pour arbitrer en gros les éventuels conflits durs entre la famille et l'ordonnateur d'une mesure. On peut tout à fait imaginer que le juge aux affaires familiales, entre puissance publique et famille, devienne le spécialiste de la régulation de ces tensions. Or le volet protection est celui sur lequel le juge des enfants construit son identité et sa spécificité. Si on met en parallèle la montée en puissance du ministère public au pénal, il ne lui parviendra plus que des situations totalement bouclées : le parquet aura déjà mis en oeuvre une série de mesures éducatives qui auront échoué, et le juge des enfants ne pourra plus prendre le risque de les renouveler. Il sera ainsi pris dans un ensemble d'obligations au niveau pénal qui le feront davantage fonctionner comme un juge d'instruction. Les juges des enfants perçoivent ce danger.
Vous parliez d'une enquête sur les mesures conditionnelles...
- Oui, les nouvelles mesures ayant émergé partout en Europe sont au coeur du troisième volet de notre recherche sur la justice pénale des mineurs, qui a démarré en janvier dernier. Les mesures comportant une suspension de peine sous réserve de condition nous intéressent tout particulièrement parce que, là, joue pleinement la notion de responsabilité individuelle. On voit à travers elles l'imprégnation par les idées néolibérales des modèles de justice, des professionnels et du public. Ces mesures sont en outre une négation complète des études faites sur les jeunes - dont celles du psychologue Jean Piaget - sur cette notion d'apprentissage, d'essais et d'erreurs, de retours en arrière, de temporalité erratique qui est le propre de l'adolescence. La conditionnalité a un sens quand sa vie a un sens, lorsqu'on a quelque chose à perdre, ce qui n'est pas le cas des jeunes adolescents précarisés. Nous chercherons aussi à voir si se construit le même paradoxe qu'au Canada qui, bien que classé parmi les pays ayant les politiques sociales les mieux développées, se retrouve avec l'un des taux de détention des mineurs les plus forts. Un paradoxe lié aux mesures conditionnelles : 60 à 70 % des mineurs détenus au Canada le sont pour nonrespect d'une obligation administrative liée à une mesure antérieure et non à cause d'un nouveau délit...
Jusqu'où cette vague néolibérale vous semble-t-elle devoir aller ?
- La situation actuelle est le fruit d'un décalage entre infrastructure, au sens marxiste du terme, c'est-à-dire socio-économique, et superstructure, c'est-à-dire la sphère mentale, l'idéologie, l'appareil politique... Sur une infrastructure qui a bougé, on applique encore des modèles de réactions sociales issus des trente glorieuses. Cette situation ne peut perdurer. On vit un temps de transition. La sociologie n'est pas prédictive, mais on voit bien qu'un nouvel équilibre va s'instaurer - qui n'aura plus rien à voir avec la notion d'éducabilité. Progressi-vement, un autre système va émerger. Aujourd'hui, on parle de modèle néolibéral car on est dans cette dominance socio-économique et que l'on reste dans des schémas très liés à une société industrielle, mais on voit que des lignes de force - telle la notion centrale de travail salarié - se déplacent. Le paradigme n'a pas encore explosé, aussi est-il aujourd'hui très difficile de savoir comment il va se reformer.
« A l'époque de l'Etat communiste totalitaire, l'opinion publique sur les délinquants était bien plus tolérante qu'aujourd'hui dans un Etat démocratique qui revendique sa tolérance. Or le nombre de délits violents, graves, est stable et ne peut donc en être la cause », constate Katja Filipcic, de l'université de Ljubljana. Un paradoxe qui s'est traduit, dans le nouveau code pénal de 1995, par un « glissement vers la philosophie du «ce qui est mérité» », qui appartient au registre néolibéral selon la chercheuse, mais qui ne s'est pas produit dans la justice des mineurs. Ou du moins pas encore. En effet, analyse-t-elle, « en ce qui concerne le système de justice pénale et la politique de sanctions envers les adultes délinquants, nous sommes face à un mouvement croissant de durcissement et à une opinion publique très répressive. La législation pénale des adultes et la législation pénale des mineurs ont traditionnellement toujours été étroitement liées. En raison de ce lien, je crains que le mouvement néolibéral ne s'étende au système de la justice des mineurs dans un avenir proche ». Elle appelle d'ailleurs, pour renforcer les éléments de protection, à la création d'une législation spécifique, les mesures concernant les mineurs ne formant aujourd'hui qu'une section à part du code pénal et du code de procédure pénale.
Depuis 1991, date à laquelle la Slovénie, qui était devenue en 1945 une république fédérative de la Yougoslavie, a proclamé son indépendance, un fait majeur est venu modifier la justice des mineurs : l'introduction d'éléments de justice restauratrice. Un changement qui explique à lui seul l'accroissement du pouvoir du ministère public, la plus grande implication des agences de Welfare et autres organisations chargées des mineurs dans le système de justice, et la responsabilisation personnelle renforcée du mineur délinquant. Cependant, malgré cela, les principaux caractères de l'intervention auprès des mineurs délinquants restent, selon la chercheuse, « la protection, l'aide, l'éducation et la rééducation ». La majorité des mineurs délinquants est traitée « dans des procédures de diversion, et ce n'est que la minorité de ceux qui sont impliqués dans des délits plus graves et qui ont besoin d'une aide intensive qui se voit appliquer des formes de sanctions plus formelles et plus sévères ».
Si le néolibéralisme gagne du terrain, un phénomène essentiel lui fait obstacle aujourd'hui. En effet, analyse Katja Filipcic, « en dehors des éléments de Welfare encore importants, qui sont un héritage de la société socialiste et de son système de valeurs, un autre facteur qui s'oppose aux influences néolibérales [...] est la stabilité de la délinquance des mineurs. » A l'inverse, chez les adultes, le nombre de crimes portant atteinte à la propriété a presque doublé ces dernières années.
« La situation de la justice des mineurs, les projets de loi présentés ainsi que le débat public sur la politique criminelle montrent qu'il y a des influences en Allemagne [...] caractéristiques d'une approche néolibérale de la justice pénale », résument, dans leur article, Kirstin Drenkhahn et Frieder Dunkel, de l'université de Greifswald. Si l'on n'assiste pas, dans ce pays, à une totale inversion de la dialectique de la responsabilité, l'idée émerge cependant que « le mineur est, parmi d'autres, responsable de ses actes ». Les projets de loi améliorent notamment les droits de la victime à participer à la procédure et, en parallèle, ceux du jeune accusé (élargissement du principe de désignation d'un avocat d'office, par exemple), ce qui, paradoxalement, souligne « un besoin réel de se défendre devant le tribunal des mineurs ». Les chercheurs relèvent en outre un surinvestissement de la logique sécuritaire, au moins en termes de discours, et le ciblage sur certains groupes « à risque ». Cependant, à côté de ces influences néolibérales, ils repèrent aussi « des tendances opposées ayant leur origine dans l'idée traditionnelle que l'enfant criminel est toujours, et avant tout, un enfant ».
Divers éléments associés au néolibéralisme ne sont pas nouveaux en Allemagne, qui a notamment mis l'accent depuis longtemps sur le local, et où la responsabilisation du jeune dans le crime est traditionnellement forte. Ainsi, rappellent les chercheurs, « le classement avec obligations par le parquet ou le tribunal n'est possible que si le jeune avoue et ainsi assume sa responsabilité ». D'importants obstacles aux influences néolibérales puisent toutefois leur origine dans le fédéralisme, et cela vaut pour la justice des mineurs. Ainsi en est-il de la procédure complexe de production de la législation, notamment car les deux assemblées (Bundestag et Bundesrat) sont en général de majorité opposée. Par ailleurs, les juges des mineurs semblent avoir des conceptions différentes « de la personnalité «spécifique» des jeunes délinquants et de la nature «spécifique» de la délinquance juvénile », constatent les chercheurs. Une spécialité allemande est en effet l'inclusion des jeunes adultes de 18 à 20 ans dans la juridiction du tribunal des mineurs. Or, en la matière, existe un contraste Nord-Sud : « Les Länder du Nord appliquent de plus en plus le droit des mineurs, tandis que, dans le Sud, les juges des mineurs se réfèrent davantage au droit des adultes. » Enfin, si le modèle allemand résiste, et mieux que le système français, face à la vague néolibérale, c'est aussi, rappelle Francis Bailleau, « parce qu'il existe un consensus très fort, une cohérence très grande, entre les professionnels, juges des enfants et éducateurs, qui leur permet de s'opposer avec force à un discours public, à un pouvoir politique, et d'avoir un réel poids ».
(1) La justice pénale des mineurs en Europe. Entre modèle Welfare et inflexions néo-libérales - Ed. L'Harmattan - 2007.
(2) Ecosse, Angleterre, Belgique, Allemagne, Suisse, Italie, Portugal, Espagne, France - Les résultats ont été publiés dans « La justice pénale des mineurs en Europe » - Déviance et Société n° 3, vol. 26 - 2002.
(3) Le programme a été mené en Angleterre, au Canada, en Allemagne, en Belgique, en France, en Italie, en Norvège, en Pologne, en Hongrie, en République tchèque, en Slovénie, en Portugal, en Grèce et en Espagne.
(4) Le terme « justice des mineurs » n'existe pas en norvégien. Les délits commis par des mineurs sont traités par deux institutions : le service de protection de l'enfance pour ceux qui ont moins de 15 ans et le système judiciaire classique pour les autres.