Recevoir la newsletter

Une passerelle ouverte sur un devenir possible

Article réservé aux abonnés

Soucieux de faire jouer pleinement le principe de protection pour les mineurs étrangers isolés, le conseil général du Nord a monté sur l'agglomération lilloise un dispositif d'accueil d'urgence spécialisé. Après évaluation de leur situation par une plate-forme pluridisciplinaire coordonnée par la protection judiciaire de la jeunesse, les jeunes sont vite orientés dans tout le département. Objectif : faciliter leur intégration.

Une poignée d'abord, quelques dizaines ensuite, puis une centaine... A partir de la fin des années 90, le nombre de mineurs isolés arrivant dans le Nord, chassés de leur pays par la guerre ou la misère, s'emballe. Confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE), ceux repérés dans la métropole lilloise se retrouvent au foyer de l'enfance de Lille. Au final, « en 2001 et 2002, nous réalisions de 200 à 250 accueils de mineurs étrangers isolés par an », assure Jean-Paul Carpentier, son directeur. Si beaucoup fuguaient, la situation ne pouvait perdurer. « Habilité pour 85 places, le foyer comptait 130 à 140 jeunes et la mission traditionnelle ne pouvait plus être remplie. Le département a alors affirmé qu'il fallait offrir un accueil digne de ce nom à ces enfants, estimant qu'avant d'être des «mineurs étrangers isolés», ils étaient des «mineurs isolés étrangers» », se souvient Franck Bottin, aujourd'hui cadre socio-éducatif au service d'accueil des mineurs isolés étrangers (SAMIE), l'un des éléments du dispositif ambitieux élaboré par le conseil général. Lequel a fait l'objet, en octobre 2005, d'un protocole d'accord entre le département, la préfecture, la justice et des partenaires publics et associatifs (1).

La formule repose d'abord sur un partenariat public-privé. A l'issue d'un travail mené en commun, deux structures d'accueil d'urgence ont en effet émergé : le SAMIE (2), qui est géré par l'Etablis-sement public départemental soutien, accompagnement, éducation (Epdsae) et a ouvert ses portes à Ronchin en septembre 2006, et Mosaïque (3), qui a été créée à Tourcoing en juin 2006 et dépend de la Société de protection et de réinsertion du Nord (SPRN). Désormais, les mineurs, en général arrêtés par la police, font l'objet d'une ordonnance de placement provisoire et sont orientés par le biais du foyer de l'enfance de Lille vers l'une des deux maisons. « La répartition se fait selon les places et en respectant un équilibre de deux tiers-un tiers, le SAMIE détenant 15 places et Mosaïque 8 », explique Franck Bottin.

Le séjour des jeunes ne doit pas excéder deux mois, qui sont en partie mis à profit pour réaliser une évaluation globale. Pour ce faire, un second niveau de partenariat impliquant des services de l'Etat a été noué. Il se matérialise par une plate-forme pluridisciplinaire, coordonnée par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), dont les acteurs entrent tout de suite en scène. D'abord ceux de l'Education nationale pour une expertise. En effet, souligne Franck Bottin, « nous scolarisons les jeunes de moins de 16 ans en classe ordinaire ou, s'ils ne maîtrisent pas le français, en classe d'accueil. Pour les autres, il faut attendre un passage en session d'information et d'orientation. » Un bilan psychologique financé par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales est également prévu, tout comme une évaluation médicale, réalisée au foyer de l'enfance. La situation administrative et juridique du mineur est enfin analysée par le service Droit des jeunes (Association départementale du Nord pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte) sur financement de la protection judiciaire de la jeunesse. Cette dernière, qui récupère en outre les bilans d'observation des équipes, établit un rapport éducatif global qu'elle adresse au juge des enfants, Xavier Martinen, en charge de ces mineurs au tribunal de grande instance de Lille. Pour celui-ci, qui reçoit les jeunes en audience six semaines après leur arrivée, « ce bilan constitue une véritable avancée. Les éléments fournis me permettent, non de prendre la décision car le placement s'impose, mais d'orienter le jeune et de donner des objectifs à la mesure. Avant, nous ne les connaissions qu'à travers ce qu'ils disaient et des informations qu'avait pu récolter le Foyer de l'enfance. L'évaluation psychologique notamment est un grand apport car on voit que la plupart nécessite des suivis adaptés. »

Pour gérer le quotidien, l'équipe du SAMIE compte, outre des maîtresses de maison et des veilleurs de nuit, six éducateurs et une assistante sociale. « Chacun de nous centralise les informations concernant deux ou trois jeunes afin de rédiger l'écrit destiné à la PJJ. Néanmoins, nous connaissons tous la situation de chaque mineur », explique Gilles Weiss, éducateur spécialisé. A leur arrivée, les jeunes sont souvent un peu perdus. « Nous les aidons à se poser et cherchons à leur donner des repères », observe Stéphane Delgrange, également éducateur spécialisé. Pour les non-scolarisés surtout, des activités sont organisées (travaux éducatifs, natation, sculpture, alphabétisation...). « Nous ne voulons pas qu'ils s'ennuient, qu'ils gambergent. Nous tentons de leur donner un rythme de vie, avec des horaires précis », assure le chef de service. Il s'agit aussi de les inscrire dans le tissu social et de favoriser leur autonomie et leur intégration. Les jeunes utilisent donc seuls les transports, sont incités à communiquer. Echanger est aussi le maître-mot de la maisonnée, dont le réglement intérieur est affiché en dessins. « Ne pas parler la même langue est parfois une barrière. En fait, ça l'est surtout lors de l'entretien d'entrée ; pour le reste, c'est plutôt parfois une difficulté. Mais la règle d'or ici, c'est la débrouille », remarque Cécile Frappart, assistante sociale.

Le récit du jeune sur son trajet, ses origines, son âge... est accepté tel quel. « Avant, nous voulions tout savoir de son parcours. Or nous n'avions pas toujours la bonne version. Aujourd'hui, nous partons du mensonge et le mensonge est autorisé. Cela transforme la pratique », observe Franck Bottin. Et de s'enthousiasmer : « ici, la posture éducative est à inventer, des approches sont à revisiter, c'est exaltant ». Des questions aussi simples que celle des horaires de sortie sont ainsi réinterrogées. « Ces enfants ont parfois traversé seuls l'Europe ou l'Afrique. Comment leur dire ensuite qu'ils n'ont pas le droit de sortir ? On ne peut plaquer un fonctionnement classique de service. Il faut donner du sens à tout cela. C'est aussi la condition pour que ce soit respecté. » Les éducateurs sont par ailleurs parfois confrontés à des jeunes ayant des problèmes de comportement, voire des troubles psychiatriques, qu'il faut savoir gérer. « Certains ont vécu longtemps dans la marginalité avant d'arriver ici. D'autres ont souffert de graves traumatismes et, d'un coup, décompensent fortement..., témoigne Jean Paul Carpentier. Cela nous a obligés à revisiter tout le dispositif, et, en particulier, à enrichir notre réseau de partenaires pour répondre à leurs besoins. »

A 25 kilomètres de là, à Mosaïque, l'innovation prend des couleurs supplémentaires. En effet, si le dispositif tourquennois suit la même ligne de fonctionnement, s'ajoute la mixité des populations : aux côtés des mineurs isolés cohabitent autant de mineurs du Nord. « Il y avait une forte demande d'accueil d'urgence pour les jeunes du coin, souligne Christian Aubourg, directeur du foyer Birette-antenne Mosaïque. On propose donc aux mineurs en danger de Roubaix ou de Tourcoing le même accueil, la même évaluation, peut-être pas tout à fait la même orientation, mais tous ont les mêmes droits. » Seule différence de fond : l'absence de référent nommé pour les mineurs isolés tant qu'ils n'ont pas été réorientés. La mission de Mosaïque, précise Yves-Benoît Toulemonde, conseiller technique à la SPRN, est « de servir de sas » et « de permettre pour tous le repérage d'éléments favorisant une orientation la mieux adaptée possible. Il s'agit en fait de croiser les regards, d'où l'intérêt de disposer d'une équipe pluridisciplinaire. » Mosaïque compte ainsi dans ses rangs une infirmière à temps partiel, une psychologue ou un éducateur sportif.

Comme au SAMIE, des ateliers de français, des activités variées y sont organisés avec pour objectif de « réussir à inscrire les jeunes dans le tissu local grâce à divers partenaires, poursuit le conseiller. En outre, nous travaillons l'inscription dans le quartier. Nos jeunes sont en départ d'ici mais ne sont pas attendus ailleurs. Ils peuvent ressentir une sorte de mal-être, ou de vertige, ce qui peut les mener à avoir des réactions excessives voire violentes. Nous avons à gérer ce risque et de fait à travailler avec notre environnement. » Le mélange des deux publics est par ailleurs parfois complexe à gérer, même si, résume Thomas Dekorte, assistant de service social, « cette difficulté contribue à la richesse du travail. C'est très prenant, il faut sans cesse savoir s'adapter. » Au départ, témoigne Stéphane Magnier, moniteur-éducateur, « il y avait plein de conflits, des insultes, il fallait beaucoup expliquer. Les jeunes d'ici ne comprenaient pas, par exemple, que nous puissions faire parfois de petites différences. Or les mineurs isolés n'ont pas la même maturité. En termes de vie quotidienne, ils causent aussi moins de problèmes. Ils ont très envie de s'intégrer et leurs comportements sont plus respectueux. » Leur présence semble même parfois apaisante. « Ils entraînent le groupe et, par leur patience, permettent qu'il y ait moins de violence. » Néanmoins, la mixité filles-garçons (4) ne simplifie pas les choses. « Des filles un brin provocantes viennent titiller des jeunes bien conformes. Cela peut générer des tensions, voire de l'agressivité. C'est l'une des difficultés pour l'équipe. Nous devons y veiller et renforcer nos capacités de gestion de crise, liée à cette mixité, et à l'interculturalité », souligne Yves-Benoît Toulemonde.

Lorsque le juge confirme le placement (5), l'orientation des mineurs isolés est mise en oeuvre sur tout le Nord, via la direction territoriale Métropole Lille (une des huit directions d'action sociale du conseil général). Le délai initial pour l'orientation se révèle cependant d'ores et déjà difficile à tenir, ce qui peut être problématique. « Les jeunes ont eu le temps de s'accrocher à des gens, à des lieux... et cela réveille des douleurs », souligne Franck Bottin. De même, reconnaît Yves-Benoît Toulemonde, « on a parfois un peu trop vite communiqué sur le délai prévu. Or on ne maîtrise pas tous les paramètres et il nous est arrivé d'atteindre 15 semaines. On ne voudrait pas que les jeunes vivent un sentiment d'abandon, ou de traîtrise. » Pour encadrer le dispositif, un comité de pilotage doit, selon le protocole, se réunir annuellement. Le délai pourrait être réétudié dans ce cadre. Néanmoins, s'interroge le conseiller technique, « si l'expérience nous montre que le délai initial était un peu utopique, faut-il pour autant passer à quatre mois et perdre cette identité d'accueil d'urgence » ? Pour les juges des enfants de Lille, en tout cas, ce n'est pas souhaitable. En effet, estime Xavier Martinen, « nous avons affaire à un public d'enfants en danger à protéger comme les autres et nous ne voulons pas créer de sous-catégories ni fabriquer de foyers ghettos. Aujourd'hui, les délais sont de deux à trois mois, cela reste acceptable. Il ne faudrait pas aller au-delà. L'intérêt, c'est la dimension de sas. »

Pour parfaire le dispositif, un comité technique se rassemble tous les deux mois sous l'égide de la direction territoriale Métropole Lille, afin d'ajuster la procédure au regard des réalités du terrain. Malgré quelques difficultés inhérentes au travail partenarial ou à l'innovation, l'expérience est d'ores et déjà jugée des plus probante. « Cette idée de partenariat obligatoire, de faire appel à chacun dans sa qualité d'expert pour fournir une évaluation aidant le magistrat est très intéressante même si ce n'est pas toujours simple », juge Franck Bottin, pour qui « ce dispositif devrait servir à tous les mineurs accueillis en urgence. » Un avis partagé par Xavier Martinen : « On mesure concrètement les bienfaits du dispositif, même si on manque encore de recul. En outre, il ne provoque pas d'effet boule de neige. » Sa seule réserve : « l'absence, dans le protocole, d'un volet sur la prévention. Des éducateurs de rue, par exemple, pourraient aller au contact des jeunes car une partie «échappe» à la protection. » Restera enfin à terme, pour juger la qualité de la formule, « à recueillir l'avis de ceux qui auront fait le second accueil, observe Yves-Benoît Toulemonde. En interrogeant le référent social garant du parcours du jeune et la structure d'accueil, on devrait avoir un retour utile sur le sas, savoir ce qu'il a produit ou non. »

Notes

(1) Voir ASH n° 2427 du 28-10-05, p. 40.

(2) SAMIE : 452, avenue Jean-Jaurès - 59790 Ronchin - Tél. 03 20 97 83 22.

(3) Foyer Birette-antenne Mosaïque : 143, rue de Lille - 59200 Tourcoing - Tél. 03 20 26 20 19.

(4) Les mineurs isolés sont essentiellement des garçons.

(5) Hormis le placement en structure ASE, le protocole prévoit la possibilité d'un placement dans d'autres établissements (PJJ par exemple) ou un retour au pays. Cela ne concerne aujourd'hui que de rares cas particuliers.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur