« L'accompagnement dans la durée d'une entreprise adaptée du nord de la France dans le cadre d'une mission qui avait pour objet l'élaboration et la mise en oeuvre d'une «politique de dynamisation sociale» nous a permis de saisir quelques-unes des problématiques particulièrement exacerbées auxquelles ce secteur de l'action sociale est confronté.
La première d'entre elles est la difficulté accrue pour ces entreprises de construire des modèles économiques durables. Elles doivent résoudre deux questions concomitantes. D'une part, la mise en oeuvre des principes de la loi du 11 février 2005. La pérennité du modèle économique des entreprises adaptées constitue en effet la première des conditions pour garantir la mise en oeuvre, dans un contexte d'activité salariée, du principe de l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées. D'autre part, ces entreprises, qui ont historiquement conduit leur développement à partir d'activités liées à la sous-traitance, sont affectées par les mutations économiques profondes qui ne cessent de bousculer les activités productives en Europe. Les équilibres patiemment tissés par ces ateliers qui ne sont plus «protégés» des soubresauts de l'économie mondiale sont bouleversés. Les effets de la concurrence des pays à moindre coût de main-d'oeuvre et de la délocalisation des entreprises clientes constituent désormais une préoccupation quotidienne pour les chefs d'entreprises adaptées.
La seconde concerne l'obsolescence des systèmes de management qui y sont à l'oeuvre. Pour des raisons historiques (et qui tiennent autant aux pratiques de recrutement des encadrants et des dirigeants qu'au caractère «protégé» de ce secteur qui s'est retrouvé comme isolé des transformations qui ont affecté profondément le monde de l'entreprise depuis plus de 30 ans), les systèmes de management que l'on y trouve encore trop souvent ne sont plus adaptés aux attentes actuelles des salariés, qui aspirent à une triple reconnaissance : comme personnes, comme travailleurs et comme travailleurs handicapés. Ces salariés témoignent de plus en plus souvent de l'expérience d'«injustices au travail», à l'origine la plupart du temps des faiblesses de motivation constatées, dans un moment précisément où la mobilisation serait singulièrement nécessaire afin de contribuer à la pérennisation des modèles économiques.
Dernière problématique, la faiblesse des politiques de ressources humaines qui caractérise également ces entreprises. De l'anémie des politiques salariales à celle du développement des compétences des salariés par la formation, de l'insuffisance de véritables étayages des incapacités au travail à celle de la mise en oeuvre d'actions de prévention du vieillissement au travail, c'est l'évolution des emplois et la gestion efficace du capital de compétences qui semblent le plus souvent délaissées dans ces entreprises. L'absence (le plus souvent) d'une fonction «ressources humaines» dans les organigrammes est le signe sans équivoque de cette faiblesse.
Pourtant, ces entreprises produisent et recèlent un gisement de compétences, comme elles constituent un maillon indispensable dans le dispositif qui favorise l'égalité des droits et des chances des personnes en situation de handicap. Mais la nécessité de leur modernisation est patente. Une triple réflexion doit être menée. Industrielle, afin d'imaginer des modèles économiques durables et des modèles de développement d'activités susceptibles de proposer des emplois de qualité aux salariés. Managériale, afin de concevoir des modes de direction, d'organisation et d'animation des équipes compatibles avec les attentes et les comportements des salariés. Une réflexion, enfin, sur la dimension «ressources humaines», afin d'élaborer une gestion des emplois et des compétences favorisant les évolutions de carrière. Est-il besoin de souligner l'interdépendance de ces trois axes de réflexion ?
Et si ces développements sont à l'évidence à imaginer, puis à construire, entreprise par entreprise, dans le contexte toujours singulier des marchés locaux du travail dans lesquels chacune d'elles s'intègre, cette réflexion est à animer par chacune des grandes associations qui fédèrent ces structures. L'ampleur des questions posées nécessite en effet un cadre de réflexion global pour faciliter une action locale. »
(1) L'association Développement et emploi, fondée en 1981, vise à nourrir le débat de société sur l'emploi et les conditions du développement économique. Site :