Alors que le fossé se creuse entre syndicats d'employeurs signataires de la convention collective de 1966 au point que la dissolution de leur fédération est à l'ordre du jour, la Fegapei (Fédération nationale des associations de parents et amis employeurs et gestionnaires d'établissements et services pour personnes handicapées mentales) (1) et le Snaless (Syndicat national des associations laïques employeurs du secteur sanitaire, social, médico-éducatif et médico-social) (2) accentuent leur collaboration. En préfiguration de la branche professionnelle spécifique au secteur du handicap qu'ils appellent de leurs voeux ?
L'événement a été solennisé le 14 mai : les deux présidents, Pierre Matt pour la Fegapei et Pierre Queille pour le Snaless, ont signé un « contrat de groupe » valable jusqu'au 31 décembre 2008. Celui-ci prévoit la mise en commun de prestations à destination de leurs adhérents en matière d'aide à la gestion, de gouvernance, d'organisation, de qualité, de ressources humaines, de communication, de formation et de représentation institutionnelle. L'accord prolonge donc le premier rapprochement intervenu le 2 décembre 2004 entre les deux syndicats (3), qui portait sur un partage de l'information juridique, les échanges étant cette fois élargis à tous leurs domaines d'activité.
« Dès la deuxième ou troisième rencontre, nous avons constaté un accord de fond entre nos deux organisations. Nous partageons les mêmes valeurs, à commencer par la place centrale accordée à la personne handicapée, et la même volonté de moderniser le secteur », explique Pierre Queille. Le rapprochement consacre un « changement des mentalités », expliquent aussi les partenaires, les parents d'enfants handicapés (à l'origine de la Fegapei) et les professionnels proches de l'Education nationale (qui ont créé le Snaless) ayant longtemps entretenu des relations de méfiance et voyant maintenant tout l'intérêt qu'ils ont à travailler ensemble. Pierre Matt insiste aussi sur le poids que représentent ensemble les 2 750 établissements de la Fegapei et les 1 250 du Snaless, soit un total de quelque 4 000 structures sur les 7 000 que compte le secteur du handicap. « Cette convention n'est pas un aboutissement mais un point de départ », ajoute Pierre Queille.
Le contrat prévoit également « la participation de chaque organisation » aux « représentations employeurs » et une « réflexion permanente et commune en matière de négociation sociale ». L'allusion est claire aux problèmes posés au sein de la Fédération des employeurs signataires de la CC 66 - dont sont membres le Snasea (4), le SOP (5) et la Fegapei - et plus largement de l'Unifed - qui rassemble ces trois organisations plus la FEHAP, la Croix-rouge et la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, soit l'ensemble des syndicats d'employeurs de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (BASS).
La Fédération des employeurs et l'Unifed refusent, depuis 2001, l'adhésion du Snaless, qui aurait aimé figurer en tant que tel à la table des négociations de la CC 66 et des accords de branche. Un refus motivé par le fait « qu'il y a déjà assez de syndicats d'employeurs » et que conteste la Fegapei - « 1 200 à 1 300 établissements, excusez du peu ! », s'exclame Pierre Matt. Par ailleurs, les propositions de réorganisation de la branche formulées par la Fegapei le 12 avril, et partagées par le Snaless, ont soulevé une levée de boucliers de tous ses partenaires.
La Fegapei fait en effet le double constat d'une évolution législative et réglementaire de plus en plus spécifique à chaque secteur d'activité (qui se traduit notamment par des modes de financement, des interlocuteurs et des métiers différents) et d'un besoin confirmé de transversalité, par exemple pour organiser les mobilités professionnelles et développer des politiques de formation en direction des salariés comme des administrateurs élus. A ses yeux, l'actuel blocage du dialogue social résulte, au moins pour partie, de l'inadaptation de l'organisation de la branche, avec ses conventions collectives transversales et ses accords sur « le plus petit dénominateur commun ». D'où sa proposition de créer des « périmètres de négociation cohérents » par secteur d'activité (par exemple pour la santé, l'insertion, le handicap et la dépendance) et de considérer la BASS comme une interbranche où l'Unifed négocierait les accords transversaux.
Une hypothèse rejetée fermement, le 16 avril dernier, par les cinq autres organisations d'employeurs (6), au nom justement de « leur conception transversale et globale des services » qui accompagnent « des personnes, quelles que soient leurs difficultés ». Le Snasea et le SOP viennent de franchir un pas de plus après la réunion du 9 mai de la Fédération des employeurs de la CC 66. Regrettant l'absence d'échange préalable à la proposition de la Fegapei, déplorant qu'elle entretienne un partenariat avec le Snaless et constatant que les divergences de vue interdisent à ladite Fédération toute expression et toute « force de proposition », les deux syndicats ont annoncé le 10 mai qu'ils poseront à leurs instances respectives « la question de poursuivre ou non leur participation » à cette organisation. L'étape suivante de la dissolution de la Fédération des employeurs serait même envisagée lors d'un conseil d'administration exceptionnel le 13 juin (à la veille d'une réunion de l'Unifed programmée le 14).
Dissoudre la Fédération des employeurs « sans avoir fixé une politique pour l'avenir nous apparaîtrait comme une décision d'appareil, prise sans concertation aucune, ni avec les associations de base, ni avec les organisations de salariés, ni avec les pouvoirs publics financeurs », répond la Fegapei. « Ce serait donc une décision déraisonnable et pour le moins prématurée », ajoute-t-elle en appelant à un « débat de fond », où tous les aspects, y compris les périmètres de négociation, seraient sur la table. « Plusieurs scénarios sont possibles, avance Philippe Calmette, directeur général de la Fegapei : plusieurs branches avec une convention pour chacune plus une interbranche, ou alors une seule branche et une convention collective unique, mais avec des sections spécialisées par type d'activité. L'important, c'est que les acteurs de chaque périmètre se rassemblent et soient en mesure de s'attaquer à leurs problèmes communs. »
En tout cas, malgré les apparences de guerre ouverte, les ponts ne sont pas coupés, « les contacts sont permanents », assure Philippe Calmette. Même si les solutions divergent, du moins le sentiment d'urgence à remettre le « dialogue social » sur les rails et la CC 66 sur le métier paraît partagé. Sauf, écrit Michel Ridou, président du Snasea, à « être les complices de fait d'une dérégulation programmée ».
(1) Fegapei : 7-9, rue La Boétie - 75008 Paris - Tél. 01 43 12 19 19.
(2) Snaless : 80, bd de Reuilly - 75012 Paris - Tél. 01 40 47 77 77.
(4) Snasea : 47, rue Eugène-Oudiné - 75013 Paris - Tél. 01 43 14 89 00.
(5) SOP : 11 bis, rue Eugène-Varlin - CS 60111 - 75468 Paris cedex 10 - Tél. 01 55 26 88 88.