Recevoir la newsletter

Les CER : une dynamique porteuse, mais après ?

Article réservé aux abonnés

Dans un rapport d'évaluation, l'inspection des services de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse dresse un bilan plutôt positif des centres éducatifs renforcés. Si beaucoup de mineurs tirent parti du dispositif, celui-ci est toutefois largement perfectible. Au déficit de cadrage institutionnel, s'ajoute la question très problématique du devenir des jeunes à la sortie.

Dans quelle mesure les objectifs fixés aux centres éducatifs renforcés (CER) ont-ils été atteints ? Quels effets produisent-ils sur le parcours des jeunes ? Comment le programme s'intègre-t-il dans le dispositif institutionnel en charge de l'action éducative ? Autant de questions posées dans une lettre du 2 juin 2006 par le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à l'inspection des services, qui s'est livrée à une radioscopie poussée du dispositif des CER. Aujourd'hui, s'il fallait résumer son rapport (1) à une formule, la plus adaptée serait : « De bons résultats, mais peut mieux faire ! ». L'inspection, qui souligne qu'après « des débuts difficiles, le dispositif CER fait la preuve de sa capacité à prendre en charge les mineurs confiés par la justice dans le respect du cahier des charges », émet en effet diverses préconisations visant à améliorer le programme établi, sous sa forme actuelle, à la suite des conseils de sécurité intérieure des 8 juin 1998 et 27 janvier 1999. Un programme qui, rappelle-t-elle, fait « le pari qu'une action éducative intensive sur une durée brève et les résultats générés à court terme peuvent déclencher un processus de réinsertion à plus long terme ».

Premier bémol donc : « le brouhaha institutionnel ». Tout d'abord, si le nombre de CER est satisfaisant - 68 au lieu des 75 prévus -, leur répartition territoriale laisse à désirer. Surtout, elle est « largement le produit des alliances ou oppositions locales et du plus ou moins grand degré d'implication des directeurs territoriaux de la PJJ », constate l'inspection. En outre, le comité de pilotage national, qui a diminué son activité, ne remplit plus sa mission, à l'inverse des directions régionales, qui, elles, « ont bien investi leur rôle de pilotage ». Néanmoins, les contrôles préventifs restent à développer. Les inspecteurs regrettent surtout que « la préparation du placement, son suivi, ainsi que la mise en oeuvre des orientations ultérieures ne s'inscrivent pas assez dans un cadre opérationnel défini et porté par la direction départementale de la PJJ ». Le rôle du directeur départemental manque souvent pour les CER de visibilité et c'est plutôt, en cas de problème, qu'ils y ont recours. « Cela réduit singulièrement sa fonction de responsable de la cohérence du parcours du jeune », déplore l'inspection. Par ailleurs, avec la montée en puissance du procureur de la République et de ses délégués, le rôle des juges des enfants s'atténue. Il en résulte qu'ils ont « peu de prise sur l'organisation du parcours des mineurs placés en CER et la mise en oeuvre des orientations ». Au final, et du fait de la multiplicité des acteurs judiciaires et éducatifs et de leur difficulté à échanger, identifier une « figure médiatrice, responsable de la qualité et de la cohérence des diverses interventions » relève de la gageure. Le mineur devient alors « son propre fil rouge » et un fonctionnement en réseau informel sert à pallier le déficit de cadrage institutionnel. L'inspection estime donc « impératif » de rendre effectif le pilotage par les directions départementales, lesquelles sont appelées à organiser le parcours des mineurs de manière à ce que le CER n'en soit qu'une étape.

L'essentiel des CER est géré par des associations (au nombre de 63) (2), dont la plupart sont anciennes et ont des activités diversifiées. Néanmoins, un quart d'entre elles ont été créées ad hoc. Les plus expérimentées ont plus de capacité à prévenir et à traiter les dysfonctionnements que les autres. Notamment, il existe, relève l'inspection, « une corrélation entre le haut degré d'expérience et de professionnalisation des associations gestionnaires et l'attention portée à la loi du 2 janvier 2002 ». Presque la moitié des centres ont moins de cinq ans, notamment du fait que maintes structures ont fermé. En particulier, des problèmes de maltraitance, la malhonnêteté de dirigeants, des difficultés à contenir les phénomènes de groupe sont à l'origine de cela. Dans certains cas, « le déficit de projet associatif, voire d'éthique, pose un sérieux problème », observe l'inspection, qui demande à ce que ne soient pas validés les projets d'associations « dont les assises sont insuffisantes, tant du point de vue des valeurs et de l'expérience que du nombre d'établissements gérés ».

Peu de diplômés de l'éducation spécialisée

Dans les CER associatifs, la majorité des personnels éducatifs oeuvre sans diplôme de l'éducation spécialisée. Beaucoup n'ont même aucun diplôme du secteur social. Pour autant, ils ne sont pas inexpérimentés. « Le parcours professionnel et de vie de ces salariés les a souvent mis au contact de jeunes difficiles » avec qui ils nouent facilement des liens. Ils possèdent en outre souvent des compétences techniques utiles. Pour l'inspection, l'écueil principal à éviter est en fait la « recherche de monochromie du profil des éducateurs dans les politiques de recrutement ». Elle prône donc la variété des parcours et des compétences. « Les jeunes trouvent là un espace et une marge de manoeuvre de nature à prévenir les phénomènes d'explosion que peut provoquer une confrontation à une équipe formatée dans le même moule », assure-t-elle, même s'il faut veiller à construire des références communes. Un important effort de formation, qu'il convient d'encourager, a d'ailleurs été réalisé dans les CER associatifs afin de professionnaliser les équipes (3). Lesquelles demeurent assez stables, malgré les difficultés dues à la dureté du métier, au rythme intensif, au manque de perspectives d'évolution...

90 % des mineurs accueillis le sont au titre de l'enfance délinquante. Pour les 1 000 jeunes dont la situation a été analysée, c'est davantage le caractère répétitif de leurs actes que leur gravité qui les a menés en CER. Plus de 70 % n'auraient d'ailleurs jamais été incarcérés auparavant. La plupart des mineurs ont été suivis en assistance éducative avant que ne soit ouvert un dossier pénal. Néanmoins, un quart n'avait fait l'objet d'aucun placement. La préparation de ce dernier a lieu en général, constate l'inspection, dans le cadre d'une « cooptation plus ou moins «avouée» entre magistrats, éducateurs de milieu ouvert et CER qui prennent l'habitude de travailler ensemble ». Laquelle satisfait les intervenants. Beaucoup de CER se révèlent exigeants sur la disponibilité et la clarté du positionnement des juges et sur l'implication des éducateurs du milieu ouvert. Quant aux refus d'accueillir les jeunes, ils sont le fait d'un faible nombre d'établissements et tiennent d'abord à des questions de santé voire d'âge, l'offre portant surtout sur les 15-17 ans. L'absence d'adhésion du mineur est ainsi rarement en cause, les responsables de CER estimant même que la contrainte est « le fondement de leur intervention ». Elle contribue à l'action éducative, les CER visant « le respect du cadre, des règles de vie au quotidien ».

Le placement en CER est parfois motivé par une volonté d'éviction. Il n'est plus alors « le maillon d'une chaîne éducative, «le passage vers d'autres modalités de réponses éducatives» voulu par le cahier des charges, mais s'inscrit au contraire dans un processus d'exclusion », regrettent les rapporteurs. Faute d'évaluation pluridisciplinaire de la nature de la délinquance réitérative en jeu - ce qu'il conviendrait de développer -, magistrats et éducateurs du milieu ouvert résument souvent le CER à une réponse contraignante, ultime étape avant la prison. L'attitude des éducateurs est en outre variable : certains collaborent fortement avec des CER ; d'autres y sont réticents, critiquant le principe même de l'éducation sous contrainte, de l'éloignement, de la brièveté du suivi...

Près de 70 % des CER ont organisé trois sessions dans l'année et fonctionné avec six jeunes par session - le cahier des charges fixant un effectif maximum de huit personnes. Avec une durée moyenne de 4,2 mois par session (entre trois et six mois selon le cahier des charges). Mais plus que la durée, ce qui compte, c'est que la limite au temps du placement soit clairement énoncée au mineur. « Les témoignages concordent sur le fait que l'action intensive mise en place, la proximité et la permanence relationnelle qu'impose le CER, ne sont tenables pour les adultes, comme pour bien des mineurs, que si la durée du placement est maîtrisée. La session est basée sur un projet, avec des actions à accomplir dans un temps donné, difficilement compatible avec un étirement qui le viderait de tout son sens », affirment les inspecteurs. L'un des éléments les plus déstabilisants pour les jeunes est en fait l'appétence des adultes à vivre et agir sans cesse avec eux. Les médias éducatifs (sport, découverte d'un métier, itinérance, environnement...) peuvent varier, ce qui prime c'est « la conviction et le plaisir qu'éprouvent les éducateurs à les mettre en oeuvre en y associant les mineurs ». Préconisée, la pratique du dégagement existe dans quasiment tous les CER et sa durée couvre en moyenne 30 % du temps. La pratique des séjours de rupture à l'étranger, sans « plus-value spécifique », n'est pas indispensable. Et même, analyse l'inspection, « la prise en charge de mineurs au parcours délictuel particulièrement lourd doit s'effectuer sur le territoire national, sauf circonstances exceptionnelles : les autorités nationales doivent pouvoir assurer leur fonction de contrôle et être en mesure de réagir rapidement si besoin est ».

Si la réussite des centres éducatifs renforcés est de parvenir à inverser le rapport de force avec les jeunes, cela peut signer aussi son échec si l'inversion est exagérée. « Nul doute qu'il existe un clivage entre les CER pour qui la rupture repose sur une pédagogie «non violente» et «apaisante» et ceux qui visent à «amplifier la rupture», par des «mises en situation éprouvantes» », rappellent les inspecteurs. Autre clivage : celui qui sépare les CER considérant la famille comme un problème et ceux voulant prendre appui sur elle. « Peut-être n'est-il pas toujours très clair [...] que le but du CER n'est pas de rompre avec les parents et avec les pairs », analyse l'inspection. Or il « s'agit plutôt d'amorcer un processus de différenciation, grâce à la séparation temporaire que met en oeuvre le CER ».

« Effet de remobilisation », « meilleure estime de soi » sont parmi les avancées reconnues chez les mineurs à leur sortie du CER. En fait, parmi ceux pour qui le placement s'est bien déroulé, on recense des jeunes « transformés » et d'autres ayant plutôt vécu ce temps comme une parenthèse à subir. Les 1 000 mineurs de l'échantillon semblent quant à eux s'être améliorés dans le domaine relationnel, le respect des règles de la vie collective, la mobilisation sur un projet scolaire ou professionnel. A la fin du séjour, la plupart des jeunes retourne dans leur famille. Mais pour beaucoup, c'est dans l'attente d'une autre solution. A noter aussi que, lorsque des suivis en milieu ouvert au titre de l'assistance éducative préexistaient, ils s'effacent au profit d'autres établis au pénal. « Il est plus facile de sortir du dispositif de la protection de l'enfance que d'y revenir après un passage en CER, même réussi », conclut l'inspection. Par ailleurs, rares sont les structures qui s'empressent d'accueillir les mineurs issus de CER. Ceux-ci déplorent une trop faible mobilisation des éducateurs du milieu ouvert sur la préparation à la sortie et dénoncent la difficulté à trouver une solution d'hébergement ou d'insertion. Pour autant, l'inspection ne souhaite pas voir se développer « des structures- relais spécifiques ».

La dynamique obtenue grâce au CER est difficile à maintenir sur le long terme. Il semblerait cependant que, lorsque des délits sont commis, ils soient de moindre gravité. Trois mois après la sortie, 72 % des jeunes n'ont pas été poursuivis au pénal pour de nouvelles infractions ; mais le chiffre descend à 25 % un an après. Toutefois, un mineur sur deux n'est pas alors « judiciairement multiréitérant » et un quart n'a pas eu affaire à la justice. Du côté de l'insertion enfin, la moitié des jeunes serait sans activité. Ce domaine « n'apparaît pas clairement comme une priorité impulsée par les directions départementales et les services », déplorent les inspecteurs. Aussi ces derniers préconisent-ils de « veiller à mettre en oeuvre un véritable projet d'insertion professionnelle pour chaque mineur suivi en milieu ouvert » et d'employer « le dispositif du parrainage afin de renforcer le processus d'insertion des mineurs ayant mené à bien leur session ».

Enfin, si l'intérêt des CER s'affirme sur le terrain, il restera cependant à passer de l'empirisme à la conceptualisation par une démarche de recherche.

Notes

(1) Le dispositif des centres éducatifs renforcés - Rapport d'évaluation - Inspection des services (Alain Birot, Jean-Paul Hantz, Bruno Houssa, Philippe Lavergne) - 16 janvier 2007.

(2) Les autres sont gérés par le secteur public.

(3) Une convention-cadre de partenariat a été signée le 28 octobre 2005 entre la DPJJ, la DGAS, le Snasea, l'Unasea et Unifaf pour une expérimentation de formation des personnels éducatifs en CER sur deux ans en vue d'un accès à la validation des acquis de l'expérience. Un premier bilan a été dressé le 18 janvier à Paris.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur